Je pensais comme beaucoup d’autres que la vague de terreur allait diminuer après les élections, c’est le contraire. La sécurité est en fait le principal problème et il est très complexe. Cela est dû à un mélange de faits à l’intérieur de l’Irak et de l’évolution au-delà de nos frontières. Si certains considèrent les terroristes comme des résistants contre l’occupant américain et les vénèrent, c’est que partout des agitateurs religieux dévoyés promettent à la jeunesse le statut de martyr. Avec psychologie, nous devons démystifier cela dans les mosquées, les écoles, les universités et les médias. Il y a des journaux qui tordent la réalité pour leur usage politique. Il n’y a aucune raison qui puisse justifier que l’on glorifie le meurtre et le sabotage.
La faiblesse de nos effectifs de police et de sécurité et la formation insuffisante pour atteindre le degré d’efficacité souhaitée sont le cœur du problème. Les Américains nous ont fourni les armes et appareillages modernes mais nous attendons l’aide de l’Occident pour former nos hommes. Nous comptons également sur l’aide allemande. Notre nouvelle démocratie est encore jeune. Auparavant, les policiers étaient habitués à défendre le régime par tous les moyens ; les droits des populations civiles ainsi que leurs vies ne comptaient pas. Les services pouvaient tuer et torturer ceux qu’ils voulaient. Le résultat de cette doctrine inhumaine, ce sont les fosses communes que nous découvrons de semaines en semaines.
Nous devons rendre les frontières totalement hermétiques, nous devons isoler les terroristes de leur aide extérieure et les assécher dans leurs ressources. Il y a des terroristes qui viennent du Yémen, du Soudan, de l’Egypte, des pays avec lesquels nous n’avons pas de frontière commune. Ils transitent par l’Iran, la Syrie, la Jordanie et l’Arabie Saoudite. Il y a une bonne route qui nous relie à la Jordanie, l’attentat qui a eu lieu à Hilla et qui a tué une centaine d’innocents venait de là-bas. Bien qu’Abdallah condamne sévèrement ces actes inhumains, nous sommes consternés par le fait que la famille des terroristes et beaucoup de Jordaniens considèrent les auteurs de l’attentat comme des héros de la résistance.
Nous avons longtemps eu des problèmes avec la Syrie, mais ils essayent actuellement de mieux contrôler la frontière. Ils ont eux aussi fait l’expérience douloureuse du terrorisme, il en va de même pour l’Arabie Saoudite. L’Iran reste aussi un pays de transit. Les terroristes doivent être sévèrement punis mais il faut tenir compte de la composante sociale du problème. Les causes ne sont pas que religieuses, la misère noire des jeunes Irakiens, la pauvreté et le chômage, l’absence de perspectives sont à considérer. Beaucoup doutent de la vie et sont prêts à la vendre pour quelques dollars. Les bains de sang doivent cesser, c’est la priorité, le reste est secondaire, nous allons l’emporter, il n’y a pas d’alternative.
Les sunnites se sentent menacés, certains sympathisent avec les terroristes et quelques autorités ont lancé des fatwas contre l’occupant et les collaborateurs. C’est pour cette raison que je fais tout pour que nos frères sunnites travaillent avec nous sur la constitution. Mes contacts portent leurs fruits, de plus en plus de politiciens et de religieux sunnites sont d’accords pour participer. L’Irak doit être un état islamique sans pour autant avoir pour modèle l’Iran ou l’Arabie Saoudite, de même que la Chrétienté, l’Islam a de nombreux visages. Nous introduirons la charia mais comme l’une des sources de la justice, c’est logique dans un pays à grande majorité musulmane, personne ne doit cependant avoir peur pour sa liberté de penser, aussi bien les laïcs que les minorités religieuses. Les Irakiens sont tolérants par nature. Le voile ne sera jamais obligatoire et il n’y aura pas d’interdiction de l’alcool venant du haut, si cela doit avoir lieu ce sera une décision des représentants du peuple.
Les craintes concernant la formation d’un bloc chiite avec la puissance pétrolière iranienne sont infondées, nous ne le permettrons pas. Les Kurdes sont favorables à un système fédéral, comme la majorité des fractions au parlement et moi-même, ils ont déjà un ministre des affaires étrangères et leur leader Jalal Talabani sera président. Les réfugiés kurdes doivent regagner leurs villes et les Irakiens arabes doivent être dédommagés, ensuite ce sera au libre choix démocratique du peuple. Les Américains évacueront le pays dès que nous serons en mesure de le pacifier par nos propres moyens. Cela ne durera certainement pas dix ans. La proposition d’Hosni Moubarak qui veut que les Américains évacuent les villes est bonne, c’est ce qui va sans doute être fait. Nous n’avons pas l’intention de signer un nouveau pacte de Bagdad, une alliance militaire avec les États-Unis ou l’OTAN, comme dans les années 50 contre l’Union soviétique. Nous allons aussi reconnaître l’inviolabilité du Koweït. Concernant Saddam Hussein, son cas sera résolu avant la fin de l’année.

Source
Der Spiegel (Allemagne)
Diffusion (exemplaires) : 1 100 000 Un grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, à l’origine de plusieurs scandales politiques. Connu pour avoir développé son propre jargon journalistique, il publie aussi quatre hors-séries par an. Le site du Spiegel est le magazine en ligne qui a le plus de succès en Allemagne.

« Wir werden die Oberhand gewinnen », par Ibrahim Al-Jaafari, Der Spiegel, 20 Mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.