Des documents stratégiques récents provenant de l’entourage du ministère de la défense accentuent les exigences de la chancelière qui tendent à recourir à l’armée à l’intérieur du pays. Ces documents visent à soumettre largement la vie sociale aux exigences de la politique allemande d’hégémonie. L’économie et les ONG (organisations non gouvernementales) devraient participer dans une plus forte mesure à la « gestion des crises » mondiales, la population devrait assumer « davantage de responsabilités » dans la protection du pays contre des contrecoups, tels sont les mots d’ordre d’une « conception cadre qui définit une politique de sécurité englobant tous les ressorts » publiée à Berlin.
Ces documents ont été élaborés par des dirigeants de la bureaucratie ministérielle allemande lors d’un séminaire de l’Académie fédérale de politique de sécurité (BAKS) et reflètent les objectifs qu’une instance dénommée « communauté stratégique » fixe aux appareils de fonctionnaires. Le Gouvernement « devra […] retravailler la Constitution […] dans des parties essentielles », estime le président de l’Académie fédérale à propos des conséquences juridiques des propositions de son institution.
Personnel d’encadrement de l’exécutif
Le document stratégique berlinois a été élaboré dans le cadre du « séminaire de politique de sécurité » de cette année, qui s’est terminé il y a quelques jours. L’organisatrice, la BAKS est « l’établissement fédéral de formation en matière de politique de sécurité du rang le plus élevé et recouvre tous les ressorts ». Son travail est soumis directement aux directives du gouvernement fédéral [1]. Son président et le chef de la chancellerie fédérale procèdent personnellement au choix des participants. Sont invités surtout aux séminaires, qui s’étendent sur six mois et n’ont lieu qu’une fois par année, « des personnalités dirigeantes de l’exécutif », « de préférence au rang de Referatsleiters » [2]. De rares participants sélectionnés dans les « milieux de la politique, de l’économie, de la science, des syndicats et de la société civile » assurent les contacts avec d’importants milieux privés. Les « séminaires de politique de sécurité » nouent des « relations à long terme entre les décisionnaires des ministères de la Confédération et des Länder assumant des responsabilités importantes et des représentants déterminants de l’économie et de la vie publique », écrit la BAKS. Les « contacts établis de manière ciblée » sont entretenus soigneusement et assurent ainsi la liaison durable d’anciens participants à ce qui se nomme soi-même « communauté stratégique » de Berlin.
Conseil national de sécurité
Les participants au « séminaire de politique de sécurité » qui vient de se terminer ont établi, pour conclure la manifestation, une « conception cadre » [3] qui développe des exigences extrêmes à partir de l’exemple de ce que l’on nomme la lutte antiterroriste. L’essentiel de cette proposition est de limiter l’autonomie des divers ressorts ministériels et d’établir une instance qui « élabore, dans une perspective stratégique dépassant les ressorts, des bases et stratégies conceptuelles ainsi que des directives politiques. » Ces dispositions sont avant tout des mesures relatives à l’expansion allemande. En outre, le comité doit, en cas de tensions, « être chargé d’élaborer une conception de la réaction aux crises adaptée à tous les ressorts. » D’après la « conception cadre », il peut se dégager du conseil fédéral de sécurité [4] ou s’établir à la chancellerie. Le président de la BAKS, Rudolf Adam, parle de « conseil national de sécurité [5].
Quartiers généraux du Führer à la chancellerie
Adam recommande « d’envisager un changement de constitution ou une nouvelle interprétation de la Loi fondamentale » : « Quoi qu’il en soit, nous devrons réviser des parties essentielles de la Constitution, pour autant qu’elles concernent les forces armées et les mesures de politique de sécurité. » D’après Adam, « les questions fondamentales de l’existence nationale, la guerre et la paix, la détermination de ce qui est dans l’intérêt de l’Allemagne en dernier ressort et quels sacrifices s’imposent à cet égard » doivent être résolues non plus par le Parlement, mais par le chancelier [6]. « En fait, un centre de pouvoirs propre se développerait ainsi à la chancellerie, concède le président de la BAKS et recommande des compensations en faveur du ministère des Affaires étrangères (AA). Dans ce sens, le BND (service de renseignements, note du traducteur) par exemple serait retranché de la chancellerie et intégré dans l’AA. « Cette mesure se justifierait aussi sur le plan opérationnel », prétend Adam. « Les connaissances du BND seraient encore plus étroitement intégrées dans les méthodes opérationnelles de l’AA. Les mythes entourant les collaborateurs du BND deviendraient enfin crédibles. »
Militarisation de la vie civile
Outre des propositions structurelles qui visent à émonder l’exécutif, la « conception cadre » élaborée par le « séminaire de politique de sécurité » contient une série d’exigences qui aboutiraient à une militarisation supplémentaire de toute la société allemande. C’est ainsi que les sciences doivent être mises davantage au service des autorités de répression, notamment par des « postes de recherche relatifs au terrorisme/à l’extrémisme » [7]. Des représentants de l’économie sont disposés à « s’engager fortement dans la gestion internationale des crises » [8], des ONG admettent de « respecter délibérément des normes et se prêtent davantage à des conciliations pratiques ».8 De plus, il y a lieu de « recourir davantage aux moyens d’action offerts par la politique de développement […] dans la lutte contre le terrorisme ». Les directives de la « communauté stratégique » reflètent la possibilité de contrecoups hostiles à l’intérieur du pays. Il convient donc « d’intensifier la formation relative aux soins de premiers secours, dans le cadre de l’enseignement scolaire par exemple. » Il y a également lieu de « faire des recommandations concernant les réserves en produits vitaux pour une période restreinte ».
