Depuis le dernier élargissement du 1er mai 2004, on ne cesse de s’interroger dans l’Union européenne sur les frontières de l’Europe. Tout le monde y va de son avis. Toutefois, personne n’a mis en cause jusqu’ici l’appartenance européenne des pays des Balkans ou de l’Europe du Sud-Est, comme nous préférons nous appeler. Tout n’a pas été glorieux dans l’action des pays européens dans les Balkans. Mais chaque fois que l’Europe s’est montrée indifférente à ces pays, cela a été tragique. Il y a entre l’Europe et les Balkans un lien indissoluble. Depuis que l’Europe a compris l’importance de son rôle là bas, les choses s’y passe beaucoup mieux. Qui peut aujourd’hui raisonnablement mettre en doute l’efficacité de l’action européenne dans la pacification générale et vraisemblablement définitive des Balkans ? Tous ces pays lui en sont reconnaissants, tous se sont sérieusement investis et ont fait de l’entrée au sein de l’Union européenne, à terme, leur priorité absolue.
Pourtant, depuis le rejet français et néerlandais du Traité constitutionnel européen (TCE), une incertitude est né sur l’élargissement. Insinuer, voire conclure que les Français auraient expressément dit non à l’élargissement, au-delà d’être réducteur, reviendrait à dire que les Français en auraient fini avec leur sens de grande nation d’idées et d’action proeuropéenne. Dire aujourd’hui aux pays des Balkans que l’Europe veut faire une longue pause pour réfléchir sur son avenir, c’est leur dire poliment qu’on ne veut pas d’eux, brisant ainsi la mécanique de réforme des Balkans. L’Histoire a toujours reconnu aux grandes nations plus de responsabilités pour elles-mêmes et pour les autres. Chaque fois que l’Amérique, au rythme des changements d’administration, montre des signes de désengagement international cela est vécu avec inquiétude en Europe. Que dire alors de la France et de son rôle dans l’espace européen ? Est-ce maintenant que l’Europe est plus riche qu’elle devient frileuse ? Est-ce maintenant qu’elle est plus forte qu’elle commence à avoir peur ? Est-ce maintenant qu’elle est plus grande qu’elle se rétracte ? Est-ce maintenant qu’elle a fait ses preuves qu’elle commence à douter de son avenir ?
Depuis 1999, le discours sur l’adhésion des pays des Balkans a été clair et cohérent. Jacques Chirac, qui a organisé le premier sommet Union européenne-Balkans à Zagreb en 2000, avait rappelé que les pays des Balkans avaient leur place dans la famille européenne. Personne ne comprendrait qu’on revienne sur cet engagement. Cette promesse, renouvelée et renforcée solennellement lors du sommet de Thessalonique, en 2003, constitue le cordon ombilical qu’on ne saurait couper. ON ne peut se permettre de se renier.
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.
« Europe, le blues des Balkans », par Ferit Hoxha, Libération, 20 juin 2005.
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