Le discours inaugural de George W. Bush n’était pas une déclaration d’une stratégie mais l’expression de principes politiques. Il ne faut pas prendre ce discours comme un programme, car dans ce cas il faudrait s’inquiéter des simplifications outrancières, mais il ne s’agit que de l’expression de ce que désire la majorité des peuples du monde. Les critiques du discours se sont focalisées sur trois points : ce discours manque de réalisme, il justifie l’ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays et il ne dit rien de l’attitude à adopter face à la Russie, la Chine, l’Égypte, l’Arabie saoudite ou le Pakistan qui ont coopéré avec nous contre le terrorisme mais ne sont pas démocratiques. J’ai fait miennes ces critiques tout en précisant qu’il ne fallait pas commettre l’erreur de comprendre ce discours comme un programme politique. C’est un sermon, John Kerry aurait pu faire le même et de nombreux présidents se sont soumis à cet exercice de style. Carter ou Wilson en avaient fait de même.
Lors du second mandat, je ne m’attends pas à de fortes pressions sur la Russie ou la Chine en ce qui concerne la liberté, mais il y en aura pour l’Iran car c’est un argument pratique face au problème nucléaire iranien. La nouvelle administration Bush poursuivra la politique de l’ancienne avec de légères inclinaisons dues au changement à la tête du département d’État et à la composition de l’équipe en son sein, plus réaliste, plus pragmatique et avec plus de qualité. Je pense notamment à Robert E. Zoellick en disant cela. Colin Powell aussi était un pragmatique mais il était isolé. Ce ne sera pas le cas de Condoleezza Rice. Toutefois, cette influence s’exercera surtout si les néo-conservateurs rencontrent des difficultés.
Si nos alliés veulent des changements, ils doivent faire des propositions, pas seulement des critiques. Les Européens et les Japonais doivent s’investir. les États-Unis tiendront compte des Européens et des Japonais quand ils sentiront que ces pays peuvent être des acteurs majeurs et qu’ils ne se contentent pas de critiquer, comme Jacques Chirac et Gerhard Schröder, ou de ne pas critiquer, comme Junichiro Koizumi.
Concernant la politique nord-coréenne, nous menons des discussions multipartites, mais en refusant de discuter directement avec Pyongyang, nous n’avons ni la carotte, ni le bâton et nous ne faisons pas de grands progrès.

Source
Mainichi Daily News (Japon)
Adaptation anglophone du Mainichi Shimbun.

« Analyzing President Bush’s Inaugural address », par Zbigniew Brzezinski, Mainichi Daily News, 7 février 2005. Ce texte est adapté d’une interview.