Les Sud-Américains ont fait échouer le traité de Zone de libre-échange des Amériques voulu par Washington. Ils lui opposent un projet d’intégration politique régionale : la Communauté sud-américaine des nations. Le professeur Edgardo Lander analyse ces deux visions antagonistes et les intérêts distincts qu’elles sous-tendent. Sa présentation éclaire, comme en miroir, le rejet par les Européens d’un traité travesti en constitution, mais transformant l’Union européenne en une zone élargie de libre-échange.
Quelle intégration et pour qui ?
La question de l’intégration latino-américaine ne peut être évoquée sans la formulation de quelques interrogations centrales. Intégration pour qui ? Pour les secteurs privilégiés de ces sociétés ? Pour que les capitaux, soient nationaux ou transnationaux, qu’ils puissent se déplacer librement dans tout le continent ? Ou, au contraire, pour les peuples, pour les pauvres, les exclus ?
Il n’y a rien dans l’idée d’intégration qui puisse être considéré comme favorable pour l’avenir des peuples du continent. Qu’il s’agisse d’une intégration latino-américaine ou sud-américaine, ne suffit pas pour correspondre aux intérêts populaires. Tout dépend du modèle d’intégration en question. Qui porte ce projet ? Pourquoi ? Pour qui ? En fonction de quels intérêts et de quelles des valeurs est-elle conçue ? Selon la réponse à ces questions, l’intégration peut soit renforcer les relations hégémoniques de domination actuelles, soit contribuer à ouvrir des espaces pour les combattre.
S’agit-il d’un projet d’intégration visant une plus grande ouverture de ces économies pour les soumettre aux diktats des tenants du capital ? Ou une intégration plus défensive ou protectrice qui aurait comme objectif de conquérir des espaces d’autonomie et de souveraineté pour définir des politiques publiques et des options économiques propres ? Autrement dit, une intégration qui contribue à effacer encore plus les espaces et les territoires de l’exercice de la souveraineté démocratique des peuples, ou une intégration ayant comme objectif de revenir sur les ravages causées par des siècles colonialisme et de politiques impériales qui ont encore cours sur le continent, et que les peuples subissent ?
Une intégration orientée vers les valeurs de l’individualisme matérialiste, de la concurrence de tous contre tous, dans laquelle la domination des puissants sur les faibles serait garantie par l’exploitation et l’exclusion, c’est-à-dire, une intégration qui accentue les inégalités actuelles ? Ou une intégration guidée par les valeurs de l’égalité, de la participation, de la pluralité, de la solidarité, de la communauté, une intégration qui reconnaisse, valorise et rende possible l’extraordinaire diversité des modes de vie des peuples de notre continent ?
Une intégration qui exploite sans limite les ressources naturelles, les transformant en marchandises exportables pour produire les excédents requis pour payer la dette externe ? Ou une intégration orientée vers de nouveaux modes de vie en harmonie avec la nature, en cessant de la considérer comme un ennemi à soumettre, à contrôler, à exploiter et en définitive détruire ?
Une intégration pensée comme une zone de libre-échange, conçue principalement comme un espace économique de libre circulation des marchandises et des capitaux ? Ou une intégration géopolitique conçue comme partie d’un processus de résistance à l’ordre global qui cherche imposer la politique unilatérale et impériale du capital transnational et du gouvernement des États-Unis ?
La Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA)
Le principal projet stratégique du gouvernement des États-Unis vers le continent américain dans son ensemble pendant les dernières dix années a été la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Par cet accord de portée continentale, les États-Unis et leurs entreprises ont cherché à consolider, approfondir et rendre irréversibles les politiques d’ajustement structurel des dernières décennies, en prétendant établir une fois pour toutes la priorité absolue des droits du capital sur ceux des gens.
