Le président Vladimir Poutine joue très gros jeu. Depuis qu’il a entamé son nouveau mandat, les observateurs les plus inattentifs ont vu qu’il essayait de rétablir l’influence, voire la domination russe sur les anciennes républiques soviétiques. Le scénario prévu pour l’Ukraine était simple et entrait tout à fait dans le savoir-faire classique du Kremlin : gagner les élections au profit d’un bon candidat, qui se chargerait ensuite d’opérer le rapprochement voulu avec une Russie qui n’a jamais accepté la dissidence ukrainienne. Les Russes aiment le folklore ukrainien mais ne tolèrent pas qu’elle puisse se développer économiquement et devenir une démocratie. Les Ukrainiens ne voulaient plus pour leur part du soviétisme imposé par le président Kuchma.
Le mouvement de rejet a été plus violent que prévu pour les Russes, et Poutine a dû venir deux fois sur le terrain. Le patriarche de Moscou prêcha le bon parti aux orthodoxes d’Ukraine et avant même le décompte des voix, Poutine félicitait le vainqueur. L’enjeu est énorme. Si l’Ukraine perd, elle revient sous le joug russe et perd les bénéfices des avantages de son rapprochement avec les États-Unis et l’Europe pour rester indéfiniment sous le joug d’une clique corrompue. L’enjeu est énorme également pour la Russie qui, avec l’Ukraine, retrouverait un empire, comme l’a fait remarquer Zbigniew Brzezinski, et perdrait ainsi toute chance de devenir une démocratie. Pauvre Russie, qui a tant besoin de liberté et de droit, au lieu de ces vains gains de territoire qui flattent son nationalisme et ne font que l’affaiblir et la figer.
Cette fois ci, l’occident ne semble pas décidé à avaler le morceau, et les sourires de Poutine ne permettront pas de mettre l’opération sur le compte de la "lutte contre le terrorisme". L’échec personnel serait cuisant. Pour l’Europe aussi. Si elle se laisse faire, toute sa partie orientale, nouvellement intégrée, vivra de nouveau dans la peur. L’angoisse est déjà perceptible en Pologne, en Hongrie, en Estonie. Ce ne serait pas bon pour l’évolution politique déjà difficile de ces pays. En France, certains se souviendraient de la remilitarisation de la rive gauche du Rhin et, en Allemagne, de l’érection du mur de Berlin. Pour les États-Unis, leur engagement en faveur de la démocratie serait sérieusement mis en doute.
Les conséquences seront néfastes, mais il faut croire en un sursaut qui diffuserait la liberté et la démocratie en Ukraine, mais aussi dans toute la périphérie de la Russie et, peut être, dans la Russie elle-même.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Ukraine : tout n’est pas encore perdu ! », par Alain Besançon, Le Figaro, 27 novembre 2004.