Il y a une semaine, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1973 autorisant l’emploi de la force armée en Libye pour la protection des populations civiles. L’Allemagne s’est abstenue lors de l’adoption de cette résolution. Depuis, les critiques pleuvent, pas seulement mais en particulier de la part de certains pans de l’opposition. Un ancien ministre des Affaires étrangères, qui a envoyé plus de soldats allemands dans de nouvelles missions de combat qu’aucun ministre fédéral des Affaires étrangères avant ou après lui, a qualifié l’abstention de « scandaleuse erreur ».

Chacun sait à quel point les décisions de politique étrangère portant sur la guerre et la paix sont difficiles. J’ai le plus grand respect pour mon prédécesseur Frank-Walter Steinmeier qui, au-delà des logiques de parti, a qualifié publiquement notre vote de « compréhensible et cohérent ». D’autres, en raison des deux scrutins régionaux de dimanche et des critiques formulées entre-temps, ne veulent plus rien savoir de la position qui était auparavant la leur. Deux reproches sont au cœur des critiques exprimées : l’Allemagne s’est isolée politiquement à l’étranger. L’Allemagne a porté atteinte à la solidarité des membres de l’Alliance. Ces deux critiques sont infondées.

L’Allemagne ne s’est pas isolée. Ni au Conseil de sécurité, ni à l’OTAN, ni à l’UE. Une majorité des États membres de l’UE ne participera pas à l’engagement militaire en Libye. L’UE, unanimement, s’est entendue sur un engagement humanitaire et, notamment sur notre insistance, sur un nouveau renforcement des sanctions contre le régime de Kadhafi. D’un côté, une opération militaire et de l’autre, toujours pas d’embargo global sur le pétrole pour couper durablement les sources de financement du dictateur : cela ne peut pas aller de pair. Au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil, ainsi que le Brésil et l’Inde se sont abstenus. Autrement dit : avec nous, trois des États du « groupe des quatre » (le Japon ne siégeant pas actuellement au Conseil) qui plaide depuis 2004 pour une réforme des Nations Unies et du Conseil de sécurité.

Nous prenons la solidarité des membres de l’Alliance très au sérieux. Nous savons ce que nous devons à l’OTAN. Lors de la révision du concept stratégique de l’OTAN, nous avons plaidé pour que l’accent soit une nouvelle fois mis sur son obligation centrale, à savoir la légitime défense collective prévue par l’article 5. Je me permets de rappeler que la Libye, malgré toute l’inquiétude avec laquelle nous observons la situation et les crimes du régime de Kadhafi, ne constitue pas un cas d’intervention de l’Alliance au sens de l’article 5. À la différence de l’Afghanistan, en son temps.

La solidarité des membres de l’Alliance et la cohésion de l’UE et de l’OTAN sont des arguments de poids mais il ne peuvent priver les États membres de leur propre pouvoir de décision concernant l’envoi de leurs troupes. On ne peut pas prendre une telle décision au seul motif que d’autres l’ont prise. Une décision comme celle-ci doit être prise après avoir pesé soi-même, soigneusement, le pour et le contre, après avoir mesuré les risques et les dangers, y compris le risque d’escalade. C’est ce que nous avons fait. Le gouvernement fédéral a décidé de ne pas envoyer de soldats allemands dans des opérations de combat en Libye. Aucun de nos partenaires n’avait été laissé dans l’incertitude sur ce point, nous nous étions exprimé tôt, directement et sans ambiguïté. Notre vote au Conseil de sécurité était la conséquence logique de notre décision, soigneusement pesée.

Nombreux sont ceux qui considèrent a posteriori qu’une solution idéale aurait été d’approuver tout en signifiant clairement que nous ne participerions pas à l’opération libyenne avec des troupes allemandes. Dans ce cas, c’est un tout autre débat que nous aurions aujourd’hui. J’en suis convaincu : la question, au plan national comme international, serait alors uniquement de savoir quels moyens la Bundeswehr mettrait au service de l’opération et non plus de savoir si elle y participerait ou non. Il ne serait pas crédible que le plus grand membre européen de l’OTAN dise d’abord oui à l’opération militaire au Conseil de sécurité et ne participe pas, ensuite, à la mise en œuvre concrète de cette décision.

Les violations des droits de l’homme du régime de Kadhafi sont iniques et ne laissent personne indifférent. Le dictateur doit partir et rendre des comptes pour ses crimes. Pour nous, l’alternative à l’intervention militaire n’est pas la passivité. Nous avons plaidé pour une saisie de la Cour pénale internationale. Nous avons poussé en faveur de sanctions sévères. Nous apportons une aide humanitaire. Nous voulons un embargo sur le pétrole et suspendre les paiements afin que Kadhafi et ses alliés ne puissent pas accéder à de l’argent frais.

Cependant, nous n’avons jamais fait mystère de notre scepticisme quant à une intervention militaire. Sans parler des victimes civiles auxquelles il faut s’attendre : que se passe-t-il si les frappes aériennes ne mettent pas un terme à la guerre civile ? Est-ce que des troupes interviendront alors tout de même au sol ? Le risque d’escalade peut-il être contrôlé ? Le soutien du monde arabe est-il vraiment aussi clair qu’on le prétend ? La résolution de la Ligue arabe ne l’était pas, en tout cas, et les prises de position venues du monde arabe après le début des frappes aériennes non plus. À quoi ressemble aujourd’hui, dans les faits, la participation annoncée du monde arabe à cette opération ? N’y a-t-il pas finalement un risque, malgré tout, de donner l’impression d’une intervention de l’Occident ? Qu’est-ce que cela signifie pour la future évolution du monde arabe, pour les mouvements de libération et les efforts de réforme des autres pays d’Afrique du Nord ? « Respice finem », dit la maxime. Considère la fin !

Un autre principe vaut tout autant : Roma locuta, causa finita [Rome a parlé, la cause est entendue, Ndlr]. Le Conseil de sécurité a tranché et pour tous ceux qui, après réflexion, ont choisi l’intervention militaire, il existe désormais une base juridique internationale. Je souhaite ardemment que nos inquiétudes se révèlent infondées. J’espère qu’il sera possible de garantir de manière fiable la protection de la population civile comme le prévoit la résolution.

Le cessez-le-feu ordonné par le Conseil de sécurité doit être respecté : il y a urgence. Nous n’engagerons pas de soldats allemands dans cette opération militaire mais nous ferons notre part pour que les objectifs de la résolution 1973 soient atteints. L’absence d’opération militaire de la Bundeswehr n’est pas synonyme de passivité du gouvernement fédéral.

Source
Süddeutsche Zeitung (Allemagne)