Alliance Sud, la communauté de travail des six grandes organisations suisses d’entraide Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas et Eper, a invité le 16 mai 2008 à un colloque à Berne consacré à l’importance et à l’orientation de l’aide suisse au développement. L’intérêt a été considérable, plus de 350 personnes remplissant la salle. Cette manifestation a ouvert une discussion qui devra se poursuivre ces prochaines semaines et qui vise à déterminer comment notre pays peut fournir au mieux son aide aux pays en développement. Pendant la session d’été des Chambres fédérales, le Conseil national prendra des décisions sur la poursuite et l’orientation de l’aide suisse au développement. La manifestation a prouvé que l’on pouvait discuter un thème important de manière constructive et dans un climat de respect mutuel, en recherchant une solution judicieuse. Le fait que l’opinion des politiciens diverge à propos de l’aide au développement et de la coopération au développement les plus efficaces anime les discussions et facilite l’élaboration de la meilleure solution. Il ne faut guère s’étonner que cela concerne aussi la répartition des tâches entre les différentes organisations telles que la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d’État à l’économie (seco). Les deux organisations opèrent dans la coopération au développement et ont des orientations en partie différentes. Un point de vue s’est imposé toutefois lors de la séance : tous les participants, quelle que fût leur couleur politique, plaidèrent en faveur d’une coopération active au développement.
Mesdames et Messieurs,
Au nom d’Alliance Sud et de ses associations membres, je vous souhaite la bienvenue. Le nombre de participants reflète l’actualité du thème examiné.
Et de fait, 2008 est une année clé de la DDC. Le Parlement s’occupe des objectifs et du financement de celle-ci pendant ces prochaines années. Je vous remercie de vous intéresser à ce thème. Mes remerciements s’adressent aussi aux spécialistes de la politique, de l’administration, des organisations d’entraide et des organisations internationales dont les interventions enrichiront cette journée, ainsi que, bien entendu, à l’équipe d’Alliance Sud qui l’a préparée. Nous nous trouvons dans une salle au nom opportun de « scénario ». À quoi ressemble le scénario de la DDC ? Il s’agit plutôt de plusieurs scénarios contradictoires, car des débats, voire des disputes ont lieu en public, dans les médias, sur la scène politique et même, un peu, dans l’administration. J’espère que les disputes concernant l’aide au développement aideront à clarifier à quoi elle sert.
– Son objectif est-il de rendre le monde plus sûr ?
– Doit-il le rendre plus juste ?
– Qui doit en profiter ?
Il est étonnant qu’il faille poser la question, et pourtant la controverse réside en partie bien là : L’aide au développement est-elle destinée à ceux qui en ont besoin ou, bien davantage, à ceux qui l’accordent ? Qui doit en profiter au premier chef ? L’instrumentalisation de la DDC à des fins autres que le développement, tels des objectifs de politique étrangère ou commerciale, est-elle admissible et judicieuse ? En règle générale, les citoyens supposent que les bénéficiaires résident surtout dans l’hémisphère sud. Sur ce point, précisément, l’aide suisse s’est démarquée de celle d’autres pays. Même s’il en est ainsi, d’autres questions se posent.
– Quels pays doivent bénéficier de l’aide suisse au développement ? Une concentration s’impose-t-elle ? Laquelle ?
– L’aide doit-elle s’adresser aux pays pauvres ou aux hommes pauvres (ce qui influe sur le choix des pays) ?
– Quelle doit être la pondération future de l’aide bilatérale et de l’aide multilatérale ?
– Les groupes cibles correspondent-ils aux destinataires et bénéficiaires effectifs ?
