Le 29 mai, les Français ont rejeté le Traité constitutionnel européen (TCE) et ce choix démocratique s’impose à nous. On ne peut pas continuer comme si de rien n’était. L’Europe traverse une crise d’identité, et pas seulement en France et au Pays-Bas. Il existe un divorce entre les États et les peuples. Par son incapacité à se doter d’une vision claire et cohérente pour l’avenir, l’Europe s’est coupée des citoyens. Il faut fixer un cap politique à l’Union européenne.
Nous hésitons depuis trop longtemps entre une Europe-marché et une Europe dotée de vrais moyens politiques. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons défendre le choix de l’Europe politique, parce que nous pensons qu’entre la nation et le monde globalisé l’Europe reste un échelon pertinent de régulation, de coopération, de solidarité et d’action. C’est là le vrai débat, et non la lutte des « anciens » et des « modernes » comme certains l’affirment.
La proposition luxembourgeoise comprenait, dans sa dernière version, une augmentation de plus de 30 % des dépenses de recherche et d’avenir, pendant que la politique agricole commune voyait sa part dans le budget se réduire au tiers du total, contre plus de la moitié il y a moins de dix ans. Il s’agit bien de la preuve que l’Union européenne est tournée vers l’avenir. Les dirigeants européens ont tous la volonté de faire évoluer l’Europe vers davantage de croissance et de compétitivité. Mais nous voulons aussi qu’elle reste fidèle à ce qui la fonde depuis cinquante ans et qui doit être préservé : la coopération, la mise en commun des ressources, la solidarité. C’est cette vision que la France entend défendre.
Devant le risque de « spirale négative », le Conseil européen a décidé d’une pause dans le processus de ratification en cours du traité constitutionnel. Cette réflexion active ne doit toutefois pas conduire à défaire l’acquis communautaire ni à remettre en cause 50 ans de construction européenne. Face à ceux qui présentent la Politique agricole commune (PAC) comme une politique du passé, analysons les avantages et inconvénients des actions menées et des réformes entreprises. Il ne s’agit pas que d’aides aux agriculteurs, mais aussi de l’autosuffisance agricole pour notre continent, de l’aménagement des territoires européens, de la sécurité alimentaire, de notre capacité commerciale à gagner des parts de marché à l’étranger.
Nous devons profiter du temps de réflexion pour aborder franchement et collectivement tous les sujets. La France devra défendre ses valeurs, ses convictions et ses intérêts mais aussi retrouver l’esprit des pères fondateurs, adapté aux réalités d’aujourd’hui. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de nous pencher sur les grands sujets de l’heure :
 Nous devons relancer la politique en faveur de la croissance et de l’emploi en donnant un nouvel élan à la stratégie de Lisbonne. La recherche est un domaine essentiel.
 Nous devons rassurer et protéger nos citoyens. Il faut créer au sein de notre continent européen un espace de liberté qui ne sera plus craint par les citoyens, parce qu’ils sauront que celui-ci est soumis à des règles claires et acceptées par tous.
 La place de l’Europe dans le monde. L’Irak l’a montré a contrario, l’Europe doit s’unir pour affirmer une diplomatie et une défense qui lui permettent de tenir son rang dans le monde et de parler d’une voix forte et autonome.

Source
Le Monde (France)

« Europe : l’heure de vérité », par Philippe Douste-Blazy, Le Monde, 21 juin 2005.