Alors que la Déclaration du Millénaire de l’ONU avait fait de l’aide au développement un outil majeur pour résoudre les problèmes humains, de fortes critiques se sont fait jour lorsqu’il s’est agit de la financer. Or, celles-ci sont injustifiées en ce qu’elles portent non sur l’efficacité de cette aide proprement dite, mais sur la gabegie qui accompagne son dévoiement par de grandes puissances à des fins stratégiques.
Depuis quelques années, l’aide au développement est la cible de critiques globales selon lesquelles elle ne servirait à rien. Elle n’aurait rien apporté à la croissance économique. Elle n’aurait pas permis de réduire la pauvreté. De plus, elle aboutirait trop souvent dans les poches des puissants et des riches.
Contre les objectifs du Millénaire
Attachons-nous d’abord au contexte de la critique : Pourquoi ne l’entendons-nous que ces derniers temps ? Pourquoi n’était-elle pas formulée, par exemple, en 2003, alors qu’il s’agissait également de renouveler les crédits-cadres ? La question se justifie du fait que la critique repose sur des études qui étaient déjà connues à l’époque. C’est l’argent qui a provoqué cette critique globale, la perspective pour la Suisse de devoir éventuellement augmenter le budget de l’aide au développement. On n’en parlait pas encore en 2003.
Le déclic se fit à l’occasion de la préparation du Sommet du G-8 et de la tenue de l’Assemblée générale de l’ONU en 2005, les deux événements se situant dans la perspective d’une lutte contre la pauvreté. C’est alors que les objectifs adoptés dans le cadre de la Déclaration du Millénaire de l’ONU en 2000 ont pris une importance politique internationale. Au même moment, il a été question de nouveaux instruments de financement du développement et la Suisse a été appelée à se joindre aux discussions en cours.
L’objectif de développement attribué à la Suisse repose sur le budget qui y est consacré. Comme les autres pays industrialisés, elle avait promis, lors de la Déclaration du Millénaire, d’augmenter considérablement sa contribution au développement. Presque tous les pays donateurs ont augmenté leur budget après 2001. Au niveau mondial, il y a aujourd’hui deux fois plus d’argent disponible qu’il y a sept ans. En 2005, les ministres des Finances de l’UE décidèrent d’augmenter l’aide par étapes jusqu’en 2015 pour atteindre 0,7% du produit national brut. Depuis 2005, le Conseil fédéral se trouve à contre-courant concernant le budget de l’aide au développement. Il ne veut pas l’augmenter.
La critique globale lui apporte son soutien. Elle s’en prend aux objectifs du Millénaire et à l’augmentation des budgets de l’aide au développement. Pour le cas où, comme elle le prétend, ces objectifs seraient irréalistes, on peut les oublier. Si l’aide au développement est un gaspillage, il ne faut pas l’augmenter, mais la supprimer.
Tel est l’objectif politique de la critique globale. Elle a trouvé un grand écho dans les médias en Allemagne et en Suisse alémanique, mais les médias de langues française et anglaise s’y sont également intéressés. Toutefois d’importants médias de ces pays, notamment l’Economist, se sont ralliés aux objectifs du Millénaire. Par contre, la Neue Zürcher Zeitung, le journal le plus important de Suisse alémanique, s’est faite le porte-parole de la critique globale.
Contenu de la critique
Dès 2005, les ouvrages d’Alliance Sud se sont occupés intensivement de la critique globale de l’aide au développement. Le colloque de ce jour et l’ouvrage intitulé A qui profite l’aide au développement ? – Controverses et nouvelles pistes en sont le résultat. Presque tout ce que vous désirez savoir sur ce débat se trouve dans ce livre. Nous ne pouvons en donner ici qu’un aperçu :
Deux points de la critique globale sont regrettables :
Premièrement, elle néglige ce qui est véritablement critiquable dans l’aide au développement.
Deuxièmement, elle ne retient de la controverse scientifique concernant l’efficacité de l’aide que les études qui lui paraissent utiles. Elle ignore celles qui vont en sens contraire.
Ce que néglige la critique globale
Parlons d’abord de ce que néglige la critique globale. Elle ignore ce qu’il faudrait réellement critiquer. Voici les trois points principaux :
– 1. En réalité, les budgets de l’aide au développement sont utilisés de façons très diverses. Les pays donateurs peuvent cibler leur aide sur les besoins des pays bénéficiaires et ainsi transférer des moyens des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres. Mais ils peuvent aussi bien utiliser l’aide au développement pour maintenir leur influence et renforcer leur pouvoir. Ce sont particulièrement les grands États donateurs – très actifs au niveau géostratégique, tels que les États-Unis et la France – qui ont tendance à utiliser l’aide pour favoriser leurs intérêts de politique extérieure. Ce fut particulièrement net lors de la Guerre froide mais cela s’est amélioré depuis. L’aide des petits pays donateurs, notamment des pays scandinaves, de la Hollande et de la Suisse, est beaucoup moins instrumentalisée à des fins égoïstes. C’est pourquoi elle est considérée, au niveau international, comme plus efficace. Il ne s’agit pas d’éthique, mais simplement du fait que les petits pays ne possèdent pas les moyens militaires et économiques qui leur permettraient de mener une politique de puissance au niveau mondial.
