La destruction de Yukos est presque terminée malgré nos efforts pour empêcher que l’animosité personnelle des autorités à mon encontre n’atteigne les actionnaires minoritaires, les employés ordinaires et le pays dans son ensemble. Il y a un an et demi, j’ai proposé de rendre mes actions pour mettre un terme aux attaques contre l’entreprise mais une autre voie a été choisie avec une application sélective de la loi et la destruction de la confiance de la communauté des affaires dans la justice et l’autorité.
La façon dont s’est déroulée la mise en place des sanctions contre Yukos ne laisse aucun doute sur le fait que tout le processus était planifié et que ceux derrière cette affaire se moquent des intérêts politiques et économiques du pays. La question aujourd’hui n’est plus de sauver Yukos, la question est : quelle leçon le pays va-t-il tirer de cette affaire ? Aujourd’hui, ma fortune, qui était estimée à 15 milliards de dollars, est tombée à zéro. Je savais que cela arriverait et je souhaitais seulement que l’entreprise, les actionnaires minoritaires et les employés ne soient pas touchés. Je suis préoccupé par le sort des dizaines de milliers d’actionnaires qui ont estimé qu’ils pouvaient faire confiance à Mikhail Khodorkovsky et à son équipe pour redresser l’entreprise qui était au plus mal en 1995. Dans un premier temps, ils ont d’ailleurs eu raison puisque nous avons permis à l’entreprise de remonter la pente pour devenir la première entreprise énergétique russe derrière Gazprom. Je ne veux pas entrer dans les détails des trésors d’imagination que les autorités ont dû déployer pour inventer des impôts que Yukos est censé ne pas avoir payés. Cela aboutit simplement à ce que, sur certaines périodes, Yukos devrait plus d’argent au gouvernement russe que ce qu’elle a gagné.
Cela va peut-être paraître étrange à beaucoup mais je ne suis pas rendu inconsolable par la perte de ma fortune. Je suis même reconnaissant à la prison, qui m’a permis de disposer de temps pour réfléchir sur ma vie et de remettre en cause bien des aspects de mon existence. Trop souvent j’ai agi en craignant de tout perdre et en me réprimant, aujourd’hui je suis vraiment libre et je sais ce qui est important dans l’existence. J’éprouve une grande pitié pour ceux qui pensent avoir fait quelque chose de bien pour le pays en m’emprisonnant. L’enfer est pavé de bonnes intentions et au milieu du chemin ils comprendront que l’obsession de la redistribution des richesses est incompatible avec les impératifs actuels de l’économie moderne.
Aujourd’hui, on veut le garder en prison car on craint que je veuille me venger. Relax ! je n’ai pas l’âme d’un Monte Cristo et contrairement à eux j’ai compris que l’argent n’est pas tout.

Source
International Herald Tribune (France)
L’International Herald Tribune est une version du New York Times adaptée au public européen. Il travaille directement en partenarait avec Haaretz (Israël), Kathimerini (Grèce), Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne), JoongAng Daily (Corée du Sud), Asahi Shimbun (Japon), The Daily Star (Liban) et El País (Espagne). En outre, via sa maison-mère, il travaille indirectement en partenarait avec Le Monde (France).

« Letter from a Russian prison », par Mikhail Khodorkovsky, International Herald Tribune, 12 janvier 2005. Une version plus longue de cet article a été publiée en russe dans le journal Vedomosti.