La tenue du sommet de l’ONU du 24 au 26 juin 2009 est un évènement à saluer. C’est le signe d’une prise de conscience : la crise doit être débattue avec la participation de tous les chefs d’Etat au lieu d’être circonscrite au club étroit du G8 déguisé pour l’apparence en G20 en avril 2009. Cependant, cette révolution a un impact limité. Les intimidations des pays industrialisés ont permis de repousser le Sommet de début juin à fin juin, et de nombreux gouvernements se sont fait représentés par des troisièmes couteaux afin de réduire le niveau de représentation de cette assemblée générale des Nations Unies. Si c’est par peur d’une remise en cause fondamentale du capitalisme, qu’ils soient tranquilles. Seul le néolibéralisme, le mal le plus voyant est remis en cause dans le rapport Stiglitz. Le débat porte ainsi sur un diagnostic souvent juste mais qui ne va pas assez à la racine des problèmes. Surtout les propositions sont tout à fait insuffisantes.
Les intimidations du G8
C’est suite à l’appel de plusieurs dirigeants des pays du Sud, lors de la Conférence internationale sur le financement du développement tenu en décembre 2008 à Doha que le président de l’Assemblée générale, Miguel d’Escoto Brockmann, a annoncé la mise en place de ce sommet. Rappelant la dimension historique de la crise, il a immédiatement énoncé le souhait que les plus hauts niveaux des gouvernements participent à cette conférence.
Il a souligné que la crise économique et financière actuelle était la « pire depuis le début des Nations Unies ». « Elle atteint le monde entier », a-t-il dit, estimant qu’elle était « principalement le résultat de l’irresponsabilité sociale et de l’avidité de quelques pays, alors que c’est une majorité d’États qui en paient le prix ».
Une très sérieuse commission d’experts, sous la présidence de Joseph E. Stiglitz (prix Nobel d’économie en 2001) fût mandatée afin de proposer des solutions à la crise. Le fruit de leurs travaux, présenté entre le 28 et 29 avril à l’ONU énonce des pistes pour réformer le système financier international. Deux négociateurs, l’un ambassadeur des Pays Bas, l’autre de Saint-Vincent les Grenadines, ont assisté le Président de l’Assemblée Générale quant à la préparation de la première version du projet de document final de cette Conférence, soumise aux représentants des 192 pays le 8 mai 2009 par Miguel d’Escoto Brockmann.
Ce jour là, dans l’Assemblée générale de l’ONU, le groupe des représentants des pays occidentaux se souleva, avec à sa tête le « co-facilitator » des Pays Bas. La raison de leur « révolte » ? Le document présenté en séance par le Président de l’AG n’est pas le même que celui qu’il a soigneusement préparé. Après avoir loué la transparence dont il a fait preuve pour concerter la « société civile » et les autres gouvernements, il dénonce le manque de transparence cette fois de Miguel d’Escoto Brockmann. Le document de ce dernier ne refléterait pas assez les recommandations émises par les négociateurs. Le voila maintenant forcé de reconsidérer la participation des plus hauts représentants hollandais au Sommet. La fronde est lancée. Même si le président de l’Assemblée générale reprend la parole de suite et propose de ne pas entrer dans le débat avant que le document soumis n’ait été étudié, cela ne calme pas les ardeurs des Occidentaux. La République tchèque, parlant aussi au nom de l’Union européenne suivie par les États-Unis, l’Allemagne et le Canada reprennent les arguments du « camp des Occidentaux » et reconsidèrent aussi le plus haut niveau de représentation pour le Sommet. Les prises de parole de Cuba, du Venezuela, de la Bolivie, du Ghana, de la Syrie, du Soudan ou encore de l’Algérie et de l’Iran n’y changeront rien. Ni même celle de Miguel d’Escoto Brockmann qui s’est défendu à plusieurs reprises en insistant sur le caractère multilatéral et intergouvernemental des négociations effectuées en amont de la présentation du document. Ainsi, il défend son document comme étant le reflet des préoccupations de la majorité des pays de l’ONU, G20 inclus. Confirmant à plusieurs reprises qu’il n’existait qu’un document (le sien), il a prié les États contestataires de se concentrer sur le fond du document, et non sur la forme.
