La Cour constitutionnelle allemande a censuré une loi autorisant la conservation des données techniques de communication à des fins policières. Pour Karl Müller, cette décision est une invitation à repenser le Pouvoir de l’Etat et les contre-pouvoirs citoyens.
La Cour constitutionnelle fédérale allemande est connue pour sa réserve et, malheureusement aussi, pour laisser souvent des portes ouvertes quand il s’agit de constater l’anticonstitutionnalité de certaines lois. Mais lorsqu’elle le fait — et ce fut le cas plusieurs fois ces dernières années en matière de protection de la sphère privée et de la défense contre les abus, voire les violences de l’Etat — il y a là une raison importante, pour les responsables politiques du pays, de revoir leur politique qui a conduit à adopter des lois contraires à la Constitution.
Mais cela ne s’est pas produit. Le tragique de la politique allemande depuis plusieurs années est que malgré des impasses de plus en plus manifestes — en fait, il n’y a pas de domaine qui fasse exception — les politiques obéissent apparemment à la devise « Continuons dans la même voie ».
En ce qui concerne la conservation des données de communication électronique, que la Cour a jugée anticonstitutionnelle, il vaut la peine d’étudier l’arrêt à fond (cf. encadré) car il montre à quel point on s’était fourvoyé et combien l’enjeu est important.
Des organisations de citoyens et de défense des droits de l’homme et de la protection de la vie privée avaient déjà souvent attiré l’attention sur ce que traite la Cour constitutionnelle, juridiction suprême du pays. Cependant le gouvernement et le législateur n’en avaient pas tenu compte.
Pas de contrôle total de l’Etat ni d’utilisation commerciale des données
Il faut examiner le contenu politique de l’arrêt et en tirer les conséquences. Les politiques allemands se sont tellement fourvoyés qu’ils veulent soumettre les citoyens à un contrôle total et livrer leurs données au commerce. Ils sont prêts à rayer de quelques traits de plume tout ce qui constitue l’Etat de droit libéral. Et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.
Mais que faire quand les politiques ne comprennent pas cela ? Que faire quand la nomenklatura allemande a perdu en quelque sorte le sens des réalités ? Que faire quand cette nomenklatura obéit manifestement aux directives états-uniennes ? Obama a prolongé le Patriot Act et est en train de démanteler l’Europe. Que faire quand les politiques allemands se retranchent derrière les directives de l’UE dont les vastes projets de surveillance des Européens avancent d’année en année ?
Il ne faut pas considérer comme normal ce qui est absurde
Il ne faut absolument pas considérer comme normal ce qui est absurde. Ainsi, il faut faire comprendre que même dans un pays comme l’Allemagne — qui, comme le prouve un bilan honnête, n’a encore jamais connu de démocratie vivante — il existe des traditions juridiques montrant qu’au cours des 20 dernières années, des agissements importants de l’Etat ont été contraires au droit. A cet égard, malgré ses défauts, la Constitution continue d’être un critère valable.
Cette mission nécessite cependant un renouveau de la pensée civique et d’importants efforts de formation civique qui se poursuivent bien au-delà de l’école. Elle ne peut pas reposer sur les organes des politiques ou sur ceux qui les influencent (fondations des partis, laboratoires d’idées, médias dominants, etc.), mais doit émaner de la population. Cela dit, tout ne doit pas être réinventé. Il existe déjà des textes intelligents.
Immanuel Kant écrivait déjà, il y a plus de 200 ans, dans sa célèbre Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières (1784) : « La possibilité qu’un public s’éclaire lui-même est plus réelle ; c’est même à peu près inévitable, pourvu qu’on lui en laisse la liberté, car il se trouvera toujours, même parmi les tuteurs attitrés de la masse, quelques hommes qui pensent par eux-mêmes et qui, après avoir personnellement secoué le joug de leur situation de tutelle, répandront autour d’eux un état d’esprit où la valeur de chaque homme et sa vocation à penser par lui-même seront estimées raisonnablement. »
Fonder des coopératives locales d’éducation populaire
Pourquoi, par exemple, ne pas fonder des coopératives locales ou régionales d’éducation populaire destinées aux citoyennes et aux citoyens ?
Les associations d’éducation des travailleurs ou du peuple, les universités populaires, de même que les instituts religieux de formation professionnelle des adultes ont eu, et ont encore en Allemagne une importante mission d’éducation sociale et de promotion de la liberté et ont obtenu d’importants résultats. On peut certainement reprendre le flambeau.
Cette éducation civique du peuple peut contribuer à amener les citoyens à adopter des points de vue bien étayés en matière de droits civiques et humains, de démocratie, de justice et d’humanité et à faire en sorte que se développe le sens de la dignité de l’homme. On leur fournirait un instrument qui les aiderait à résoudre les problèmes et les conflits dans un esprit de justice et à construire plutôt qu’à détruire les ponts entre les hommes et les peuples.
Il est faux de croire que l’homme, à des moments comme celui que nous vivons, ont perdu le sens de l’éducation. Au contraire : c’est justement en ces temps de crise économique que le désir de débats intellectuels est intense, mais ils doivent être honnêtes et s’effectuer dans un esprit d’égalité. Il est certain que personne n’a envie qu’on lui serve de nouveaux mensonges.
« Intervention de l’Etat d’une ampleur inconnue jusqu’ici » |
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