Je me réjouis de l’occasion qui m’est offerte de faire au Conseil de sécurité le point de la situation en Libye et de passer en revue les faits qui sont survenus depuis l’adoption de la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité.
Au sommet de Paris organisé par le Président Sarkozy, la communauté internationale a appelé à un cessez-le-feu immédiat et a décidé de prendre les mesures nécessaires, en application de la résolution 1973 (2011), en vue de mettre fin à la campagne brutale de violence menée par le régime libyen contre sa propre population.
La résolution 1973 (2011) réaffirmait en outre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Libye, et excluait explicitement toute occupation étrangère du territoire libyen.
Ces questions ont dominé les échanges que j’ai eus au cours de mes récents voyages. En Égypte et en Tunisie, les autorités étaient profondément préoccupées par le sort de leurs ressortissants qui se trouvaient encore en Libye, la lourde charge de s’occuper des réfugiés à leurs frontières leur causait du souci, ainsi que l’immense tâche de réintégration de leurs ressortissants qui avaient quitté le pays.
Dans toutes mes réunions, publiques et privées, j’ai pris un soin particulier à souligner que l’action entreprise au titre de la résolution 1973 (2011) était gouvernée par un objectif primordial, qui est de sauver les vies de civils innocents.
La communauté internationale a entrepris une action concertée pour prévenir une éventuelle crise de grande ampleur. Je lui demande d’agir avec la diligence voulue pour éviter les pertes civiles et les dégâts collatéraux.
Enfin, j’ai souligné à quel point il importait que la communauté internationale s’exprime d’une seule voix, qu’il s’agisse de mettre en œuvre la résolution 1973 (2011) ou de faire face à la crise humanitaire. La Tunisie et l’Égypte, parce qu’elles sont les premières à supporter le poids de la crise des réfugiés, méritent qu’on leur rende hommage.
Je vais maintenant donner aux membres du Conseil des informations actualisées sur la mise en œuvre des résolutions 1970 (2011) et 1973 (2011). Comme les membres le savent, les frappes militaires ont été lancées le 19 mars par les forces européennes et des États-Unis, avec pour objectif d’imposer concrètement une zone d’exclusion aérienne au-dessus du pays. Cette campagne se poursuit. Les autorités libyennes ont déclaré à plusieurs reprises avoir instauré un cessez-le-feu, et j’ai notamment reçu un appel du Premier Ministre en ce sens le 19 mars. Rien n’indique que tel est bien le cas. Au contraire, des combats acharnés se poursuivent, notamment dans les villes d’Ajdabiya, de Misratah et de Zitan et leurs alentours. Bref, rien ne prouve que les autorités libyennes ont pris des mesures pour s’acquitter de leurs obligations au titre des résolutions 1970 (2011) et 1973 (2011).
Dès le début de la crise, l’ONU a engagé un effort diplomatique vigoureux. Je suis resté en contact étroit avec toutes les parties, y compris les autorités libyennes. J’ai demandé à plusieurs reprises la cessation immédiate de la violence et le passage sans entrave des secours humanitaires. À cet égard, je tiens à rappeler que l’aide humanitaire n’est pas soumise au régime des sanctions.
Le 13 mars, mon Envoyé spécial en Libye, M. Abdel-Elah Al-Khatib, s’est rendu à Tripoli en compagnie du Coordonnateur des opérations humanitaires des Nations Unies. Avec leurs équipes, ils ont entrepris des consultations approfondies avec le Ministre libyen des affaires étrangères et d’autres hauts dirigeants. Mon Envoyé a exposé clairement et sans équivoque la position de la communauté internationale. Les attaques contre les civils doivent cesser ; les personnes responsables de crimes contre leur peuple devront répondre de leurs actes ; un accès humanitaire sûr doit être garanti et les résolutions 1970 (2011) et 1973 (2011) doivent être intégralement mises en œuvre.
Mon Envoyé spécial a souligné qu’il était dans l’intérêt de la Libye de cesser les hostilités et de changer la dynamique de la crise. Il a indiqué qu’en cas de non-respect de la résolution 1973 (2011) par la Libye, le Conseil de sécurité était prêt à prendre de nouvelles mesures. Le Ministre libyen des affaires étrangères a répondu en affirmant que le Gouvernement avait été contraint d’agir comme il l’a fait parce qu’il s’était senti menacé par Al-Qaida et les terroristes islamistes. Il a également déclaré à mon Envoyé spécial que les autorités libyennes avaient offert d’amnistier les rebelles qui déposeraient les armes. D’autre part, il a insisté sur le fait que des mécanismes devaient être mis en place pour que les forces rebelles soient également tenues de respecter tout cessez-le-feu mis en place.
Le 21 mars, mon Envoyé spécial a rencontré des dirigeants de l’opposition armée libyenne, notamment le Président du Conseil national de transition libyen, à Tobrouk. Ceux-ci ont réitéré leur appel à un cessez-le-feu et à la levée du siège imposé par les forces gouvernementales à plusieurs villes aux mains des rebelles. Ils ont également fait part de leur vive préoccupation devant les souffrances infligées à la population libyenne et ont demandé qu’il soit mis fin à l’utilisation de chars et d’armes lourdes contre les civils. Ils nous ont par ailleurs demandé de déployer au plus vite une mission chargée d’évaluer la situation humanitaire dans toutes les régions du pays.
Hier, j’ai eu une rencontre informelle avec le Président de la Commission de l’Union africaine, M. Jean Ping, et nous avons longuement débattu de la manière dont l’ONU et l’Union africaine pouvaient œuvrer ensemble au règlement de la crise libyenne. Demain, mon Envoyé spécial se rendra à Addis-Abeba pour participer à une réunion convoquée par l’Union africaine. Des représentants du Gouvernement libyen et de l’opposition y participeront, ainsi que des représentants des États Membres et des organisations régionales concernés. L’objectif est de parvenir à un cessez-le-feu et de trouver une solution politique.
