La crise qui secoue le système financier mondial n’a rien d’un ajustement douloureux avant rémission. Au contraire, elle manifeste que le processus de financiarisation des économies vient d’atteindre son point de rupture. L’exemple de 1929 et de ses conséquences politiques doit nous faire réfléchir sur le danger réel de recourir à la dictature et à la guerre pour sortir de l’impasse.
Au cours des semaines passées, la crise états-unienne de l’immobilier et des banques, ses causes, son évolution et ses conséquences, ont fait couler de l’encre. Il vaut la peine d’examiner les racines et les circonstances de cette crise.
C’est très consciemment que fut engendrée aux Etats-Unis une explosion dans l’immobilier et dans les hypothèques pour maintenir l’économie de guerre américaine, fortement affaiblie après les plongées des cours en l’an 2000, et pour maintenir dans le coup et tenir en laisse la population. De qui peut-on attendre une réflexion et une protestation énergique contre la guerre, alors que les esprits sont occupés par l’achat d’une maisonnette, en espérant la revendre avec profit – « grâce à la politique gouvernementale » –, alors qu’en même temps c’est mettre sa tête dans le nœud coulant des prêteurs et de leur politique d’intérêts.
La raison se dissipa et les esprit furent obnubilés par la perspective de gains rapides et sans risques. Le résultat est qu’environ deux millions de débiteurs en hypothèques se trouvent face à la mise aux enchères de leurs maisons.
Ces gains éphémères des « petits propriétaires de maisons » n’étaient qu’une infime partie dans l’énorme affaire montée par les banques et d’autres instituts financiers qui s’étaient lancés dans ce domaine avec des sommes astronomiques.
On savait pourtant que cela finirait mal, il suffisait d’y réfléchir. Le terrain manquait nettement de solidité et seule l’illusion que personne n’oserait dire que « l’empereur aux habits neufs est nu » a permis de faire tourner à fond le moteur de la cupidité.
Et c’est bien de cupidité qu’il s’agit ! Car dans cette branche, on travaille consciemment contre la stabilité, du fait que tout spéculateur compte sur la faiblesse des autres pour en profiter ; car ce qui pousse les uns dans les abîmes, apporte aux autres d’énormes profits. Et c’est toujours les autres qui doivent perdre, en bonne logique de ce capitalisme féroce.
Et on recommence ! Actuellement, ce sont quelques banques qui comptent parmi les victimes des turbulences ; elles avaient cru qu’en achetant des titres de marché de crédit, elles en tireraient des profits de 20% et plus. Mais ces titres ne trouvent plus d’acheteurs. Le journal Financial Times Deutschland du 22 août a recommandé aux autres un « distressed investment », c’est-à-dire l’achat des titres de crédits de « personnes en détresse » qui sont obligées de les vendre. Ce serait à coup sûr « une des stratégies les plus lucratives des années à venir ». Ce journal financier trouve même le vocabulaire adéquat « Finanzieller Leichenschmaus » (« un repas d’enterrement financier »).
A quoi bon avertir des conséquences, comme le fit l’économiste américain Hyman Minsky, il y a déjà vingt ans et que le magazine allemand Stern, se fondant sur les événements actuels, décrit comme suit : « s’engager avec insouciance dans des risques, actuellement dans le marché hypothécaire, conduit irrémédiablement à l’effondrement, touchant l’ensemble du monde financier. Les propriétaires ont perdu leur maison, les investisseurs des milliers de milliards, des banques se retrouvent en cessation de paiement. »
Pour mémoire : la crise économique mondiale des années vingt et trente du siècle passé, elle aussi, a eu ses « profiteurs » : de puissants financiers à Londres et à New York qui empêchèrent de prendre des mesures pour s’opposer à la crise et visèrent à mettre en place la dictature hitlérienne et préparer la Seconde Guerre mondiale.