En constitutionnalisant l’ordre néo-libéral par un accord supranational à valeur contraignante, les domaines de souveraineté sont drastiquement délimités, il en va de même pour l’exercice de la démocratie et la régulation sociale, notions qui sont perçues comme étant autant d’obstacles illégitimes au déploiement et aux mouvements des capitaux
Jusqu’à un peu plus de deux ans en arrière, la marche des négociations semblait inexorable. Des gouvernements soumis dans tout le continent négociaient secrètement des textes dans le dos de leurs peuples, et il paraissait inévitable qu’à la date prévue, c’est-à-dire, pour la fin de l’année 2004, on conclurait la négociation et la rédaction du texte de sorte qu’il puisse être ratifié en 2005. Toutefois, à partir de l’année 2002, les choses ont commencé à changer.
Les mouvements et les organisations sociales de la résistance à la ZLEA, par leur articulation au sein de l’Alliance Sociale Continentale, ont réussi à sortir le débat du cadre délimité d’une négociation entre experts en commerce international pour le placer sur le terrain du débat et de la mobilisation publique.
Des organisations syndicales, des indigènes, écologistes, paysans, femmes et universitaires de tout le continent ont convergé vers une résistance de plus en plus organisée et capable de grandes mobilisations. Chacune des principales réunions des négociateurs de l’accord a été accompagnée de protestations massives (Québec, Buenos Aires, Quito, Miami). Les changements politiques représentés par l’élection de Chávez, de Lula et de Kirchner ont introduit des perspectives et des positions dans la négociation qui n’étaient pas prévues.
Au cours de la réunion du Comité de Négociations Commerciales (CNC) tenue à San Salvador en juillet 2003, il a été reconnu pour la première fois, à la table des négociations, que celles-ci étaient dans l’impasse. Il y a bien eu des tentatives successives pour sauver l’accord, par le biais d’un traité plus dilué (ZLEA light) ou par la voie d’une ZLEA à deux vitesses que permettrait aux gouvernements les plus en phase avec le modèle de libre commerce de préserver le contenu du projet original, tout en autorisant d’autres gouvernements à prendre des engagements plus tièdes ou mesurés. En cherchant à débloquer les négociations, les États-Unis ont convoqué diverses « réunions informelles » entre différents groupes de pays.
Les désaccords ont prévalu. Finalement, contre toute attente, ce qui ne semblait pas possible est devenu aujourd’hui une réalité. La résistance continentale a mis en échec la ZLEA, peut-être même définitivement. Depuis début 2003, aucune réunion formelle n’a eu lieu. De fait, même si ceci n’est pas publiquement admis, les négociations ont été reportées à une date ultérieure sans plus de précisions [1].
Différentes organisations du continent ont suggéré que le 1er janvier 2005, date à laquelle l’accord était supposé être finalisé, soit célébré comme le jour du triomphe des mouvements populaires des Amériques contre la ZLEA. En ces temps néo-libéraux les victoires populaires ne sont pas nombreuses, elles méritent donc d’être soulignées.
Les Traités de libre Commerce (TLC)
Le remise en cause de la ZLEA représente sans doute une victoire pour la résistance au projet impérial de libre commerce. Toutefois, l’agenda stratégique du gouvernement des États-Unis vis-à-vis du continent n’a pas été mis en échec : il avance par d’autres voies. Puisque les difficultés dans les négociations de la ZLEA venaient principalement de trois pays - le Brésil, l’Argentine et le Venezuela - le gouvernement des États-Unis a choisi de continuer des négociations par l’intermédiaire de Traités de libre Commerce (TLC) avec pratiquement tous les autres pays. Un TLC a été négocié et signé avec le Chili, des négociations ont abouti avec Amérique Centrale, et tout porte à croire que les négociations avec la Colombie, l’Équateur et le Pérou sont entrées dans leur phase finale.
Étant donné le fractionnement et la dispersion de la résistance et les positions plus conciliatrices (vis-à-vis du libre commerce et du gouvernement des États-Unis) des gouvernements en question, dans ces accords l’agenda néo-libéral s’en trouve renforcé. Non seulement on va au-delà des accords de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC), mais même de ce qui était prévu dans les projets de la ZLEA. La disparité extraordinaire entre les parties prenant part à ces négociations est illustrée dans le contenu, par exemple, des chapitres sur la propriété intellectuelle et l’agriculture du TLC andin, des accords qui s’ils devaient être approuvés dans leur version actuelle auraient des impacts catastrophiques sur la santé et l’alimentation des populations.
