Nous, Français d’Abidjan, pensions ces derniers temps que les choses étaient en train de se normaliser. Devant l’évidente mauvaise volonté des "forces nouvelles" (ex "rebelles"), qui refusaient catégoriquement de désarmer, l’armée nationale ivoirienne avait pris la décision de restaurer l’intégrité du pays, en reconquérant la partie nord-ouest qui leur était impartie de fait par la force Licorne et par les soldats onusiens. Certes, cette décision pouvait provoquer des "dégâts collatéraux" mais, sur le plan technique, la faiblesse des forces rebelles la rendait tout à fait possible et déjà l’aviation ivoirienne commençait à imposer sa loi à la bande de soldats de fortune mis sur un piédestal par les accords de Marcoussis.
Toutefois, brutalement, ce scénario encourageant a été mis à bas. Après la mort, samedi, de neuf soldats français à Bouaké, tués par des roquettes tirées par un chasseur ivoirien sur un ancien cantonnement "rebelle" aujourd’hui occupé par les forces "Licorne", le président Jacques Chirac a pris dans l’urgence de sévères mesures de représailles, ordonnant le jour même de détruire les deux chasseurs des Fanci, mais aussi les hélicoptères militaires stationnés dans l’enceinte du palais présidentiel de Yamoussoukro. Toutes les forces aériennes, dont chaque Ivoirien était si fier et qui leur assuraient une supériorité militaire incontestable, ont ainsi été détruites en quelques minutes, brisant en même temps, dans toute la population, l’immense espoir de réunification du pays et de retour à la paix. Bouleversés, les Ivoiriens (et pas seulement les partisans de Laurent Gbagbo) sont descendus dans la rue et les intérêts occidentaux ont commencé à être visés. J’ai moi-même échappé de peu au lynchage. Beaucoup, comme moi-même, ont perdu leur commerce, leur maison, leurs économies. Il semble toutefois que, en ce début de semaine, les choses se calment un peu, les forces françaises se concentrant sur leur nouvel objectif de maintien de l’ordre dans la capitale économique. Toutefois, le feu couve toujours sous la braise et c’est pourquoi la France doit éviter de provoquer un nouveau déferlement nationaliste, c’est la vie et les biens des 30 000 Occidentaux et de centaines de milliers d’Africains immigrés qui sont en jeu. Il ne faut pas oublier que, dans un pays où la moitié de la population est illettrée, où le chômage est très important, la foule réagit de façon primaire, sans réflexion et toujours violemment.
Il conviendrait que la France réaffirme haut et fort son respect pour le peuple ivoirien et pour ses institutions, et qu’elle fasse amende honorable de son comportement actuel digne des heures les plus emblématiques de l’époque coloniale. Qu’on arrête donc de soutenir le mythe des "Forces nouvelles", (comme Dominique de Villepin a baptisé les rebelles) qui ne représentent absolument rien pour le pays, à part le pillage et les tueries des populations du Nord !
Je ne suis qu’un petit entrepreneur français venu tenter sa chance en Côte d’ivoire il y a quinze ans et qui a aujourd’hui perdu son commerce après avoir été bien accueilli dans le pays et y avoir fondé une famille (je suis marié à une Ivoirienne). J’ai tout perdu, en partie à cause d’une décision régalienne du chef de l’Etat français. En écoutant un colonel du dispositif Licorne expliquer aux Européens qu’aucun plan d’évacuation n’était envisagé car, dans quelques jours, ils devaient contribuer à la mise en place d’un nouveau gouvernement, je me demandais si je n’allais pas perdre en plus la vie !
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
« Les rebelles ne représentent rien ! », par Michel Brunet, Le Figaro, 9 novembre 2004.
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