Le 8 mai 2009 fut une double victoire pour les Occidentaux. Non seulement le Sommet a été repoussé de début à fin juin, mais en plus un nouveau document a été soumis à la discussion. Décidément, le G8 n’aime pas lorsque ce n’est pas lui qui est à l’initiative. Le dédain de l’Occident a encore frappé. Mais les autres pays ont aussi gagné sur un plan : les Occidentaux ne seront pas les seuls à débattre de l’avenir du monde. Et le Sommet mérite quand même toute notre attention. Quel que soit le document proposé, tous seront inspirés du rapport de la Commission Stiglitz. Et malheureusement, le capitalisme n’est pas fondamentalement remis en cause.
Un diagnostic pertinent mais des mesures limitées
Le texte commence fort en montrant du doigt les causes de la crise actuelle. Il met par exemple, l’accent sur la nécessité d’interdire la spéculation sur les produits énergétiques ou alimentaires, considérant cette pratique comme étant un crime. Il y est dit que le système économique actuel concentre les revenus, la richesse et le pouvoir et que le rôle de l’État doit être renforcé dans l’optique d’avancer vers une économie qui met l’accent sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Mais le texte montre aussi ses limites. La première et de loin la plus importante est que la crise et le monde y sont analysés sous le seul angle de la finance et de l’économie. Le diagnostic parle de l’interconnexion des crises financière et économique. Mais les crises alimentaire, climatique, énergétique, sociale sont mentionnées dans une optique de long terme. Il y a prise de conscience de la dimension globale de la crise mais l’urgence est à l’économie et à la finance. Il est regrettable que le mandat de la Commission Stiglitz ne soit articulé qu’autour de la réforme du système monétaire et financier international. Le reste suivra t-il ?
Le document du Président de l’Assemblée générale propose un plan d’action en 6 points :
1) Plan de relance
« Les pays industriels doivent par conséquent réserver au moins 1 % de leur plan de relance pour accompagner la reprise dans les pays en développement, et en plus augmenter leurs engagements traditionnels en matière d’Aide publique au développement (APD). Pour que le financement des politiques de relance des pays en développement ne se traduise pas par un surcroît de leur dette extérieure qui en annulerait les effets, le financement doit se faire sous forme de dons aussi bien que sous forme de prêts. »
Le rapport préconise une concertation pour les plans de relances des pays industrialisés dans l’optique d’en démultiplier les effets. Il insiste sur les sources de financement des plans de relance des pays en développement. En plus de l’ADP et les 1 % des plans de relance des pays industrialisés, il est envisagé de créer un fond supplémentaire de Droit de tirages spéciaux (DST), la monnaie du FMI pour leur « venir en aide ».
La logique des plans de relance ne sera pas de transformer le mode de développement mais de continuer à soutenir l’actuel. Les promesses concernant l’aide publique au développement (APD) n’ont jamais été tenues par l’écrasante majorité des pays, crise ou pas crise.
2) Des ressources pour restructurer
Un nouveau mécanisme de crédit est à l’étude. Le rapport fait état de l’importante source de financement que représentent les fonds épargnés par les pays émergents. La mise à disposition de ces liquidités pourrait créer une source de financement alternative aux institutions financières internationales classiques.
Bien que l’idée soit bonne, tout dépend de l’utilisation de ces fonds une fois à disposition. La suite du rapport ne donne pas satisfaction. Il dit qu’ « il faudrait ensuite que les fonds servent à financer des investissements clefs, dans les domaines qui intéressent particulièrement les économies de marché émergentes, par exemple le développement de l’agriculture africaine et de ses capacités d’exportation qui renforcerait aussi la sécurité vivrière d’autres régions, par exemple en Asie et dans les pays arabes. On pourrait enfin utiliser les fonds ainsi obtenus pour aider les pays en développement à garantir les créances commerciales ou les dettes de leurs grandes entreprises, écartant ainsi le risque que celles-ci ne fassent l’objet de mouvements désordonnés ».
Si le but est de favoriser le rachat des terres vivrières africaines par des fonds souverains étrangers sans assurer au préalable la souveraineté alimentaire de l’Afrique, cette solution suit la logique néolibérale. Il en va de même concernant la garantie des créances commerciales ou des dettes des grandes entreprises. Le but n’est pas de privatiser les bénéfices et de socialiser les pertes.
3) Annuler la dette ?
Prenons pour exemple la partie sur la dette des pays en développement. Il y est énoncé que la dette des PED tend à devenir insoutenable et que les nombreuses éventualités de défauts de paiement risquent d’avoir un effet négatif sur l’économie mondiale. La possibilité d’un moratoire et, éventuellement, d’une annulation partielle de la dette est annoncée. Mais une annulation partielle ne suffit pas. D’autant plus que la grosse majorité des dettes des PED ont une origine illégale ou odieuse. Une simple restructuration de la dette ne sera pas suffisante.
