L’Italie post-Berlusconi fait bien les choses. Parallèlement à la nomination du bilderberger de Goldman & Sachs, Mario Monti, au poste de Premier ministre, la Défense revient à un cadre de l’OTAN, l’amiral Giampaolo Di Paola. Président du Comité militaire de l’OTAN depuis juin 2008, il avait notamment dressé un bilan particulièrement positif de la guerre en Libye. Lorsqu’il était chef d’état-major de la Défense italienne, il avait commandé à la participation des forces italiennes aux opérations de l’OTAN, de l’UE et à la coalition menée en Afghanistan, en Irak, dans les Balkans, en Méditerranée et au Pakistan, ainsi qu’à l’opération des Nations Unies au Liban. Jamais élu, mais prétendant s’appuyer sur un consensus populaire basé sur les sondages d’opinion, le tandem Di Paola-Monti préfigure la nouvelle configuration post-démocratique de la chose politique en Europe : la prise en main directe du pouvoir par la finance et l’armée, dont la légitimité ne repose plus sur le mandat du peuple, mais sur le soutien affiché par le dispositif médiatique.
Pour le chasseur-bombardier F-35, au parlement italien, « le ministre Di Paola a dû faire contre mauvaise fortune bon cœur » : c’est ce que nous assure Flavio Lotti, coordinateur de la Tavola della Pace (Table de la paix) [1]. Le ministre de la Défense a-t-il véritablement été contraint de s’incliner devant une majorité parlementaire qui a décidé de réduire le nombre des chasseurs-bombardiers ?
D’après les compte-rendus du parlement, il s’avère que c’est l’exact opposé. Di Paola est allé au parlement annoncer la décision, déjà prise par le gouvernement Monti, de « recalibrer » l’achat des F-35, passant de 131 à 90 unités. S’ajouteront à ceux-ci 90 Eurofighters : de ce fait l’Italie disposera de 180 chasseurs-bombardiers « beaucoup plus performants ». En d’autres termes, beaucoup plus destructeurs que les Tornados utilisés il y a un an pour bombarder la Libye. Plus que suffisants pour assurer la capacité de projection du « pouvoir aérien », un des pivots du concept stratégique pentagonien énoncé par Di Paola en 2005.
Non seulement l’Italie s’engage à acquérir 90 F-35 (chiffre augmentable en cas de « nécessité ») mais elle participe au programme de Lockheed Martin avec le site de l’Alenia à Cameri. Réalisé, précise Di Paola, dans un aéroport militaire parce que « les Américains et Lockheed Martin ont exigé des conditions de sécurité et de secret : ou bien dans une base militaire sous certaines conditions ou bien ça ne se faisait pas ». C’est là que non seulement seront assemblés les chasseurs, mais aussi réalisées « les mises à jour, parce qu’au fil du temps les avions reçoivent des améliorations » (avec dépenses additionnelles continues). Et c’est bien sûr l’industrie militaire « élément technologique important du pays et qui, aujourd’hui plus que jamais, vise l’exportation » qui en tirera profit.
Le mystère plane toujours sur le coût de revient unitaire des F-35. « On parle aujourd’hui d’environ 80 millions de dollars, mais on s’attend à ce que le chiffre baisse de plus en plus » raconte le fabuliste Di Paola aux petits députés. Et, pour les tranquilliser, il ajoute : « Si vous saviez combien a coûté l’Eurofighter, vous seriez épouvantés ; on parle, pour être clairs, du double de ce montant ». Personne n’a osé lui demander à combien se monte le chiffre épouvantable.
Pas même l’Idv (Italia dei valori, parti de l’ancien juge Di Pietro, Ndt) —qui dans sa motion (rejetée) demandait au gouvernement d’évaluer la possibilité de sortir du programme F-35— n’a osé mettre le doigt sur la plaie : ce chasseur de cinquième génération ne sert pas à la défense de l’Italie mais à la stratégie offensive USA/OTAN à laquelle participe l’Italie ; il sert à garder les alliés sous le leadership des États-Unis, et pas seulement sur le plan militaire. Le programme F-35 est un des moteurs de l’économie étasunienne : y participent plus de 1 300 fournisseurs de 47 États US, créant 130 000 emplois, chiffre qui pourrait même doubler.
Tout ceci est ignoré par le parlement italien. Le programme F-35 a ainsi été approuvé avec un consensus bipartisan substantiel du PdL (Peuple de la Liberté, parti de Berlusconi) et du Pd (Parti démocrate). Rien d’étonnant à cela : pour faire participer l’Italie à ce programme, se sont engagés successivement de 1998 à aujourd’hui, les gouvernements D’Alema, Berlusconi 1, Prodi, Berlusconi 2 et Monti.
Et quand le F-35 aura été utilisé dans une action de guerre, nous aurons un Flavio Lotti qui, à la Perugia-Assisi, retournera marcher aux côtés du chef du gouvernement. Comme il le fit en 1999 avec le président du conseil D’Alema qui, après avoir envoyé les avions italiens bombarder la Yougoslavie, participa, sur invitation des organisateurs, à la marche de la paix.
Sur la stratégie commerciale du F-35, comme arme visant d’abord à détruire l’industrie de défense des alliés des Etats-Unis, on se reportera au remarquable blog DeDefensa qui en décrit les arcanes depuis plusieurs années.
[1] Tavola della pace : http://www.cipsi.it/nuovo/cipsi/documenti/yearbook/199.pdf : structure de « coordination » pour « promouvoir la paix, les droits humains et la solidarité », créée et soutenue, dans un but démagogique et pour dévier les mobilisations, par la « gauche » pro-OTAN, active dans le soutien des guerres d’agression ; une des actions les plus connues est la « marche Perugia-Assisi », au mois de septembre. NdT.)
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