Recours à l’armée à l’intérieur du pays
Le document relatif à la « conception cadre » recommande expressément d’éviter des pertes de frottements dues à des troubles parmi la population.6 « Il souligne que les lois et mesures accroissant les capacités de poursuite pénale et de protection contre des menaces terroristes doivent […] reposer sur un consensus social ». Par conséquent, il convient d’examiner soigneusement dans quelle mesure des modifications de lois et des mesures […] peuvent limiter les droits civils et libertés individuelles en faveur d’une meilleure sécurité. » Les auteurs n’entendent renoncer en aucun cas au recours à l’armée à l’intérieur du pays, recours pour lequel « des dispositions constitutionnelles claires doivent être créées ». Dans les cas dans lesquels le recours à l’armée à l’intérieur du pays peut déjà avoir lieu (entraide administrative), ils recommandent « un programme d’exercices sur l’ensemble du territoire […], afin de coordonner les mesures des Länder, de la Confédération et de l’armée […] ».
Eurofighter contre sa propre population civile
Un « programme d’exercices » correspondant a visiblement été effectué pendant le G-8 d’Heiligendamm. A l’époque, le recours à l’armée à l’intérieur du pays s’est effectué par « l’entraide administrative »,9 conformément à un rapport du ministère de la défense. D’après ce rapport, deux Tornados, quatre Eurofighter et huit avions de combat Phantom ont décollé et neuf chars de reconnaissance du type Fennek ont démarré pour surveiller des manifestants. A partir de ces engins de guerre, des photographies et des prises de vue infrarouges des adversaires de la mondialisation ont été réalisées. Un pilote pour le moins a volé au-dessous de la limite minimale de 150 mètres appliquée en temps de paix. A eux seuls, les engins de l’aviation ont volé 23 heures au total.
Adaptation
En fait, des milieux influents de Berlin s’efforcent d’adapter la stratégie du potentiel de répression pour s’opposer militairement à des troubles intérieurs, envisagés notamment si la guerre suscitait des goulots d’étranglement en matière énergétique.
Traduction : Horizons et débats
[1] Voir le rapport d’information intitulé Bundesakademie für Sicherheitspolitik, Überfällige Weltmacht und Effizienzsteigerung (Académie fédérale de politique de sécurité, puissance mondiale en retard et augmentation de l’efficacité)
[2] Séminaire de politique de sécurité.
[3] Séminaire de politique de sécurité 2007 : Asymétries comme défis. Conception cadre d’une politique de sécurité dépassant les ressorts, Berlin, juin 2007.
[4] « Le conseil fédéral de sécurité est une commission du cabinet fédéral. Dirigées par le chancelier, ses séances sont secrètes. Le conseil coordonne la politique gouvernementale de sécurité et de défense et s’occupe aussi des exportations d’armements. Le conseil fédéral de sécurité, dont la création remonte à une décision du cabinet de 1955, a neuf membres : le chancelier, le chef de la chancellerie ainsi que les ministres des Affaires étrangères, de la défense, des finances, de l’intérieur, de la justice, de l’économie ainsi que de la coopération et du développement. Le conseil fédéral de sécurité : www.bmz.de
[5] Rudolf Georg Adam, président de l’Académie fédérale de politique de la sécurité : Poursuite de l’évolution de l’architecture de la sécurité allemande. « Un conseil national de la sécurité, solution structurelle ? » Exposé présenté avant la conférence inaugurale de la série de manifestations intitulées « Gesamtstaatliche Sicherheit », Berliner Forum Zukunft (BFZ) der DGAP und Bundesakademie für Sicherheitspolitik, Berlin, 13/1/0
[6] Voir à ce sujet « Grauzonen und Nationaler Sicherheitsrat » (Zones grises et conseil national de sécurité). www.german-foreign-policy.com
[7] Voir à ce sujet « Von Helfern zu Kollaborateuren » (Du statut d’auxiliaire à celui de collaborateurs), www.german-foreign-policy.com
[8] « Jung gerät wegen G-8-Einsatz in Bedrängnis. » (Jung en difficultés à la suite du recours à l’armée lors du G-8) Financial Times Deutschland
du 3/7/07
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