Les États-Unis ont exigé le brevetage des plantes et animaux (définis comme des inventions !), ainsi que des protocoles de diagnostics, thérapeutiques et chirurgicaux. Réaffirmant une fois de plus qu’il considèrent plus importants les profits de leurs groupes pharmaceutiques transnationaux que la santé publique, en plus de diverses mesures destinées à empêcher l’utilisation de médicaments génériques, ils exigent que la Déclaration Relative à l’Accord sur les ADPIC [2] de Doha (2001), soit neutralisée . Celle-ci autorise une certaine flexibilité dans l’interprétation des droits de propriété intellectuelle des médicaments et permet aux pays membres de l’OMC de « protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès aux médicaments pour tous » .
Dans les négociations sur l’agriculture les États-Unis exigent l’élimination de tous les instruments de protection et de promotion agricole utilisés par les pays andins (fourchettes de prix, quotas d’importation, etc.), tout en refusant catégoriquement de revenir sur les subventions colossales pour sa propre agriculture. Cette combinaison ne peut que conduire à la dévastation de l’agriculture andine, à remettre en cause les conditions de la sécurité alimentaire et mener à l’expulsion de millions de personnes de la campagne.
Malgré la ferme opposition populaire et de massives mobilisations d’organisations sociales et politiques d’Amérique centrale et andines [3], il n’a pas été possible jusqu’à présent d’interrompre ces négociations.
Mercosur et la Communauté Andine de nations
le Mercosur ou la Communauté Andine de Nations (CAN) sont-ils aujourd’hui des alternatives à ce modèle d’intégration et de développement ? L’intégration ne peut pas être pensée comme quelque chose de différent des projets nationaux, différent de ce qui se dessine à l’intérieur de chaque État-nation. Les projets d’intégration du continent dépendent des processus politiques, des structures productives, des convergences des forces existantes tant globalement que régionalement comme à l’intérieur de chacun des pays participants.
Les projets actuels et les pratiques de l’intégration en Amérique latine se font avec des structures productives et des conditions politiques et idéologiques très différentes des celles qui avaient cours quand on débattait de l’intégration latino-américaine dans les années 60 et 70. Suite aux dictatures militaires et à l’application systématique des politiques néo-libérales d’ajustement structurel, ces sociétés ont profondément changé tant dans leur structure productive que dans leur tissu social. Suite à la répression, à la désindustrialisation et aux réformes du travail, le mouvement syndical s’est extraordinairement réduit et affaibli, et la plupart des nouveaux emplois sont crées dans le secteur dit informel.
La proportion de chefs d’entreprise dont la production était prioritairement orientée vers le marché intérieur a également décliné. La propriété de la terre est plus concentrée qu’il y a trois décennies. Les secteurs les plus dynamiques des économies du continent - ceux qui ont également aujourd’hui une plus grande incidence politique, un plus grand impact potentiel sur les politiques publiques - sont les secteurs triomphants de ces transformations économiques. Ce sont principalement les groupes financiers, ceux des services - comme les télécommunications - et les exportateurs de matières premières : dans le cas du Cône Sud, principalement le secteur de l’agro-industrie.
Ces secteurs sont contrôlés ou associés étroitement avec le capital transnational. Leurs bénéfices dépendent de l’ouverture économique, du dérèglement, des privatisations et de l’accès aux marchés internationaux. Ils constituent les forces dynamiques internes derrière les politiques du libre commerce.
Le sens aujourd’hui hégémonique néo-libéral commun, et les intérêts des secteurs qui ont profité des
transformations politiques et de la structure économique produites au cours des trois dernières décennies, conditionnent les orientations de base des projets d’intégration qu’ils opèrent aujourd’hui et qui sont négocié dans tout le continent. On peut constater qu’une des raisons fondamentales pour lesquelles
les gouvernements du Brésil et d’Argentine ont résisté si fermement à la ZLEA, c’est que les bénéfices attendus par ces secteurs n’étaient pas suffisamment garantis dans la négociation.
