Profondément touchée par la crise financière, l’économie espagnole est entrée en récession. Madrid a été contraint, ou a cru l’être, de passer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international qui lui a imposé un sévère plan d’austérité. Le gouvernement Zapatero s’est incliné avant même que les Espagnols aient eu l’occasion de débattre des autres options.
Frappée de plein fouet par l’éclatement de la bulle immobilière, l’Espagne est entrée en récession fin 2008. Au premier trimestre 2010, le PIB a progressé péniblement de 0,1% et il s’agit de la première hausse de cet indicateur, par ailleurs contesté [1] à juste titre, après sept trimestres consécutifs de contraction ou stagnation. Depuis l’éclatement de la crise économique, l’Espagne, quatrième économie de la zone euro, a vu son taux de chômage officiel doubler à près de 20 % de la population active, passant de 1,76 million de chômeurs au deuxième trimestre 2007 à 4,6 millions au premier trimestre 2010.
Impatients, le FMI et les marchés imposent une cure d’austérité
Sous la pression des marchés financiers, l’Espagne décide au printemps 2010 de prendre les devant et annonce vouloir économiser 50 milliards d’euros en trois ans afin de ramener les déficits publics de 11,2 % du PIB en 2009 à 3 % en 2013, conformément aux désidératas de la Commission européenne. Le gouvernement Zapatero met alors en place un vaste plan afin de restreindre les finances publiques : gel des embauches dans la fonction publique, report de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans, hausse de la TVA de 16 à 18 % applicable dès juillet 2010…Dans le même temps, profitant de cette offensive, il met en avant des réformes du marché du travail ou sera adoptée une baisse des indemnités de licenciement qui bénéficieront aux capitalistes et réjouira les marchés financiers. Ce plan tombe comme un couperet pour la population déjà malmenée par la crise.
Le 12 mai, le gouvernement annonce une première étape d’ajustement, mais le FMI s’impatiente à nouveau et appelle le 24 mai Madrid à des réformes structurelles « d’urgence »… Sous la pression, le Parlement approuve trois jours plus tard, avec une seule voix d’avance (169 votes pour, 168 contre, et 13 abstentions), un vaste plan d’austérité visant à économiser plus de 15 milliards d’euros sur deux ans. Ce décret-loi inclut une baisse de salaire pour les fonctionnaires (la première depuis le retour de la démocratie post-franquiste) de 5 % en moyenne dès le mois de juin et un gel pour 2011 ; un gel des retraites en 2011 ; la suppression de l’aide à la naissance de 2 500 euros à partir de 2011 ; la réduction de 600 millions d’euros de l’aide au développement en 2010-2011 ; enfin, l’investissement public sera diminué de 6 milliards d’euros d’ici 2011 et le gouvernement va demander aux régions et aux municipalités de faire 1,2 milliard d’euros d’économies supplémentaires. Même si les membres du gouvernement doivent baisser leur salaire de 15 %, et que pour une fois la baisse s’effectuera par tranche progressive, l’économie se fera principalement sur le dos des fonctionnaires et des retraités, et non sur la l’élite capitaliste qui profite finalement de la crise tout en l’ayant provoquée, en particulier le secteur bancaire qui renoue avec ses bénéfices exorbitants (en 2009, Santander a dégagé près de 9 milliards d’euros de bénéfice, BBVA 4,2 milliards, etc.). De plus, le Luxembourg n’étant plus considéré comme un paradis fiscal, le gouvernement y autorise les entreprises espagnoles à investir dès juillet dans ses fonds d’investissements afin de payer un impôt sur les sociétés dérisoire, de l’ordre de 0,01 % [2].
