246. Dès janvier 2006, j’ai lancé un appel aux parlements nationaux pour qu’ils posent des questions à leurs gouvernements et lancent des enquêtes, le cas échéant, pour clarifier le rôle des gouvernements et de leurs services dans cette affaire. Il y a effectivement eu un grand nombre de questions parlementaires, dans beaucoup d’États membres du Conseil de l’Europe, et je m’en félicite. Malheureusement, les réponses des gouvernements ont été toutes, presque sans exception, vagues et peu concluantes. En Allemagne et au Royaume Uni, le parlement s’est montré particulièrement actif, tandis que dans trois pays visés spécialement par les allégations à la base de ce rapport – la Pologne, la Roumanie et l’ex-République Yougoslave de Macédoine – les réactions parlementaires ont été particulièrement faibles, voire inexistantes.
8.1. Allemagne
247. En Allemagne, des parlementaires d’opposition, bien que peu nombreux depuis les dernières élections, ont posé de nombreuses questions au gouvernement [1]. Les réponses étaient chaque fois très générales [2]. Le gouvernement s’est notamment systématiquement réfugié derrière la compétence de la commission parlementaire de contrôle (parlamentarisches Kontrollgremium, PKG) pour connaître des questions relatives aux activités des services secrets. Un certain nombre de sujets liés au thème de ce rapport ont effectivement été discutés au sein du PKG, mais le rapport détaillé du gouvernement adressé à ce groupe très restreint et travaillant dans un secret très bien gardé a été classé secret. En réponse à la demande que j’ai adressée au président de cette commission, M. Röttgen (CDU), j’ai reçu la version « publique » et franchement peu informative de ce rapport qui ne parle notamment pas des cas individuels évoqués dans les médias. Le gouvernement a tenté d’éviter la création d’une commission d’enquête en transmettant à tous les membres du Bundestag une version plus informative, classée « confidentielle », qui fournit des informations aussi sur certains des cas individuels susmentionnés [3]. Grâce à l’insistance des trois partis d’opposition, une commission d’enquête a néanmoins été établie, qui a commencé son travail au mois de mai [4]. Le mandat de cette commission d’enquête couvre, entre autre, les allégations de collusion entre les autorités allemandes avec la CIA dans le cas d’El-Masri.
8.2. Royaume-Uni
248. Le travail de notre équipe au Royaume-Uni a été largement facilité par de nombreux interlocuteurs, auxquels je souhaite rendre homage [5]. Le Parlement du Royaume-Uni n’a pas encore ouvert une enquête formelle au sujet de l’éventuelle participation britannique aux violations commises par les États-Unis dans le cadre de la « guerre au terrorisme », mais il convient néanmoins de saluer plusieurs initiatives parlementaires visant à élargir le débat public dans le sens d’une plus grande transparence.
249. A la fin de l’année dernière, l’une des commissions permanentes du Parlement britannique, le Joint Committee on Human Rights (commission conjointe sur les droits de l’homme) a mené une enquête pour déterminer dans quelle mesure le Royaume-Uni respectait la Convention des Nations Unies contre la torture. Dans le cadre de son mandat, cette commission s’est penchée sur plusieurs sujets importants pour ce rapport, notamment l’utilisation d’assurances diplomatiques et la pratique des « restitutions extraordinaires ».
250. La commission a organisé une série de séances de récolte d’informations, en présence de ministres du gouvernement [6] ainsi que de représentants d’organisations non gouvernementales [7]. Lors de leur visite à Londres en mars 2006, des membres de mon équipe ont rencontré un expert de la commission et ont pu suivre une séance à laquelle participait le secrétaire d’État à la Défense, le Très Honorable Adam Ingram. Dans son rapport sur le respect par le Royaume-Uni de la Convention des Nations Unies contre la torture, publié le 26 mai 2006 [8], séance lors de laquelle sont intervenus les représentants juridiques des deux personnes concernées, des parlementaires, ainsi que des membres de leurs familles. Cette séance a généré un intérêt médiatique considérable pour ces deux affaires et a coïncidé avec la révélation publique de l’existence de télégrammes du gouvernement envoyés à la CIA avant la restitution des deux hommes. Je tiens à remercier le Président du APPG, le député Andrew Tyrie, ainsi que son équipe, pour le précieux soutien qu’ils m’ont apporté.
