Depuis que les problèmes de santé du président Moubarak sont connus, ses amis préparent sa succession. Sachant qu’il ne parvenait pas à imposer son fils Gamal et que son décès plongerait le pays dans le chaos, Washington et Tel-Aviv ont préparé la relève en sponsorisant une opposition à leur goût. Alors que se lève le vent de la révolution, ils essaient de convaincre Moubarak de se retirer, et de pousser leurs poulains à sa place.
Après plus de trente ans de service honorable pour les Usa (durant lesquels il a accumulé une richesse personnelle estimée à plus de 30 milliards de dollars), le moment est venu pour Moubarak de céder le bâton de commandement : c’est ce qu’on a décidé à Washington. Le temps presse. La marée montante du soulèvement populaire risque d’emporter non seulement le dictateur mais l’appareil de pouvoir que les USA ont construit en Egypte. Le président Obama fait donc pression pour une « transition ordonnée et pacifique » qui, sur la base de « réformes constitutionnelles » guère mieux précisées, efface la figure désormais insoutenable du dictateur, mais laisse intacts les piliers de la domination états-unienne sur le pays, d’importance stratégique pour Washington sur l’échiquier moyen-oriental et africain.
Pour Washington, il est fondamental de maintenir le contrôle de la structure portante des forces armées égyptiennes, que les Etats-Unis ont financées, équipées et entraînées [1]. Les instructions sur les mesures d’urgence ont été données par le secrétaire d’Etat USA à la défense, Robert Gates, au chef d’état-major égyptien, général Sami Enan ; celui-ci a été convoqué à la fin du mois de janvier au Pentagone, avec qui il s’est ensuite tenu en contact étroit. Le président Obama a ainsi fait les louanges des forces armées égyptiennes pour « leur professionnalisme et leur patriotisme », en les indiquant comme garants de la « transition pacifique et ordonnée ».
Selon le plan de Washington, cette transition devrait débuter avec un gouvernement « transitoire » soutenu par les forces armées et si possible chapeautée par Omar Souleiman, vice-président tout récemment nommé, à qui la charge a été confiée le 29 janvier. Un homme fort qui jouit de la plus grande estime à Washington : auparavant directeur des services secrets militaires, chef des services secrets égyptiens depuis 1993, il a organisé avec la Cia l’enlèvement d’Abou Omar en 2003 à Milan, et son transport en Egypte. Plusieurs autres personnes « suspectées terroristes » ont été transportés secrètement en Egypte, dans le cadre du programme « Rendition » de la Cia, et y ont été torturées par Souleiman et ses agents. Un des prisonniers, al-Libi, fut contraint sous la torture de « révéler » une connexion (inexistante) entre Saddam Hussein et al Qaeda, argument utilisé par Washington pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. Avec Souleiman comme garant de la transition « démocratique », le « nouveau visage » pour la présidence pourrait être l’actuel secrétaire de la Ligue arabe, Amre Moussa, ex-ministre des affaires étrangères de Moubarak en 1991-2001.
La structure militaire constitue le principal instrument de l’influence états-unienne en Egypte. Mais ce n’est pas le seul. Depuis plusieurs années, tout en continuant à appuyer Moubarak, Washington appuie aussi une partie de ses opposants dans la société civile [2]. Les principaux instruments de cette opération sont la National Endowment for Democracy (Ned) [3] et la Freedom House [4], deux organisations « non-gouvernementales » engagées dans l’ « expansion de la démocratie et de la liberté dans le monde entier ». Celles-ci sont en réalité des émanations du Département d’Etat, du Pentagone et de la Cia, qui les financent et en pilotent l’activité dans les zones critiques pour les intérêts états-uniens. La Ned, qui finance chaque année plus de 1 000 projets d’organisations non-gouvernementales dans plus de 90 pays, soutient économiquement en Egypte 33 organisations non-gouvernementales : elle fournit à chacune d’elles chaque année des financements de l’ordre de dizaines ou centaines de milliers de dollars.
Des groupes d’opposants à Moubarak (généralement composés de jeunes intellectuels et professions libérales) ont été invités, par l’intermédiaire de la Freedom House, aux Etats-Unis où ils ont fréquenté des cours bimestriels de « défense de la démocratie ». Ils ont aussi été reçus officiellement au Département d’Etat : en mai 2008 par Condoleeza Rice, en mai 2009 par Hillary Clinton. Lors de la rencontre, la secrétaire d’Etat a déclaré que « c’est l’intérêt de l’Egypte d’aller vers la démocratie et de montrer plus de respect pour le droits humains ». Comme si les Etats-Unis, qui ont construit et financé l’appareil répressif de Moubarak, n’avaient rien à voir avec la violation des droits humains en Egypte.
Washington est donc en train d’élever une nouvelle classe dirigeante égyptienne, destinée à donner un visage « démocratique » à un pays où le pouvoir continue à prendre appui sur les forces armées et dans lequel, surtout, l’influence états-unienne demeure dominante. Il reste cependant à vaincre la résistance de la vieille classe dirigeante qui s’était formée autour de Moubarak -officiers de l’armée, agents des services secrets, managers de l‘industrie de guerre, entrepreneurs- qui craint de perdre les privilèges qu’elle a acquis ou de devoir les partager. Il y a surtout le soulèvement populaire pas facile à mettre sur les rails, tracés par Obama, de la « transition ordonnée et pacifique ».
[1] « Egypte : une armée formée et équipée par le Pentagone », par Manlio Dinucci, Réseau Voltaire, 4 février 2011.
[2] « Le mouvement de protestation en Égypte : Les « dictateurs » ne dictent pas, ils obéissent aux ordres », par Michel Chossudovsky, Mondialisation.ca, 4 février 2011
[3] « La NED, vitrine légale de la CIA », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 octobre 2010.
[4] « Freedom House : quand la liberté n’est qu’un slogan », Réseau Voltaire, 7 septembre 2004.
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