Les troubles que connaît la Bolivie et la valse de ses présidents ne sont pas des phénomènes propres à ce pays, mais les premiers symptômes d’une crise générale qui touche de nombreux États. Face au pillage des ressources et à la paupérisation, un peuple constate la corruption de la démocratie nationale par les États-Unis et se soulève. Pour le prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel, la paix sociale passe par une remise en cause radicale des formes actuelles de la démocratie représentative et l’invention d’une démocratie participative.
La Bolivie a été confrontée à une violence structurelle et sociale tout au long de son histoire. Les luttes des mineurs, des paysans et celles d’autre secteurs sociaux mettent en évidence la gravité de la situation que traverse le pays, face à l’inertie et à la complicité de gouvernements qui ont privilégiée les secteurs proches du pouvoir et ont intentionnellement oublié le peuple. Celui-ci réagit par la résistance sociale face à l’appauvrissement croissant de la population. Les Boliviens souffrent d’un manque évident de politiques et de programmes répondant aux besoins les plus élémentaires, comme la santé, l’éducation, un travail et une vie digne. Voilà un peuple qui assiste à une augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale, qui voit la faim progresser, tandis que ses ressources sont pillées. Et si d’aventure ils réagissent à l’injustice, ils sont immédiatement accusés d’être des subversifs et de faire usage de la violence, alors qu’ils ne font que porter leurs revendications sociales. La seule réponse de l’Ėtat est la répression.
Des gouvernements de nombreux États appliquent des « lois antiterroristes », lesquelles justifient l’association qui est faite entre protestation sociale et terrorisme.
Le peuple bolivien est assis sur de grandes ressources et richesses qui lui appartiennent, mais n’en tire aucun parti, celles-ci étant pillées par l’oligarchie et les transnationales, qui accumulent les profits sans aucune redistribution.
La démission du président Carlos Mesa met en lumière les fortes pressions qui ont mené le pays à l’instabilité et à l’augmentation des tensions, produisant le chaos et la violence ; avec la menace d’un possible coup d’État militaire soutenu par les États-Unis pour protéger leurs intérêts économiques et politiques, dans le secteur des hydrocarbures et principalement du gaz.
On déplore déjà un mort et deux blessés, victimes de la violence institutionnelle.
Dans ce contexte, l’accord entre les États-Unis et le gouvernement du Paraguay pour accueillir sur son territoire des soldats états-uniens, avec bien sûr l’assurance d’une totale immunité, est pour le moins inquiétant. L’intervention de l’ambassadeur états-unien en Bolivie est révélateur du fait qu’ils cherchent à empêcher Evo Morales, dirigeant du Mouvement vers le socialisme (MAS), d’accéder à la présidence de cette nation.
Il y a des indices qui confirment ce risque. Par exemple, le gouvernement de Bush « ordonne » au secrétaire général de l’Organisation des États Américains (OEA) qu’il suive avec attention le développement des événements en Bolivie et si nécessaire, qu’il prenne les « mesures adéquates ». Il ne serait pas étonnant qu’il ait à l’esprit, de par la proximité de troupes états-uniennes au Paraguay, une intervention semblable à l’invasion d’Haïti, avec les conséquences graves que vit aujourd’hui ce pays, qui doit supporter les troupes d’occupation, la violence et l’augmentation de la pauvreté.
Le Parlement, qui n’a pas pris la moindre décision débat actuellement de la convocation d’une constituante et de l’organisation d’élections présidentielles anticipées, que même l’Église catholique soutient afin de parvenir à la stabilité constitutionnelle et à la normalisation du pays.
Après de fortes tensions au Parlement et après le renoncement de Hormando Vaca Diez et de Mario Cossío, le président de la Bolivie est le président de la Cour Suprême de Justice, Eduardo Rodriguez. Il devra organiser des élections anticipées dans un délai de 90 jours.
Le dirigeant Evo Morales réclame la nationalisation des ressources du peuple, les hydrocarbures et le gaz, ce à quoi s’opposent des secteurs patronaux alliés avec le gouvernement des États-Unis.
La violence structurelle et sociale a profondément modifié les conditions de vie, et la réaction du peuple réclamant ses droits est légitime, tant ils sont systématiquement niés.
Les événements se sont précipités ces derniers temps et espérons que le sens commun, qui est devenu le moins commun des sens, permette aux dirigeants politiques et à des organisations sociales de trouver des voies et des alternatives pour obtenir le respect de la souveraineté du peuple bolivien et réclamer des changements profonds dans les institutions de l’État. Nous espérons que ces changements réclamés par le peuple se feront sans violence, par le dialogue et en ayant comme objectif le bien commun.
Le problème que vit la Bolivie n’est pas un fait isolé du reste du continent qui souffre des politiques néo-libérales imposées par le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et le Département d’État états-unien, qui exigent la privatisation d’entreprises nationales et de services ainsi que les ressources naturelles.
Un grand débat est désormais ouvert. Il s’agit d’analyser le type de démocratie que vivent les peuples, une démocratie plus formelle que réelle, par délégation et non pas participative.
Quand bien même les peuples votent, le jour suivant ils sont démunis. En déléguant le pouvoir à ceux qui gouvernent, les citoyens sont exclus des décisions de l’État.
Le système démocratique imposé est en crise, et il est nécessaire de renverser la situation, d’aller au-delà de démocraties par délégation, qui laissent le peuples sans défense et soumis à propos de toutes sortes d’enjeux, comme par exemple la dette externe, les privatisations des entreprises nationales et les ressources naturelles, qui induisent une dépendance et une perte de souveraineté.
Comme disent les frères indigènes du Cauca, en Colombie : « Il faut faire cheminer les paroles de la résistance », recouvrer le véritable sens des mots, aller vers la construction de démocraties participatives, où les grands sujets et les problèmes de société, qu’ils soient immédiats ou à venir, soient décidés à travers des plébiscites, des consultations populaires, des referendums. Il faut pouvoir révoquer les mandats des dirigeants et des fonctionnaires qui n’accomplissent pas leur devoir de serviteurs du peuple
Ils n’y a pas de faits isolés sur le continent. Des mouvements sociaux naissent de la résistance et de la participation sociale des peuples face aux injustices, comme le soulèvement du peuple bolivien.
D’autre mouvements sont apparus dans plusieurs pays, comme la récente rébellion populaire en Équateur face à un gouvernement qui a trahi son peuple, ou la rébellion populaire en Argentine, face à un gouvernement incapable qui a mené le pays à la débâcle économique et à l’augmentation de la pauvreté.
Le continent est à la croisée des chemins, il doit promouvoir les actions qui amèneront les changements que les peuples attendent, alors que les politiques néo-libérales prétendent globaliser la misère, la marginalité et la domination.
Le peuple bolivien a donné à travers son histoire des exemples clairs de résistance et de dignité, et aujourd’hui il fait à nouveau entendre sa voix pour éviter le pillage de ses ressources, affectant le présent et l’avenir du pays
Les peuples du continent doivent être en état d’alerte face aux politiques imposées par les centres du pouvoir dominant et développer la solidarité et l’entraide. Aujourd’hui c’est la Bolivie, demain ce sera peut-être nos peuples.
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et du quotidien mexicain, La Jordana. Version française pour le Réseau Voltaire : Cyril Capdevielle.
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