À l’occasion de la commémoration à Moscou du 9 mai 1945, Vladimir Poutine a publié dans Le Figaro une tribune intitulée « Les leçons de la victoire sur le nazisme » qui se voulait une leçon d’histoire, mais réécrite selon les méthodes éprouvées du totalitarisme stalinien. Jouant au professeur, Vladimir Poutine a situé les origines de la Seconde Guerre mondiale dans l’arrivée au pouvoir des nazis, mais ne précise pas que la République de Weimar devait subir les assauts du Parti communiste allemand piloté directement par Moscou. Ces actions furent parfois menées en complicité ouverte avec les nazis alors que la Wechmacht expérimentait ses armes en territoires soviétiques pour détourner les clauses du traité de Versailles. Le « professeur » Poutine tente également d’établir un parallèle entre les accords de Munich et le pacte germano-soviétique. En réalité, à Munich, la France et l’Angleterre firent un dernier effort pour donner satisfaction à Hitler sur le droit des Allemands des Sudètes à rejoindre le Reich. En occupant la Tchécoslovaquie le 15 mars 1939, Hitler déchira le traité et provoqua le retournement des deux démocraties. Ils choisirent alors de garantir les frontières de plusieurs États, dont la Pologne. Hitler n’aurait pas franchi le Rubicond s’il n’avait pas eu des garanties à l’Est.
Le « professeur » Poutine déclare qu’en 1989, le Soviet suprême de l’URSS a donné une appréciation juridique et morale précise du pacte Molotov-Ribbentrop. Faut-il en conclure qu’il ne parvient toujours pas à penser l’histoire en dehors de la version soviétique officielle ? D’autant que notre « professeur » ne dit pas un mot sur le second pacte germano-soviétique, du 28 septembre 1939, fixant les frontières et assurant une collaboration de la Gestapo et du NKVD. Poutine se plaint de l’attitude des États baltes, mais n’a pas un mot sur le sort des pays occupés par l’URSS. L’URSS a-t-elle traité autrement que les nazis les pays qu’elle a annexés entre 1939 et 1941 et occupés à nouveau en 1944-1945 ? Certes, l’Armée rouge a libéré les pays d’Europe de l’Est du nazisme, mais il ne faut pas confondre libération et liberté. Ces pays ont été soumis à une autre oppression. Poutine nie également les massacres soviétiques de Katyn en Pologne, rendant hommage aux victimes de Kathyn, village biélorusse à l’orthographe proche où furent commis des massacres par les nazis. Le président Poutine a également honoré l’alliance conclue par De Gaulle et Staline à Moscou en décembre 1944, mais il oublie le mépris que le second avait pour la France.
Ce négationnisme historique montre que Poutine est resté fidèle à l’enseignement qui pouvait être dispensé sous l’ère brejnévienne à un officier du KGB. Mais quelle est la raison de cette leçon d’histoire ? L’explication tient dans l’affirmation du président selon laquelle « le partenariat entre la Russie, l’Allemagne et la France constitue le facteur positif majeur de la vie internationale et du dialogue européen » et dans sa proposition d’une « grande Europe unie de l’Atlantique à l’Oural et de fait jusqu’à l’océan Pacifique », dans laquelle « les Européens peuvent, comme dans la lutte contre le nazisme, prendre pleinement appui sur la Russie ». Embourbé en Tchétchénie et voyant ses anciens vassaux s’éloigner, la Russie veut relancer l’idée de la « maison commune européenne » afin de découpler une bonne fois pour toutes l’Union européenne des États-Unis et de profiter de la naïveté et aussi de la faiblesse des Européens afin de leur soutirer les crédits et les technologies dont a besoin le pouvoir néocommuniste de Moscou pour se maintenir en vie. Les Européens seront-ils, encore une fois, tentés par l’esprit munichois ?
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
« Les leçons d’histoire du « professeur » Poutine », par Stéphane Courtois et Jean-Louis Panné, Le Figaro, 30 mai 2005.
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