Il ne s’agit pas de ne pas reconnaître que ces gouvernements n’ont pas eu de positions uniques et que des tensions ont existé entre des visions plus orientées vers le libre commerce et des visions qui revendiquent une plus grande autonomie pour les politiques publiques nationales. Toutefois, et au-delà des discours, le fait que la ZLEA ne garantissait pas un plus grand accès des produits de l’agro-industrie du MERCOSUR au marché des États-Unis, et que le gouvernement de ce pays n’était pas même disposé à considérer la réduction des subventions à sa production agricole, sont les véritables raisons pour lesquelles on a fait échouer les négociations de la ZLEA..
Le seul gouvernement participant aux négociations qui aie formulé des remises en question conceptuelles, politiques et de doctrine fondamentales dans chacune des dimensions du modèle d’intégration proposé par le gouvernement des États-Unis à travers l’ALCA a été celui du Venezuela.
Ces sont ces mêmes intérêts qui ont prévalu lors des négociations du MERCOSUR avec l’Union Européenne. Si l’on en croit les plaintes formulées par les principales organisations sociales du Cône Sud [4], en échange d’un accès limité des produits de l’agro-industrie du MERCOSUR au marché de l’Union Européenne, les négociateurs du MERCOSUR font des concessions qui auraient des effets nuisibles sur l’agriculture familiale, limiteraient la capacité des États à avoir des politiques industrielles autonomes, et transformeraient en marchandises des secteurs aussi importants que les « services culturels » et les « services à l’environnement ».
L’Union Européenne se verrait offrir un accès privilégié aux marchés. Il n’y a aucune raison de penser que les entreprises transnationales basées en Europe puissent avoir des effets plus limités ou soient moins prédatrices que les états-uniennes, ni que les gouvernements européens soient moins virulents dans la défense des intérêts de leurs entreprises. Toute les illusions à ce sujet ont été balayées par l’exemple de la récente crise argentine.
La Communauté sud-américaine de nations
Les gouvernements de l’Amérique du Sud savourent un nouveau temps fort historique dans le continent, à savoir la réalisation du rêve de Bolivar : la création de la Communauté sud-américaine de nations. Cet accord pourra-t’il se transformer en un point de départ pour de nouveaux projets économiques et géopolitiques alternatifs aux modèles hégémoniques ?
La rhétorique de la Déclaration du Cuzco, signée par les présidents ou les chanceliers de 12 États sud-américains [5], semble effectivement pointer vers une nouvelle direction. Le langage utilisé diffère de la rhétorique du libre commerce qui a joui d’une hégémonie incontestée ces dernières décennies.
Partant de « L’Histoire partagée et solidaire de nos nations », « une identité sud-américaine partagée et des valeurs communes, comme : la démocratie, la solidarité, les droits humains, la liberté, la justice sociale, le respect de l’intégrité territoriale, de la diversité, la non discrimination et l’affirmation de son autonomie, l’égalité souveraine des États et la solution pacifique des différents » est revendiquée.
Il est également reconnu que le développement économique n’est pas suffisant, et que diverses stratégies doivent être mises en œuvre pour notamment au-delà « d’une conscience environnementale responsable, de la reconnaissance d’asymétries dans le développement de ses pays, soient garanties une répartition plus juste et plus équitable des ressources, l’accès à l’éducation, la cohésion et l’insertion sociale, ainsi que la préservation de l’environnement et la promotion du développement durable ».
L’accent est mis sur « l’engagement essentiel de la lutte contre la pauvreté, de l’élimination de la faim, la création d’emplois décents et l’accès à la santé et à l’éducation pour tous comme autant d’outils fondamentaux pour le développement des peuples ». Sur le plan international il est fait appel aux « valeurs de la paix et de la sécurité internationale, à partir de l’affirmation du droit international et d’un multilatéralisme renouvelé et démocratique qui intègre de manière volontariste et efficace le développement économique et social dans l’agenda mondial ».