A côté des instituts financiers états-uniens, il y en eut également des européens et des allemands, qui avaient jeté un regard avide sur ce gâteau de l’immobilier américain et investi de grandes sommes dans cette illusion d’une bonne affaire. Cette déconfiture financière a atteint aussi bien des banques, comme la banque du Land de Saxe (SachsenLB), qui avaient tenu compte des avis des agences internationales privées, mais peu fiables, sensées vérifier la solidité des clients lors d’octrois de crédits, que celles, comme la Mittelstandsbank IKB, qui n’en avaient pas tenu compte. On n’en voit pas encore la fin. Entre-temps, la SachsenLB a été reprise par la Landesbank Baden-Würtemberg, mais préalablement le groupe financier allemand des caisses d’épargne a dû mettre à la disposition de la banque SachsenLB 17 milliards d’euros pour la sauver. Chaque jour on découvre de nouvelles implications. Selon Spiegel Online du 3 septembre, la banque BayernLB serait de la partie dans le marché des hypothèques américain avec 1,9 milliard d’euros, ce qui n’empêche pas cette banque de développer sa mégalomanie, en visant l’achat de la banque WestLB, entraînée, elle aussi, dans ce tourbillon spéculatif. Par ailleurs : toutes les banques des Länder ont dans leurs conseils d’administration des représentants des gouvernements des Länder respectifs, ce qui promet !
Le 5 septembre, le Berliner Zeitung pouvait faire savoir que la Deutsche Bank, qui avait récemment mis en garde sur la situation précaire d’IKB, lui avait elle-même accordé des crédits à risques pendant plusieurs années, engrangeant ainsi des profits de 20 à 30 millions de dollars US. Autrement dit : en un premier temps, la Deutsche Bank a fait son beurre dans ce marché de cupidités, mais dès que la chose tourna mal, elle se mit à crier : au voleur ! Ceci, alors même que déjà trois ans auparavant des experts avaient mis en garde contre la fragilité des débiteurs d’IKB sur le marché américain des hypothèques. Il est vrai qu’à cette époque les affaires tournaient encore rond dans ce domaine.
Le fait que ce monde bancaire n’était plus capable (ou ne le voulait pas) de se tirer d’affaire par l’octroi de crédits entre les banques, montre l’ampleur du désastre, notamment chez les États-uniens. Ce monde ne semble plus en état de présenter quelque chose de solide. Ainsi, la Banque centrale européenne se fendit, dans la première moitié d’août, d’une « aide en liquidités » de 200 milliards d’euros, pris sur la fortune de la population européenne – une somme qui, maintenant, manque dans d’autres domaines. A noter que cette somme représente quatre fois celle destinée chaque année à l’aide au développement dans le monde entier.
Selon Gottfried Heller, le directeur d’une des plus anciennes firmes indépendantes, de placements d’argent d’Allemagne, dans une interview accordée le 29 août au magazine Stern, il semblerait aussi, qu’on fasse tout simplement tourner la planche à billets. Des centaines de milliards de nouveaux billets en euros, dollars, yen de par le monde, dont le résultat et une dévaluation de nos monnaies.
Pour des gens du genre du président français Sarkozy il ne s’agit que d’une « purification du marché ». Dans une lettre du 15 août adressée à la chancelière allemande Merkel, il a estimé qu’il fallait certes tirer la leçon de cette crise, mais que « ces mouvements sur le marché ne freineraient pas la croissance robuste de nos économies ». S’agit-il d’une croissance grâce à l’économie de guerre, comme sous Hitler ?
Allons-nous rester les bras croisés ? Face à ce phénomème de pillage des biens des populations par une production insensée de nouvelle monnaie pour permettre à la rapacité de quelques-uns de s’assouvir ? Est-ce que les peuples devront encore patienter pour avoir le droit de s’approprier ce qui est leur dû, pour pouvoir l’investir dans des projets en leur faveur ? Pour des emplois, pour une production de biens rentable, servant à tout le monde, pour des écoles, des hôpitaux. Faut-il laisser se développer des guerres toujours plus meutrières pour satisfaire la cupidité de ces gens, mettant en danger la vie et la santé de populations entières ? Regarderons-nous les bras croisés l’arrivée de crises voulues et préparées, destinées à nous maintenir cois et sans réflexion ? Accepterons-nous ce développement de mesures destinées à faire taire toute velléité de protestation ?
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