Les États-unis ont décidé d’imposer à la communauté internationale par tous les moyens la reconnaissance du Kosovo. Celle-ci devrait être proclamée unilatéralement le 28 novembre prochain, jour de la fête nationale albanaise. Dès lors, la voie à l’unification du Kosovo et de l’Albanie serait ouverte. Mais la création d’une Grande Albanie rouvrirait la revendication d’une Grande Serbie.
Les diplomates du Groupe de contact international pour le Kosovo se réuniront pour la première fois mercredi, à Berlin, dans un nouveau format, avec de nouvelles prérogatives. Depuis la fin de l’année 2005, les représentants des pays concernés (Russie, États-Unis, Royaume Uni, Allemagne, Italie, France) préparaient traditionnellement leurs propositions pour qu’elles soient discutées au Conseil de sécurité de l’ONU. Ensuite, à l’issue de ces discussions, les documents étaient retournés au Groupe de contact pour qu’ils soient encore retravaillés.
Désormais, la situation a changé du tout au tout. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a retiré l’examen du projet de résolution octroyant au Kosovo son indépendance sous un contrôle international, projet préparé par les États-Unis et l’Union européenne. Ce texte avait reçu auparavant le soutien de la plupart des membres du Groupe de contact, seule la Russie y étant opposée. Moscou ne dispose pas d’un droit de veto au sein du Groupe de contact. C’est la raison pour laquelle le document a été présenté au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais les choses ne sont pas allées plus loin. Ses auteurs ont préféré ne pas soumettre au vote le projet de résolution, après que le représentant plénipotentiaire de la Russie à l’ONU, Vitali Tchourkine, eut annoncé que Moscou « n’est prêt ni à soutenir l’adoption de cette résolution, ni à s’abstenir lors du vote ». Ce qui laissait augurer un veto. Les partisans de l’indépendance du Kosovo ont reculé, confiant au Groupe de contact le soin de poursuivre le processus.
Ils ont toutefois reculé sur des positions qu’ils avaient préparées auparavant. Sur les six membres du Groupe de contact, cinq soutiennent sans ambiguïté l’indépendance du territoire serbe du Kosovo, nonobstant la volonté de Belgrade. La position des États-Unis est connue. La Secrétaire d’État Condoleezza Rice l’a confirmée une nouvelle fois lundi dernier, en recevant à Washington une délégation de séparatistes kosovars conduite par le président du territoire, Fatmir Sejdiu. Le Kosovo, a-t-elle dit, acquerra « d’une manière ou d’une autre » son indépendance, et la Maison-Blanche est prête à la reconnaître unilatéralement. Pour ce qui est des membres européens du Groupe de contact, ils entendent se prononcer solidairement au nom de l’Union européenne. Et bien qu’au sein de cette organisation tout le monde ne soit pas transporté de joie par une indépendance du Kosovo, ce sont Londres, Paris, Berlin et Rome qui militent le plus activement pour que soient retirés à la Serbie 15 % des terres qu’elle possède depuis toujours. La direction de l’UE partage ces vues. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a déclaré que bien que le plan de l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Martti Ahtisaari, n’ait pas reçu le soutien du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est bien lui et la disposition clé qu’il recèle sur l’indépendance sous contrôle du Kosovo qui doivent être à la base des discussions à venir. Par conséquent, on peut penser que les États-Unis et l’Union européenne vont tenter de transformer le Groupe de contact en une sorte de Conseil de sécurité de l’ONU dans lequel la Russie ne disposerait pas d’un droit de veto, afin d’essayer de faire passer en force les décisions qui leur conviennent.
Toutefois, le fait que le Conseil de sécurité de l’ONU a renoncé à voter le projet de résolution sur le statut du Kosovo ne signifie pas pour autant que les Nations Unies se sont mises à l’écart elles-mêmes du processus du règlement du problème du Kosovo. Comme l’ont confirmé les auteurs de la résolution qui n’a pas été présentée, le Groupe de contact ne doit pas tant élaborer les paramètres du statut du Kosovo qu’organiser un nouveau round de négociations entre Belgrade et les autorités de l’entité autonome kosovare. Autrement dit, il doit être une sorte de médiateur collectif.
D’autres voix se font entendre, du reste, dans les capitales européennes. Le chef de la diplomatie allemande, Frank Walter Steinmeier, a proposé qu’il y ait trois médiateurs – un pour les États-Unis, un pour la Russie et un pour l’UE. Certains souhaitent également que soient attribuées des fonctions de médiateur, personnellement, au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Quant au ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, il est convaincu qu’avant de commencer ses travaux, le Groupe de contact devrait attendre que le secrétaire général de l’ONU lui confie un mandat détaillé.
Il n’en demeure pas moins qu’une chose est d’ores et déjà claire. Quelles que soient les décisions qu’adoptera le Groupe de contact, elles ne pourront, à la différence des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, avoir force de loi ni pour l’ONU, ni pour les différentes parties du conflit kosovar. Qui plus est, selon une information officieuse, en raison de l’existence de vives contradictions entre la Russie et les autres membres du Groupe de contact, les diplomates pourraient s’accorder sans discuter des paramètres concrets du statut futur du Kosovo, et consacrer toutes leurs forces à rapprocher les propositions de Belgrade et Pristina. Mais il y a là un point essentiel. Les discussions annoncées sont privées de tout sens du point de vue des Albanais, étant donné que le « plan Ahtisaari » leur donne déjà le maximum de ce qui leur est possible d’obtenir, y compris être membre de l’ONU et de l’Union européenne. Pour ce qui est de la Serbie, elle espère non pas des accords avec les Albanais, mais le refus de la communauté internationale de créer un précédent dangereux pour les séparatistes du monde entier. Et donc, au final, une nouvelle fois, un veto de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.
Une telle variante n’est pas à exclure, bien qu’elle soit peu probable. Les membres du Conseil de sécurité vont de nouveau s’occuper sérieusement du statut du Kosovo si les discussions entre Belgrade et Pristina débouchent sur des résultats concrets. Dans le cas contraire —et c’est le plus probable— les dirigeants des séparatistes albanais proclameront l’indépendance de manière unilatérale. La date a déjà été choisie : ce sera le 28 novembre, Journée du Drapeau, jour de la Fête nationale de l’Albanie voisine. La situation au Kosovo et dans l’ensemble des Balkans pourrait alors prendre une tournure imprévisible. Il n’est pas exclu que débute, par la force, « un rassemblement des terres » autour de la « Grande Albanie » et de la « Grande Serbie », qui s’accompagnerait dans le même temps de la dislocation de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine et du Monténégro.
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