Du point de vue institutionnel, la Communauté sud-américaine des nations s’affirme comme un projet qui va au delà d’une aire de libre-échange, stipulant qu’il sera « développé un espace sud-américain intégré dans les domaines politique, social, économique, environnemental et d’infrastructures, qui renforce l’identité propre de l’Amérique du Sud et qui contribue, à partir d’une perspective sous-régionale et, en articulation avec d’autres expériences d’intégration régionale, au renforcement de l’Amérique latine et des Caraïbes pour leur donner plus de poids et de représentation dans les forums internationaux ».
Conformément au texte, il s’agit d’un projet d’intégration des peuples. Il y est affirmé : « Notre conviction est que les valeurs et les intérêts communs qui nous unissent, en plus d’engager les Gouvernements, ne pourront se réaliser que dans la mesure où les peuples prennent toute leur place dans ce processus. L’intégration sud-américaine est et doit être une intégration des peuple ».
Au-delà de sujets cruciaux qui sont absents dans le texte, comme celui de la dette externe, et celui des relations de ce projet avec les accords de libre commerce signés ou en cours de négociation avec les États-Unis et l’Union Européenne, peut-on espérer que les actuels gouvernements sud-américains (signataires de la Déclaration de Cuzco) soient conséquents avec ces déclarations d’intention ? S’agit-il d’un langage destiné à « amuser le galerie », ou est-ce l’expression d’une nouvelle volonté politique des gouvernements sud-américains ?
Désigner la Déclaration du Cuzco comme étant de la pure rhétorique et la décision de créer la Communauté sud-américaine des nations une simple formalité n’est pas conséquent, il est nécessaire d’analyser ce processus dans le cadre des potentialités qu’il pourrait offrir pour se transformer en un nouveau terrain de luttes et de tensions entre différentes visions et différentes forces sociales autour du futur de l’Amérique latine. Les gouvernements signataires de la déclaration (ou certains de d’entre eux) vont-ils adapter les orientations de leurs politiques publiques pour les mettre en adéquation avec les objectifs déclarés de la Communauté sud-américaine des nations ?
Toutefois, il est évident qu’il y a des contradictions flagrantes entre les objectifs formulés dans cette déclaration et les principales orientations des politiques publiques dans la majorité des pays sud-américains. Les objectifs formulés dans la Déclaration du Cuzco ne sont en rien compatibles avec les politiques publiques et les orientations économiques qui, grâce à la dette externe, continuent à être imposées par les organismes financiers internationaux dans tout le continent. Les mouvements sociaux et politiques populaires du continent sont-ils en mesure de profiter de ces tensions pour formuler et promouvoir des propositions alternatives ?
Quel crédit accorder aux gouvernements andins qui négocient aujourd’hui un TLC avec les États-Unis, projet qui constitue une menace grave pour la santé, l’éducation, l’alimentation et l’environnement de ces pays, lorsqu’ils se sont engagés à garantir la santé, l’éducation, l’alimentation de leurs peuples, ainsi que la préservation de l’environnement ? Quel sens donner à la revendication du droit à un emploi décent quand les politiques d’ouverture, de privatisations et de déréglementation, la désindustrialisation, la flexibilité et les réformes de la législation de travail promues par ces mêmes gouvernements continuent de détériorer et de précariser systématiquement les conditions de l’emploi ? À quoi bon proclamer l’autonomie et l’égalité souveraine des États alors que sont négociés des accords commerciaux qui limitent toujours plus l’exercice de la souveraineté ? Pourquoi parler de distribution équitable des ressources, et de cohésion et d’insertion sociale, si l’expérience confirme que les actuelles politiques marquées par une vision dogmatique du libre commerce ne conduisent qu’à la désintégration sociale et à l’accroissement des inégalités sociales ? Quel sens cela a-t’il de souligner l’importance de la préservation de l’environnement et de la promotion d’un développement durable si - comme dans le cas du Brésil - les politiques actuelles donnant la priorité aux exportations de matière premières visant à générer un excédent dans la balance commerciale pour payer la dette externe requièrent une surexploitation prédatrice et non soutenable des ressources naturelles ? Quels types d’infrastructures vont accompagner ce processus d’intégration ? La priorité à l’investissement en infrastructures destinées à faciliter les exportations et à consolider le modèle de croissance vers l’extérieur, l’économie des ports sera t’elle maintenue ? Ces infrastructures ne mettront t’elles pas l’Amazonie et ses ressources à la disposition des entreprises transnationales ? Pourra-t’on au contraire donner la priorité aux exigences d’un développement endogène, d’une extension des marchés internes continentaux et de l’intégration effective des peuples ? Sera-t’il possible d’avancer dans la direction d’un modèle alternatif d’intégration alors que la Communauté sud-américaine des nations adopte, sans aucune vision critique, le corpus juridique et normatif que le MERCOSUR et la Communauté Andine des nations ont mis en place pendant les décennies d’hégémonie néo-libérale ?