– 2. Lorsque les États donateurs utilisent l’aide au développement pour favoriser leurs propres intérêts politiques, militaires et économiques, ils tolèrent l’appropriation illégale d’une partie de cet argent. Vous ne pouvez pas amener le dirigeant d’un pays pauvre à se mettre de votre côté lors d’un conflit géopolitique, à voter en conséquence au sein des organisations internationales et à mener dans la région des opérations secrètes ou militaro-policières que vous ne pourriez pas faire accepter par votre parlement, et exiger en même temps que tout l’argent que vous lui transférez pour ses bons offices soit utilisé pour des soupes populaires et des écoles primaires en faveur des pauvres.
– 3. Au début, l’aide au développement a été la plupart du temps conçue de façon à ce que les économies des pays donateurs puissent en profiter. Une partie importante des sommes attribuées à l’aide au développement revenait sous forme de commandes à l’économie du pays donateur, ce qui a passablement réduit la portée de l’aide sur place. Tout le monde a pratiqué de la sorte, les petits pays comme les grands, ceux qui cherchaient vraiment à tenir compte des besoins des pays bénéficiaires et ceux qui voulaient avant tout en profiter pour affermir leur pouvoir. On critique depuis des décennies cette façon de procéder, ce qui a eu pour effet d’amener une certaine réduction du phénomène ; la Suisse l’a massivement réduit au cours des vingt dernières années.
Usage sélectif des études scientifiques
Venons-en au deuxième aspect contrariant de la critique globale. Elle affirme que l’aide au développement n’a pas profité à la croissance économique et de ce fait n’a pas réduit la pauvreté. Elle s’appuie en cela sur des études économétriques qui n’apportent pas de preuves de l’impact de l’aide sur la croissance économique. Lorsqu’on consulte les publications de la critique globale, on a l’impression que tous les économistes sont d’accord sur le sujet, ce qui n’est pas le cas. La critique globale occulte les études qui vont à son encontre.
Depuis les années soixante-dix, plus d’une centaine d’études concernant la relation entre l’aide au développement et la croissance économique ont été publiées. Les résultats en sont contradictoires. Une majorité affirme que la relation entre l’aide et la croissance économique est positive, une minorité prétend le contraire.
Jusqu’il y a quatre ans, toutes les études se fondaient sur les sommes totales de l’aide présentées officiellement. En faisaient partie, outre les sommes destinées à l’aide au développement proprement dites, celles dépensées pour favoriser les intérêts des pays donateurs. Il va de soi que les paiements destinés à favoriser la politique extérieure, les dessous de table offerts aux régimes amis, les sommes devant favoriser l’économie du pays donateur n’étaient guère propices à la croissance des pays bénéficiaires.
Au cours des quatre dernières années, les économistes ont donc été amenés à estimer qu’une analyse d’efficacité n’avait de sens que si l’on se fondait uniquement sur l’aide destinée réellement à favoriser le développement. Toutefois cela est particulièrement difficile, car aucun pays n’isole dans son budget d’aide au développement les sommes destinées à favoriser ses propres intérêts et ses objectifs de pouvoir. Les tentatives de calculer un tant soit peu l’aide effective au développement sont décrites dans notre livre. Nous n’en donnons ici que le résultat : Les études qui ont tenté ce calcul dans le domaine de l’éducation sont parvenues à la conclusion que le nombre d’élèves avait nettement augmenté. Elles montrent aussi que l’aide de petits pays industrialisés qui n’ont pas de visées hégémoniques ont un impact positif sur la croissance économique des pays bénéficiaires.
Conséquences politiques paradoxales de la critique globale
Quelles seraient les conséquences d’un succès politique de la critique globale et de la suppression pure et simple de l’aide au développement ? Elles seraient paradoxales : on ne supprimerait que les fonds pour le développement qui apportent vraiment une aide aux plus pauvres. Par ailleurs, les pays donateurs trouveraient les moyens de continuer les paiements motivés par des intérêts économiques et de politique de puissance. Car il y va des intérêts des puissants et des milieux influents au sein des pays donateurs. Il me semble que c’est la raison qui pousse la critique globale à taire l’instrumentalisation de l’aide au développement par les pays donateurs. En résumé, pour elle, l’aide instrumentalisée est bonne, l’aide réelle mauvaise.