4) Un nouveau système de réserve
La « monnaie » émise par le FMI sous forme des droits de tirage spéciaux paraît être en tête pour devenir une alternative au dollar. Les limites d’un système monétaire international basé sur une monnaie unique sont prises en compte. Mais le renforcement du FMI comme alternative est un piège. Sans le remplacement de cette institution par un nouvel organisme démocratique, le monde ne trouvera pas une issue à la crise qui les droits humains et l’environnement.
De plus, même si la contestation de l’hégémonie du dollar paraît être révolutionnaire, ce n’est qu’une contestation logique. L’utilisation de la planche à billet par l’administration Obama renforce la menace d’une dépréciation du dollar. Ces derniers jours, l’Organisation de coopération de Shanghai et les pays du BRIC sont plus actifs. Établir un nouveau système de réserve est indispensable. Mais ce n’est que s’adapter à la prochaine chute du dollar, dont l’hégémonie est vouée à disparaître.
5) Régulation et coordination de l’économie globale
A l’évidence, c’est une nécessité et le débat là dessus n’a pas attendu le G-192 pour être lancé. Chère aux mouvements altermondialistes depuis longtemps, la question de la régulation est centrale. Bien qu’insistant sur les critiques du libre échangisme et du néolibéralisme, l’accent est mis très vite sur les dangers du recours au protectionnisme. Tout comme un libre échangisme absolu, un protectionnisme absolu n’est pas une solution. Néanmoins, il faut affirmer le droit des pays à prendre des mesures pour protéger les droits humains de leur peuple. Il faut abolir les règles de l’Organisation mondiale du Commerce qui pousse à toujours plus de libéralisation, au détriment des conséquences sociales et climatiques. Il faut remplacer cette organisation par une nouvelle institution qui ait pour objectif de faire respecter les droits humains dans les relations commerciales. Les droits humains plutôt que le droit de la concurrence et des affaires. Il faut rendre contraignantes et passibles de sanctions les accords bafouant les droits humains fondamentaux regroupés dans les différents Pactes et textes de l’ONU. Le droit international existe et il ne doit pas être subordonné au droit des affaires.
La notion de « biens communs à l’humanité » doit être placé au centre du débat et avec elle, la question des taxes globales
6) Les institutions financières internationales
Le FMI voit ses moyens triplés. Mais il reste hors de contrôle de l’ONU. La réforme de cette institution financière coupable de néolibéralisme appliqué à tout va n’est pas à l’ordre du jour du Sommet. Seul la réforme de sa gouvernance est abordée. S’il est souhaitable et normal que la position de Directeur Général du FMI ne soit pas accordée seulement aux Européens, seule une réforme en profondeur (Droit de vote, Soumission à la Charte de l’ONU, mission de combattre la spéculation et de réglementer strictement les mouvements de capitaux, …) justifierait que l’on n’abolisse pas cette institution responsable d’une généralisation massive de la pauvreté. Sans cela, les plans d’ajustements structurels et autres outils de domination continueront de faire prospérer l’ingérence Occidentale. Dans la mesure où les États-Unis détiennent un pouvoir de veto sur toute décision importante du FMI, on ne peut espérer qu’une réelle réforme est réalisable. C’est pour cela que le CADTM est favorable à son remplacement.
Dans la forme, le discours du rapport Stiglitz est appréciable mais dans le fond, les propositions d’actions sont plus que modérées. Là est le problème. La logique reste financière. Le diagnostic contient des éléments de vérité mais ne débouche pas sur des mesures adéquates. Ainsi, l’objectif est donc de refonder ou réguler le capitalisme mais non pas de changer radicalement de système. Des critiques, mêmes féroces envers le seul néolibéralisme ne sont pas suffisantes. Pour sortir de la crise, il faut une approche globale et transversale. A l’heure ou la FAO déclare que le nombre de personnes souffrant de la malnutrition pourrait atteindre 1.2 milliards de personnes en 2009, seules des mesures radicales et structurelles permettront de développer un système basé sur les droits humains fondamentaux et le respect de l’environnement.
Sortir de la crise
Le mécanisme de l’endettement mis en place dans les PED sous la houlette du FMI ou de la Banque Mondiale depuis plusieurs décennies a plongé ces pays dans la pauvreté. Ces institutions, avec la complicité des dictateurs des PED, soutenus par les intérêts occidentaux, ont financé des projets qui n’amélioraient en rien les conditions de vie de la population.