Face aux marchés, le gouvernement Zapatero abdique donc et ne voit d’autres issues à la crise capitaliste que celle du dogme néolibéral : "Ces mesures sont douloureuses, mais indispensables", déclare la ministre de l’Economie et des Finances, Elena Salgado, devant un Parlement en ébullition pour une fois bien rempli. La Commission européenne réagit aussitôt en exprimant sa satisfaction devant des mesures d’austérité qu’elle juge « nécessaires » et allant « dans la bonne direction » [3] . De même, le secrétaire général de l’OCDE, Ángel Gurría, appuie le plan espagnol : « Ce qu’a fait l’Espagne dans les dernières semaines prouve qu’en Espagne il y a une volonté politique » [4] , volonté politique que l’OCDE ne semble pas désapprouver, bien au contraire…
Les agences de notation, chiens de garde du néolibéralisme
Un mois après que Standard & Poor’s ait dégradé la note de l’Espagne le 28 avril (de "AA+" à "AA"), l’agence Fitch suit le mouvement et descend d’un cran la qualification de la dette espagnole. En effet, si la dette publique établie à 53 % du PIB en 2009 est inférieure à celle de nombreux pays de la zone euro, celle du secteur privé à 178 % du PIB selon Standard & Poor’s inquiète. De plus, jugeant insuffisantes les mesures d’austérité tout juste approuvées par le Parlement, Fitch envoie un signal fort vers encore plus de flexibilité du travail : "La rigidité du marché du travail et la restructuration des caisses d’épargne locales et régionales vont gêner le rythme de l’ajustement" [5]. De même, le FMI espère voir aboutir la réforme et son directeur général, Dominique Strauss-Kahn, dans un entretien publié le 31 mai 2010 par le journal ABC déclare : "Les mesures que le gouvernement a prises sont fortes et devraient permettre le retour à la confiance à l’avenir. Le tout est de savoir comment ces mesures seront mises en place, surtout celles relatives au marché du travail"… Ces avertissements sont entendus et M. Zapatero annule son voyage au Brésil tout en pressant les partenaires sociaux pour un accord imminent sur cette réforme du marché du travail qui prévoit entre autres de réduire les indemnités de licenciement, donnant par la même occasion l’opportunité aux chefs d’entreprise de procéder à des licenciements à bas coûts... Après avoir adoptée la réforme, Zapatero devra la soumettre au directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui réclame un changement du marché du travail espagnol « radical, ambitieux et profond » [6]. Réforme qui intéresse évidement la Banque mondiale puisque celle-ci classe les pays suivant le climat des affaires afin d’aider les entrepreneurs à choisir le meilleur endroit où faire le plus de profits sur le dos des travailleurs [7].
Et la France ?
Par ailleurs, Fitch voit d’un bon œil l’évolution de la réforme des retraites en France qui prévoit de repousser l’âge de la retraite de 60 à 62 ou 63 ans, et l’objectif de réduction de 10 % des dépenses de fonctionnement de l’Etat sur 2011-2013. Maria Malas-Mroueh, directrice associée chez Fitch Ratings, déclare alors que son agence a « le sentiment d’un changement notable dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis de l’importance et de l’urgence d’une amélioration des finances publiques » [8]. La France conserve donc sa meilleure note « triple A ». Bien sûr, si la réforme des retraites n’était pas approuvée à cause des mobilisations sociales, on pourrait s’attendre à une dégradation de la note de la France et, par voie de conséquence, une augmentation du « risque pays » influant sur les intérêts à rembourser… Les réformes du capitalisme annoncées au plus fort de la crise sont bien loin et ce sont les victimes de cette crise qui, une fois de plus, vont payer.
Pas d’alternatives ?
Des solutions alternatives existent bel et bien, ce n’est pas l’argent qui manque et si elles n’ont pas été choisies, c’est bien le signe d’une volonté politique. En tout premier lieu, la mise en place d’un audit indépendant durant lequel un moratoire suspendrait le paiement de la dette. Ce processus permettrait de répudier le remboursement de dettes illégales et dégagerait d’importants fonds actuellement dédiés au service de la dette. En outre, une fiscalité sur le patrimoine des hauts revenus libèrerait des sommes conséquentes qui pourraient être utilisées à la satisfaction des besoins élémentaires des plus démunis. En Espagne, des économistes contactés par le quotidien Público ont énuméré quelques uns de ces autres choix possibles [9] :
– Au lieu de geler les pensions de retraites en 2011, l’Etat pourrait récupérer les 1,5 milliard d’euros d’économie prévue par cette mesure en retirant les troupes d’Afghanistan, du Liban et de la Somalie (750 millions d’économie) et en éliminant l’investissement en Recherche et Développement de l’industrie militaire prévu pour 2010 (950 millions d’euros). Si l’on ajoute les 1,4 milliard d’euros prévu en investissement militaire pour 2010, on arrive à 3,1 milliards d’économie. Rappelons que le budget militaire dépasse 18 milliards d’euros pour 2010 [10], à savoir 50 millions par jour, soit 5 fois plus que pour le budget de l’éducation et la science.
