Jouant sur la fibre de l’anti-atlantisme, voire de l’anti-américanisme, l’un des angles d’attaque des adversaires du traité consiste à affirmer qu’avec la Constitution qui nous est proposée, l’Europe serait désormais totalement inféodée aux Etats-Unis. Ce texte briserait donc le rêve d’une Europe puissance chère au général De Gaulle. En vérité, le traité apporte un certain nombre d’innovations majeures sur la voie d’Europe de la défense, même si, à mes yeux, il ne va pas assez loin. Il faut souligner cinq grandes innovations reflétant le contexte de l’après Guerre froide
 Les crises de l’après-guerre froide (Balkans, Afghanistan, Irak) ont montré pour l’Europe la nécessité de se doter d’une autorité politique capable d’être la voix et le visage de l’Europe. Ce sera chose faite avec l’institution d’un président du Conseil européen (article I- 22) et d’un ministre des Affaires étrangères (article I-28).
 Pour la première fois, le principe d’un destin commun de sécurité est affirmé entre les Etats membres. La Constitution introduit en effet une clause de défense mutuelle (article I-41 para. 7) La défense, qui avait été exclue à l’origine de la construction européenne à la suite de l’échec de la CED, se trouve donc à présent replacée au cœur de celle-ci.
 La Constitution définit à son article III-309 les types de missions que l’Union pourra accomplir pour promouvoir la paix sur notre continent et dans le monde. Elle les élargit pour inclure, au-delà des missions traditionnelles des missions nouvelles de désarmement, de prévention des conflits ou de stabilisation post-conflit. Pour ce faire, les Etats membres s’engagent (article I- 41 para. 3) à mettre à disposition de l’Union des capacités civiles et militaires répondant aux objectifs définis par le Conseil européen.
 Elle organise, pour ceux des Etats membres qui souhaitent aller plus loin, la possibilité d’engager des coopérations renforcées (article I-44), voire d’établir entre eux une coopération structurée permanente (prévue par les articles I-41 para. 6 et III-312), en pratique à partir du cœur franco-britannique.
 Cette ambition en matière de défense européenne s’appuie sur un socle industriel qu’organisera l’Agence européenne de défense (article I-41 para. 3).
Désormais, nous pourrons, dans le respect du principe de l’autonomie de décision de l’Union européenne et de chacun des Etats membres, décider d’agir, au choix, avec nos alliés américains dans le cadre de l’OTAN (ce qui restera le plus probable en cas de crise majeure), sans les Américains mais dans le cadre de l’OTAN ou sans les Américains et l’OTAN comme elle l’a fait en République démocratique du Congo dans l’opération Artémis.
Cela posé, il faut avoir la lucidité de reconnaître que la Constitution est loin de régler tous les problème. Elle ne tranche pas le débat entre « euro-atlantistes » et « euro-gaullistes ». Sur ce point, tout reste comme auparavant. Elle ne résout pas non plus l’incongruité que représente la neutralité de certains États membres, anachronisme hérité de la Guerre froide. Enfin, le décalage du niveau de dépense et de puissance entre les deux rives de l’Atlantique reste intact. J’étais de ceux qui demandait qu’un taux minimum de dépenses militaires soient imposés dans ce texte. C’est bien là en effet que réside le cœur de l’impuissance européenne. En encourageant les dépenses militaires, la Constitution européenne encourage la constitution d’une Europe puissance.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« L’« Europe puissance » contre la tentation de la neutralité », par Pierre Lellouche, Le Figaro, 17 mai 2005.