L’objectif officiel de la Banque mondiale est d’assurer le développement des pays pauvres. Mais son agenda caché révèle une foi inébranlable dans le néolibéralisme. Résultat : la dette publique a explosé et les inégalités dans le pays se sont renforcées. Que la dette soit qualifiée d’illégale ou d’odieuse, le constat est le même : il faut la répudier et des réparations doivent suivre !
Surfant sur la vague du néolibéralisme depuis les années 1980, le poids de la dette de la majorité des PED n’a fait que s’accentuer et occupe, encore souvent aujourd’hui, le premier poste budgétaire de dépense des Etats. Tant que cet outil moderne de néocolonialisme continuera d’être payée, les PED n’auront pas les moyens de conduire des politiques de développement socialement juste et respectueuses de l’environnement.
Un regard sur les récent flux liés à la dette ou comment le Sud donne de l’argent de poche au Nord :
Evolution du stock de la dette | |
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Stock | |
Stock de la dette en 1970 | 70 milliards $ |
Stock de la dette en 2007 | 3 360 milliards $ |
Remboursements entre 1980 et 2007 | 7 150 milliards $ |
Constat : Les PED ont remboursé l’équivalent de 102 fois ce qu’ils devaient en 1970, mais entre temps leur dette a été multipliée par 48.
Transfert net sur la dette | |
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Transfert net sur la dette extérieure publique à long terme en 2007 | - 18,9 milliards $ |
Total 1985-2007 | -759 milliards $ |
Note : On appelle transfert net sur la dette la différence entre le service de la dette (remboursements annuels - intérêts plus principal - aux pays industrialisés) et les sommes reçues sous forme de prêts pendant la même période.
Comparaison avec le Plan Marshall | |
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Plan Marshall pour l’Europe après la Seconde Guerre mondiale | 100 milliards $ |
Transfert net sur la dette extérieure publique pour la période 1985-2007 | 759 milliards $ |
Nombre de plans Marshall transférés vers les pays riches entre 1986 et 2007 | 7,5 milliards $ |
Constat : L’équivalent de 7,5 Plan Marshall ont été envoyés du Sud vers le Nord. Les PED remboursent bien plus qu’ils ne reçoivent. Rien qu’en 2007, ils ont remboursé 18,9 milliards de plus que ce qu’ils ont reçu.
Loin de mettre en cause le caractère odieux de la dette de la majorité des PED, le rapport insiste seulement sur l’insoutenabilité de celle-ci. Pourtant, mettre en place des audits, suspendre les paiements et annuler les dettes est un préalable pour construire les bases d’un monde nouveau. Les puissances du Nord doivent verser des réparations aux peuples du Sud et de nouveaux mécanismes alternatifs doivent être mis en place. Ils doivent avoir une dimension globale, financière, économique ainsi que sociale, écologique, politique ou encore migratoire.
Face à l’urgence d’un mode de développement alternatif, le G20 fait de la résistance.
Après le simulacre de régulation lors de la réunion du G20, début avril 2009, dans lequel les pays les plus puissants de la planète ont fait semblant de lutter contre l’instabilité financière, notamment en montrant du doigt quelques paradis fiscaux, les gouvernements des pays riches montrent aujourd’hui le mépris qu’ils ont envers la majorité de la population mondiale. En effet, l’assemblée générale de l’ONU est le seul organe international démocratique ou la voix des 192 pays est entendue, à la différence du G20 qui, en plus d’être antidémocratique, ne représente que les intérêts des pays riches et de quelques grandes puissances émergentes du Sud.
Loin de prendre conscience de la gravité de la crise financière, économique, sociale, alimentaire et écologique, les puissants de ce monde, premiers responsables de la situation actuelle délégitime le rôle de l’Organisation des Nations Unies. Il est certain que le fait que l’ONU prenne des initiatives ne plaît pas du tout aux dirigeants occidentaux. C’est pourtant une initiative à louer, significative de la prise en main par d’autres pays que ceux dit industrialisés de la problématique commune à tous du développement.
Nous vivons une crise de civilisation, une crise non pas seulement conjoncturelle mais structurelle et systémique. Cette crise est une occasion qui doit nous servir à abolir le capitalisme dans l’optique d’établir un système mondial basé sur la satisfaction des besoins humains dans le respect de la nature.
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