Rafic Hariri, qui vient d’être tué dans un attentat, était pourtant le moins probable des martyrs de la cause de l’indépendance libanaise. Il était passé de la pauvreté à la richesse grâce au patronage des Séoud et il n’avait pas grande foi dans les opinions politiques, il croyait à l’importance de la richesse et du pragmatisme. Il estimait que la place du Liban était dans la lignée de son héritage phénicien : faire du commerce, des activités bancaires et du tourisme. Il a toujours tout fait pour rester du bon côté face aux Syriens. Il connaissait les risques d’affronter Damas et les assassinats commis par la Syrie contre les nationalistes libanais.
Hafez El Assad avait toujours considéré que le Liban était à lui ; la guerre lui a permis de s’en emparer et de faire de ce pays à la culture riche une base pour son armée et une base lucrative pour les trafics qui enrichissaient sa kleptocratie. Cette prise du Liban a été rendue possible par le silence du reste du monde qui a vu la Syrie comme le pompier d’un Liban volatile. Les États-Unis ne soutinrent pas Michel Aoun, quand celui-ci se rebella contre les Syriens en échange de l’engagement de Damas contre l’Irak lors de la première Guerre du Golfe. On sacrifia donc à la souveraineté du Koweït, qui avait du pétrole, la souveraineté du Liban, qui n’avait que des cèdres.
Hariri s’était éloigné de Damas en se croyant protégé par ses liens avec Jacques Chirac et les Séoud. Il s’était associé aux chrétiens et aux druzes et la Syrie a riposté. Il faut désormais que la Syrie quitte le Liban. Le Liban, mon lieu de naissance, n’aura plus jamais sa splendeur passée mais il peut redevenir un phare de la modernité arabe. Ce serait un pas dans le sens du développement de la liberté dans le monde arabe.

Source
Daily Star (Liban)
Wall Street Journal (États-Unis)

« Death of a Businessman », par Fouad Ajami, Wall Street Journal, 17 février 2005.
« Hariri sought the dignity of a businessman’s peace », Daily Star, 23 février 2005.