La critique s’est concentrée sur cette dernière question. Avant tout la critique qui doute de l’utilité de toute aide, de façon générale. (Ces personnes pensant aux êtres humains – hommes et femmes – ne critiquent pas que les hommes sont privilégiés de facto. Elles passent également sous silence que l’écart entre les bénéficiaires prétendus et effectifs de l’aide est dû au fait que les intérêts stratégiques des donneurs peuvent prévaloir sur ceux des groupes cibles de l’hémisphère sud. Alliance Sud et ses associations membres se sont occupées intensément de toutes ces questions pendant deux ans. On en trouvera le résultat dans l’ouvrage de Peter Niggli : À qui profite l’aide au développement ? Controverses et nouvelles pistes [1]. Le sous-titre de la version allemande – Mehr tun – aber das Richtige – montre ce qui nous importe, à nous, organisations d’entraide et de développement :
a) « Faire davantage » : cela se réfère à la pétition « 0,7% – ensemble contre la pauvreté ». Nous sommes convaincus que la Suisse peut et doit donc faire davantage pour atteindre les objectifs du millénaire. Et nous pouvons dire aujourd’hui que nous ne sommes pas seuls : les paquets de feuilles de pétition que nous remettrons au Parlement le 26 mai, au début de sa session, comporteront quelque 190 000 signatures.
b) « mais surtout faire ce qu’il faut » : nous ne sommes pas naïfs au point de croire que davantage d’argent suffirait à résoudre le problème. Les principales questions que nous avons débattues sont celles de l’orientation et de l’organisation de la coopération au développement étatique :
– Qu’avons-nous appris du passé, au cours de cinq décennies ?
– Quelle aide au développement correspond vraiment à un objectif de développement ?
– Où doit-elle agir pour être efficace ?
Le livre traite de ces questions et d’autres problèmes. Le Comité directeur d’Alliance Sud a formulé un calendrier politique pour la coopération au développement suisse. Peter Niggli évoquera certains de ces points. Je suis curieux d’apprendre comment vous envisagez la situation et à quoi aboutira ce matin la controverse relative à l’aide au développement menée dans les panels. Laissez-moi jeter encore une pierre dans l’eau. Une question me semble essentielle dans nos débats d’aujourd’hui et dans la discussion future aux Chambres : que peut et doit être la tâche de notre aide au développement et que doit-elle ne pas être ?
Sur ce point, il faut avoir le compas dans l’œil : la coopération au développement doit-elle vraiment viser des objectifs politiques, même importants – telle la promotion de notre économie et de notre commerce –, qui ne contribuent que très indirectement à éliminer la misère ou à préserver les bases vitales de l’hémisphère sud ? Sa tâche première la plus directe ne doit-elle pas être définie plus modestement, avec davantage de précision ? Donner la chance à des couches sociales désavantagées, discriminées, de devenir les acteurs de leur propre développement ? C’est une question désagréable : l’aide au développement sera-t-elle vraiment fournie, à l’avenir, là où elle déploie le mieux ses effets ? Je ne vais pas non plus chez l’oculiste si mes œils-de-perdrix me font mal. Exprimées de façon positive : la multiplicité et la vigueur des mouvements de la société civile que nous observons dans de nombreux pays montrent où le développement et la coopération exercent leurs effets. La coopération au développement est là vraiment chez elle. Sa médecine guérit, car elle améliore les possibilités de participation politiques et économiques des hommes. Or, comme Dieter Senghaas l’affirmait hier soir ici, c’est là le point crucial des processus sociaux de transformation.
Dans l’aide suisse, nous avons fait suffisamment d’expériences pour pouvoir constater que l’établissement de structures locales fiables dans des contextes fragiles ou conflictuels est une des principales tâches de la coopération au développement. Non la seule, mais l’une des plus importantes. Elle tire sa légitimité de tels programmes proches de la base. Ce qui signifie finalement qu’elle a l’homme en point de mire. Les êtres humains, les hommes et les femmes qui luttent pour leur dignité, leur qualité humaine, sont l’étalon du développement réussi. Lors de la crise dite des « subprimes », je m’achoppe toujours contre l’expression « des crédits en souffrance ». Il serait temps de mettre au centre de nos préoccupations les hommes en souffrance. Précisément pour la coopération et le développement.
[1] À qui profite l’aide au développement ? Controverses et nouvelles pistes, par Peter Niggli, Éditions d’en bas, Lausanne, 2008.
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