Le débat de politique intérieure
Nous arrivons à la fin de nos réflexions. En comparaison d’autres pays donateurs, la coopération au développement officielle de la Suisse se révèle positive. Pour les raisons que je viens d’évoquer, nous nous exprimerions de façon beaucoup plus critique sur l’aide au développement étatique s’il s’agissait d’autres pays. Toutefois, les débats de politique intérieure de ces dernières années nous amènent à faire quelques remarques actuelles :
Concentration
Il est raisonnable de vérifier périodiquement et de réduire la liste des pays dans lesquels la Suisse s’implique. Pour ce qui nous concerne, le point crucial n’est pas le nombre des pays prioritaires, mais le nombre de petits engagements dans d’autres pays. Leur liste doit être réexaminée. L’OCDE insiste sur un nombre réduit de pays prioritaires du fait que de grands pays donateurs européens souhaitent que la Suisse fournisse une plus grande contribution au budget d’aide à ces pays. Cela ne devrait pas être un critère pour la Suisse.
Simplification institutionnelle
De nombreux arguments parlent en faveur d’une unique instance suisse responsable de la coopération au développement. Toutefois, dans la mesure où elle reste répartie sur deux départements fédéraux, il serait heureux que ces deux instances travaillent dans les mêmes pays, cela afin de concentrer les efforts. Vouloir « se dissocier » géographiquement n’offre pas de solution au problème de la coordination. Alors que jusqu’à présent la Direction du développement et de la coopération (DDC) et la division Coopération et développement économiques du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) oeuvraient dans huit pays (contribution à la concentration), ils ne le feront dorénavant plus que dans deux (contribution à la dispersion).
Orientation vers la base et la pratique
La Suisse devrait préserver cette orientation au sein de sa coopération au développement, car cela représente un avantage qui la distingue de nombreux autres pays donateurs. Au cours des dernières années, on a été tenté à plusieurs reprises de dissocier la coopération au développement de la conception pratique et de la remplacer par une sorte de « diplomatie du développement ». A notre avis, cela n’est pas souhaitable.
Ne pas instrumentaliser l’aide
Le SECO a choisi comme pays prioritaires ceux avec lesquels la Suisse a conclu ou cherche à conclure des accords de libre-échange bilatéraux. Ainsi elle lie ses propres intérêts à la coopération au développement. Certains pays, comme l’Egypte, ont déjà demandé une aide au développement en compensation de l’accord de libre-échange. C’est une condition difficile pour offrir une aide efficace. Le département des Affaires étrangères songe aussi à lier la DDC et son budget à la poursuite des objectifs de politique extérieure. Cette tendance est fatale. Dans la mesure où l’aide au développement veut servir des intérêts égoïstes, elle perd son efficacité. Dans les deux cas, il apparaît que la Confédération n’a pas de budget opérationnel pour sa politique et son commerce extérieurs. De ce fait, l’administration a tendance à se servir du budget de l’aide au développement. On le constate aussi dans le domaine des immigrés, par exemple dans les accords de rapatriement ou dans les « partenariats de migration ».
Pas d’érosion de la coopération bilatérale au développement
En fonction de sa stratégie, la Suisse veut consacrer un tiers de son budget à la coopération multilatérale et deux tiers à la coopération bilatérale. En fait, le budget bilatéral se trouve sous pression du fait que les besoins de financement multilatéral augmentent alors que le budget de l’aide au développement stagne. Comme la Suisse veut maintenir son siège exécutif à la Banque mondiale et au FMI, elle fournit les efforts financiers nécessaires, mais cela aux dépens de la coopération bilatérale au développement. Ce n’est cependant pas le rôle du budget de l’aide au développement de défendre le siège exécutif de la Suisse au sein de la Banque mondiale et du FMI.
Le budget de l’aide au développement
La Confédération devrait viser un budget d’aide au développement digne d’un pays qui profite de la mondialisation. Elle fait partie de cette minorité de pays industrialisés et développés qui profitent de la mondialisation de l’économie mondiale et se trouve parmi les pays les plus riches du monde. Elle est donc tenue d’augmenter jusqu’en 2015 son budget d’aide au développement, comme le demande la Déclaration du Millénaire de l’ONU. Elle doit s’adapter à l’Union européenne et augmenter petit à petit son budget jusqu’à 0,7% du produit national brut (PNB). C’est ce que réclament maintenant 190 000 habitants de notre pays, signataires de la pétition lancée il y a un an par une large alliance d’organisations de la société civile et d’oeuvres d’entraide. Cette pétition sera remise au Parlement fédéral au début de sa session d’été. Ce sera à lui de faire sortir ce budget de la stagnation.
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