– Si l’on supprime les salaires des professeurs qui donnent des cours de religion dans les centres publics (650 millions par an) en adéquation avec l’idée d’un Etat laïc, on pourrait sauvegarder les 600 millions de l’aide au développement.
– Une autre idée avancée afin de récupérer 785 millions en deux ans est de proportionner les contenants de médicaments à la durée standard de traitement et stimuler les médicaments mono-dose.
– Par ailleurs, une piste possible qui ne figure pas dans les alternatives émises par les économistes cités dans Público serait de sortir du FMI et récupérer les 9,63 millions d’euros versés récemment au Fonds Fiduciaire pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté du FMI.
Enfin, les quelque 600 000 euros (chiffre avancé par le syndicat de police de Catalogne) utilisés pour le dispositif de sécurité de la réunion du très secret club Bilderberg à Sitges dans un hôtel transformé en bunker pour l’occasion début juin 2010 auraient pu servir dans l’intérêt du contribuable. Les banquiers, entrepreneurs, personnalités de l’OTAN ou de la Commission européenne qui y prennent part sont les chefs d’orchestre d’une économie capitaliste en ruine, mais qui tente coûte que coûte de poursuivre son travail d’oppression. Dans cet hôtel de luxe, devant un parterre de multimillionnaires et de décideurs à leur service, M. Zapatero a pris la parole pour défendre sa politique économique censée réconcilier les Espagnols avec la croissance dont on veut nous faire croire à tort qu’elle se répercute sur les classes pauvres. L’histoire fourmille de contre exemples à cette théorie [11].
[1] Le Produit Intérieur Brut (PIB) est entre autre contesté car censé mesurer la création de richesse, il ne mesure pas le travail des femmes au foyer ni le travail informel et ne tient pas compte de la dégradation écologique engendrée par cette croissance économique. Ainsi, le PIB considère l’effet d’un tsunami ou d’un accident de la route comme une contribution positive à la croissance du fait des transactions qu’il induit.
[2] « El Gobierno autoriza un producto que permite a grandes patrimonios pagar menos impuestos », Expansión, 1 juin 2010.
[3] « Notre première impression est que les mesures vont dans la bonne direction, que les efforts supplémentaires de consolidation budgétaire étaient nécessaires et, en ce sens, il y a bien sur une satisfaction qu’ils soient approuvé », Amadeu Altafaj, porte parole de la commission européenne pour les affaires économiques.
[4] « Ce qu’a fait l’Espagne ces dernières semaines prouve qu’en Espagne il y a de la volonté politique », cité dans
« La OCDE apoya el plan de austeridad español y destaca la voluntad política », ABC, 27 mai 2010.
[5] Fitch dégrade l’Espagne à cause de mauvaises perspectives de croissance, AFP, 28 mai 2010. Les caisses d’épargnes régionales grandement touchées par la crise immobilière doivent fusionner d’ici fin juin 2010.
[6] « Zapatero explicará la reforma laboral el viernes al director del FMI », EuropaPress, 11 juin 2010.
[7] Voir le rapport Doing Business de la Banque mondiale.
[8] « Déficit - Les mesures prises par la France saluées par Fitch », Reuters, 28 mai 2010.
[9] « Un ajuste que no toque el gasto social sí es posible », par Ana Tudela et Pilar Blaquez, Público, 16 mai 2010.
[10] Ce chiffre est distinct du budget alloué aux forces de police.
[11] La théorie du ruissèlement (trickle down en anglais), défend l’idée qu’une croissance forte se répercuterait mécaniquement sur les classes pauvres de la population.
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