La résolution 1973 (2011) exige des autorités libyennes qu’elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international. Le Coordonnateur des opérations humanitaires des Nations Unies et son équipe n’ont été autorisés à se rendre que dans très peu d’endroits et nous demeurons très inquiets en ce qui concerne la protection des civils, les violations des droits de l’homme, les violations du droit international humanitaire et l’accès des populations civiles aux produits et aux services de base dans les zones actuellement assiégées.
Plus de 335 658 personnes ont fui la Libye depuis le début de la crise. Environ 9 000 autres restent bloquées à la frontière qui sépare la Libye de la Tunisie, à l’ouest, et à celle qui sépare la Libye de l’Égypte, à l’est. Au 21 mars, l’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avaient aidé plus de 60 000 personnes à quitter la Libye. L’appel éclair régional lancé pour faire face à la crise libyenne, qui s’élevait à 160,3 millions de dollars, est financé à hauteur de 63 %. Des plans d’urgence sont également en place pour faire face à d’éventuelles nouvelles vagues de migrants et de réfugiés, qui pourraient atteindre 200 000 à 250 000 personnes.
De son côté, le Programme alimentaire mondial a reçu des informations selon lesquelles les prix des denrées alimentaires augmentent en flèche en Libye, le prix de la farine ayant par exemple doublé au cours des dernières semaines. L’ONU et les autorités libyennes continuent d’avoir une analyse diamétralement opposée de la gravité et de l’ampleur de la crise humanitaire. Aucun accord n’a pu être trouvé sur la manière dont la mission interinstitutions chargée d’évaluer les besoins accomplirait sa tâche. Je tiens à rappeler à toutes les parties qui prennent actuellement part aux hostilités en Libye qu’elles ont l’obligation, en vertu du droit international humanitaire, de permettre et de faciliter l’accès sûr, rapide et sans entrave des organisations humanitaires aux populations dans le besoin.
La mission de mon Envoyé spécial a été trop courte pour lui permettre de tirer des conclusions définitives quant à la situation des droits de l’homme, mais il a constaté de nombreux signes inquiétants, notamment des menaces et des incitations à la violence contre l’opposition armée. Les menaces proférées par le colonel Kadhafi sont diffusées en boucle par la télévision nationale. Les arrestations de journalistes se poursuivent. Des reporters étrangers présents à Tripoli ont indiqué à la mission de l’ONU que la population vivait dans un climat de peur généralisé, que les services de sécurité exerçaient un contrôle très strict et que des cas d’arrestation et de disparition leur avaient été signalés.
À la lumière de ces éléments, mon Envoyé spécial a informé le Gouvernement libyen que le Conseil des droits de l’homme avait l’intention de créer une commission internationale indépendante pour enquêter sur toutes les violations présumées du droit international des droits de l’homme commises en Libye, en identifier les responsables, formuler des recommandations et présenter un rapport au Conseil des droits de l’homme. L’Envoyé spécial a officiellement demandé au Gouvernement libyen de coopérer avec la commission d’enquête, qui a répondu à cette requête par l’affirmative, même si la question des modalités concrètes de cette coopération n’a pas été évoquée.
La résolution 1973 (2011) prie les États Membres d’informer immédiatement mon bureau de toute mesure qu’ils ont prise ou prévoient de prendre pour protéger les civils, imposer une zone d’exclusion aérienne, mais également pour faciliter les opérations humanitaires et les vols d’évacuation. La résolution me prie de faire rapport au Conseil dans les sept jours et puis tous les mois sur la mise en œuvre de la résolution, notamment pour ce qui est de toute violation de l’interdiction de vol. Je présente aujourd’hui mon premier rapport.
À ce jour, le Royaume-Uni, la France, les États-Unis, le Danemark, le Canada, l’Italie, le Qatar, la Belgique, la Norvège, l’Espagne et les Émirats arabes unis ont envoyé des lettres de notification, qui ont été distribuées à tous les membres du Conseil, conformément aux dispositions de la résolution 1973 (2011).
Nous avons également reçu la notification par l’OTAN de sa décision de lancer une opération en appui à un embargo sur les armes contre la Libye, conformément aux résolutions 1970 (2011) et 1973 (2011).
J’attends avec intérêt d’être tenu informé par les gouvernements dont les représentants siègent au Conseil des nouvelles mesures de mise en œuvre qu’ils prendront, dont le mécanisme envisagé au paragraphe 8 de la résolution. Je vais également nommer un coordonnateur au sein du Secrétariat. Nous attendons également avec intérêt des États Membres qu’ils soumettent un concept d’opérations, comme cela est envisagé au paragraphe 11 de la résolution.
La résolution 1973 (2011) me prie également de créer un groupe d’experts chargé d’aider le Comité sur la Libye à surveiller l’application des sanctions. Le Secrétariat passe actuellement en revue sa liste des spécialistes des sanctions afin de recenser les candidats les plus qualifiés. Certains ont déjà été contactés. Les experts nommés pour faire partie du groupe devront être spécialistes des armes, de la finance, des transports – aériens et maritimes –, des douanes et des services de contrôle aux frontières.
Compte tenu de la situation critique qui prévaut sur le terrain, il est impératif que nous continuions à agir avec célérité et détermination. La résolution place de grandes responsabilités sur le système des Nations Unies. Je peux assurer le Conseil que nous travaillerons en collaboration étroite avec les États Membres et avec les organisations régionales pour coordonner une réponse conjointe, efficace et rapide.
Ref. ONU : S/PV.6505
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