Le référendum sur le projet de Constitution européenne donne enfin aux Français l’occasion, si rare, de parler de l’essentiel : l’avenir de la France et de l’Europe dans un monde en plein bouleversement. Il faudra cependant éviter de tomber dans la caricature, comme c’est trop souvent le cas quand il s’agit de l’Europe. Tout responsable politique (Laurent Fabius en fait aujourd’hui l’expérience) qui ose s’interroger sur la pertinence des orientations européennes est immédiatement remisé dans la catégorie des réactionnaires passéistes. Or, aujourd’hui la question n’est plus d’être pour ou contre l’Europe, mais de savoir laquelle nous voulons bâtir, il faut rejeter l’éternel chantage des promoteurs de traités clés en main qui nous promettent le chaos si leurs textes sont rejetés.
Le chaos viendra plutôt de la passivité des dirigeants européens qui, à force de s’incliner devant des traités irréalistes, perdent tout moyen d’agir, nourrissant la défiance des peuples et le recul de l’idéal européen. J’ai arrêté ma position après avoir lu ce texte et m’être demandé s’il servait les intérêts de la France et de l’Europe et s’il existait une autre voie possible. Je souhaite que tous les Français lisent ce texte et puissent en disposer car alors toute personne de bonne fois découvrira qu’il n’est pas aussi anodin qu’on veut le faire croire. En effet, on peut noter quatre points importants :
 En intégrant dans le corps du texte la fameuse Charte des droits fondamentaux (Art. 7), il donne un pouvoir exorbitant aux juges de la Cour de justice du Conseil européen qui deviendront de fait les législateurs de demain.
 En donnant la personnalité juridique à l’Union (Art. 6), la primauté définitive du droit de l’Union sur les droits des États membres, il crée un véritable embryon d’État européen qui transformera les nations en simples provinces.
 Derrière la création d’un président symbolique du Conseil européen élu par ses pairs pour deux ans et demi, le texte renforce en réalité les pouvoirs de la Commission qui devient un gouvernement de fait. La règle de la majorité qualifiée étendue à 60 domaines empêchera la défense des intérêts nationaux.
 Enfin, la Constitution n’encadre en rien la boulimie de compétences de l’Union. L’art. 13 concernant les compétences dites partagées entre l’Europe et les États est un modèle de l’hypocrisie bruxelloise ; je le cite : « Les États membres n’exercent ces compétences que si l’Union y renonce ! ».
Le vide démocratique européen du texte et l’impuissance collective qu’il consacre me font penser en outre que ce traité n’est pas dans l’intérêt de la démocratie. Après les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice, ce texte videra un peu plus de leur substance les démocraties nationales. Les peuples éliront des majorités nationales qui ne pourront plus appliquer leur programme dès lors qu’elles seront mises en minorité à Bruxelles. En acceptant la loi de la majorité dans une Europe à 25 qui pourrait un jour comprendre la Turquie qui disposera de 20 % des votes, la France sera souvent mise en minorité. Sur quantité de sujets qui tiennent à cœur aux Français, le réveil sera douloureux. La réalité du pouvoir appartient à des organismes non élus (Commission, BCE, CJE) et la Constitution est dangereuse, car elle inscrit dans son marbre les politiques mêmes qui ont échoué depuis une décennie et qui sont contestées par les citoyens : la lutte contre l’inflation continuera de passer avant la bataille pour l’emploi et la politique de la concurrence dogmatique interdirait aujourd’hui le lancement de projets comme Airbus ou Ariane. Toutes ces politiques font reculer l’Europe dans le monde.
Il faut opposer à cette vision de l’Europe celle d’une Europe confédérale défendue par le général De Gaulle. C’est en s’appuyant sur les nations que l’on constituera une Europe puissance en phase avec les nouvelles réalités économiques. Il faut préparer un nouveau traité qui délimite raisonnablement l’Union et crée des partenariats avec son étranger immédiat (Turquie, Russie, bassin méditerranéen), qui refonde ses institutions en rendant une partie de leur pouvoir aux États et aux Parlements nationaux, qui rétablit une véritable préférence communautaire en matière commerciale et qui permet enfin le lancement de coopérations à géométrie variable. Le temps est donc venu pour la France de montrer le chemin par un « non » fondateur.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Un « non » fondateur », par Nicolas Dupont-Aignan, Le Figaro, 21 septembre 2004.