La rhétorique latino-américaniste, la revendication de la souveraineté et de la démocratie, ainsi que des droits des peuples, pourraient conduire les mouvements sociaux et politiques populaires à baisser la garde pour ce qui est des négociations entre les gouvernements du continent. En attendant, ils demeurent sur les accords négociés avec des puissances extra-continentales (ZLEA, TLCs, MERCOSUR-UE). Il n’y a, toutefois, rien dans l’idée d’intégration sud-américaine qui en elle-même, par sa condition d’être latine ou sud-américaine, soit nécessairement plus favorable aux intérêts des peuples. Tout dépend, comme cela a été indiqué au début de ce texte, des modèles d’intégration en jeu.
Avec la Communauté sud-américaine des nations s’ouvre un nouveau terrain de luttes continentales. L’avenir de ce projet d’intégration et la réponse à la question essentielle de savoir s’il peut ou non devenir favorable aux intérêts populaires, dépendra plus du résultat des luttes sociales et politiques, de la capacité des forces populaires à retourner les tendances politiques et économiques aujourd’hui hégémoniques dans la plus grande partie du continent, que du contenu de ses textes fondateurs.
Sera-t’il possible de transformer la Communauté sud-américaine des nations en un nouveau terrain capable d’articuler de manière effective les luttes des peuples du continent pour la souveraineté, la démocratie, l’égalité, la pluralité culturelle ? Ce nouveau projet intégrateur pourra t’il jouer un rôle dans la résistance à l’hégémonie impériale des États-Unis ?
Les mouvements populaires latino-americains, sont aujourd’hui confrontés à ces nouveaux défis et interrogations.
Article rédigé pour Alia2/Red Voltaire.
Version française de Cyril Capdevielle pour Réseau Voltaire.
[1] Toutefois des rumeurs ont circulé accréditant l’idée que les co-présidents Robert Zoellick pour les États-Unis et le chancelier brésilien Celso Amorim, avaient prévu de se réunir en janvier 2005 pour explorer les possibilités d’un éventuelle reprise des négociations. Pendant que toutes les négociations sur des questions de fond ont été suspendues, les rivalités des villes pour être le siège permanent de l’accord ont battu leur plein.
[2] Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), mieux connu par son sigle en anglais : TRIPS.
[3] Voir, par exemple, la Déclaration conjointe des quatre centrales syndicales colombiennes : Declaración frente al tratado de libre comercio con Estados Unidos y el tema laboral, Bogotá, 3 décembre 2004. Sur la Red Colombiana de Acción Frente al Libre Comercio (Recalca)
[4] Appel pour le Non a la ZLEA (Argentine), « Acuerdo Unión Europea-MERCOSUR : ganancias para pocos, amenaza para la mayoría »
[5] Déclaration de Cuzco sur la Communauté Sud-américaine des Nations, Sommet des présidents sud-américains, Cuzco, 8 de décembre 2004. Les pays signataires de cette déclaration sont : l’Argentine, la Bolivia, le Brésil, le Chili, la Colombie, L’Équateur, la Guyanne, le Paraguay, le Perou, le Surinam, l’Uruguay et le Venezuela
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