Comme en novembre 2003, Tariq Ramadan propose de nouveau un "moratoire" sur les châtiments corporels dans les pays musulmans. La première fois, cet appel avait fait naître une polémique et avait permis une médiatisation qui lui fait aujourd’hui défaut. Il le relance donc. Moralité : gardons-nous de polémiquer et tâchons de décrypter.
Cet appel contribue-t-il à stopper les châtiments corporels ou bien donne-t-il aux musulmans de France l’impression qu’il s’agit d’un sujet dont on peut débattre sans pour autant troubler ceux qui les pratiquent ? Observons que ce texte n’a qu’un seul signataire et qu’il n’est paru que dans deux journaux en arabe. Ne faut-il pas se réjouir qu’un prédicateur aussi écouté des musulmans européens lance un appel en faveur d’un moratoire sur la lapidation ? Si, bien sûr. Mais peut-on croire qu’un militant islamiste suisse, fût-il le petit-fils d’Hassan Al-Banna (fondateur des Frères musulmans) et l’ambassadeur européen de l’islam de ce mouvement, a le pouvoir de faire cesser les châtiments corporels et la lapidation au Nigeria, en Malaisie, au Soudan ? Certes, il s’y rend souvent, mais ces visites n’ont jamais réussi à y convaincre les islamistes ultra-radicaux de renoncer à ces pratiques bien qu’elles soient condamnés par le Coran. D’ailleurs, si ces traditions étaient effectivement islamiques, Tariq Ramadan ne les combattrait pas ! En fait, en bon réformateur-fondamentaliste, Ramadan propose de mettre ces pratiques entre parenthèse. La proposition de moratoire est une demande entrant dans la rhétorique classique des Frères musulmans : donner de faux airs de modernité à ce qui demeure une proposition conservatrice coupant l’herbe sous le pied des musulmans modernistes, lesquels exigent l’abandon immédiat de pratiques indignes. Ce que veut Ramadan, c’est une délibération entre savants musulmans pour débattre du caractère islamique de la lapidation ou du fait de battre sa femme, or la majorité de ces savants y sont favorables. Au lieu d’appeler à un moratoire, pourquoi ne pas essayer de convaincre les théologiens qui soutiennent ces pratiques et qu’il côtoie ?
En réalité, le « moratoire » de Tariq Ramadan n’a que deux effets, plus nocifs que positifs : d’abord de relancer le débat public ; ensuite de contribuer à donner le sentiment aux musulmans européens (les seuls sur qui il a une emprise) qu’on peut tergiverser pour savoir s’il faut, ou non, lapider des adultères et battre sa femme.
« Pour un "moratoire" sur Ramadan », par Caroline Fourest, Le Monde, 19 avril 2005.
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