8.3. Pologne : enquête parlementaire, en secret
252. En Pologne, une enquête parlementaire concernant les allégations de la présence d’une « prison secrète » dans ce pays a été menée à huis clos. Malgré des promesses qui avaient été faites, les travaux n’ont jamais été rendus publics, si on excepte une conférence de presse pour annoncer le résultat – négatif – de cette enquête. A mon avis, cela ne suffit pas à satisfaire l’obligation positive d’investigation d’allégations sérieuses de violations graves des droits de l’homme.
8.4. Roumanie et l’« ex-République yougoslave de Macédoine » : aucune enquête parlementaire
253. Dans ces deux pays, il n’y a pas eu, à ma connaissance, la moindre enquête parlementaire, malgré les allégations particulièrement sérieuses et concrètes les concernant. Qui plus est, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, la commission de surveillance des services secrets ne fonctionne plus depuis trois ans [9], ce qui est particulièrement inquiétant dans un pays où les services secrets, dans un passé pas aussi lointain, ont joué un rôle particulièrement important et controversé.
Résumé
Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ?
La « toile d’araignée » mondiale
Des exemples concrets documentés de restitutions
Les lieux de détention secrets
Détentions secrètes en République tchétchène
L’attitude des gouvernements
Cas individuels : procédures judiciaires en cours
Les enquêtes parlementaires
L’engagement contre le terrorisme
Perspectives juridiques
Conclusion
[1] Je tiens à remercier notre collègue de commission Sabine Leutheusser-Schnarrenberger (Libéraux), mais aussi M. Stroebele (Verts) des informations qu’ils m’ont fournies de manière régulière à ce sujet.
[2] Ceci est également le cas d’autres gouvernements interpellés par des membres de leurs parlements, comme cela a été le cas par exemple en Belgique, au Royaume-Uni, en Suède et en Irlande.
[3] Les noms des personnes figurent par leurs initiales ; cf. note 92 ci-dessus pour ce qui concerne mon approche vis-àvis des versions « confidentielle » et « secrète » de ce rapport.
[4] J’ai été invité à m’exprimer devant cette commission prochainement.
[5] A cet égard, je tiens à mentionner tout spécialement l’ONG « Reprieve », basée à Londres, pour l’aide qu’elle a apportée à mon équipe en fournissant les noms de personnes à contacter, des pistes de recherche et des documents relatifs aux cas sur lesquels elle travaille.
[6] Par exemple, le 6 mars 2006, la commission a entendu le témoignage de Harriet Harman, adjointe du conseiller juridique du gouvernement et secrétaire d’État aux Affaires Constitutionnelles, ainsi que le témoignage d’autres fonctionnaires de son ministère. Une retranscription non corrigée de la séance est disponible en ligne à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/jt200506/jtselect/jtrights/uc701-iii/uc70102.htm.
[7] Le 21 novembre 2005, la commission a entendu les témoignages de Human Rights Watch, d’Amnesty International et de REDRESS. Une retranscription non corrigée de la séance est disponible en ligne à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/jt200506/jtselect/jtrights/uc701-i/uc70102.htm
[8] L’intégralité du rapport est disponible en ligne à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/jt200506/jtselect/jtrights/185/18502.htm ; toutes les preuves orales et écrites ont fait l’objet d’une publication séparée, disponible à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/jt200506/jtselect/jtrights/185/185-ii.pdf.]°, la commission a fait état de requêtes de plus en plus nombreuses en faveur de l’ouverture d’une enquête publique indépendante au Royaume-Uni ; elle a toutefois décidé qu’une telle mesure demeurait prématurée tant que les enquêtes du gouvernement n’avaient pas été rendues entièrement publiques.
251. Entre-temps, un groupe spécial, le All-Party Parliamentary Group on Extraordinary Renditions (APPG, Groupe parlementaire multipartite sur les restitutions extraordinaires) a mobilisé des membres du parlement britannique de tous les partis politiques. Le 28 mars, des membres de mon équipe ont pu assister à la séance d’information du APPG au sujet des cas Al-Rawi et El-Banna [[Voir la partie du rapport traitant de ces cas, ci-dessus titre 3.5.
[9] Réponse du parlement macédonien (Sobranie) au questionnaire de la Commission temporaire (TDIP). Voir www.statewatch.org/rendition
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