Dans le système électoral français, les citoyens sont appelés à exprimer leurs préférences lors du premier tour de scrutin —ce qui permet aux partis politiques de compter leur soutien populaire—, tandis qu’ils doivent porter des alliances pour dégager une majorité au second tour. Par conséquent, c’est l’élection présidentielle qui structure durablement la vie politique. Cette logique aurait du faire ressurgir en 2012 le clivage prévalent lors du référendum européen de 2005. Pourtant il n’en a rien été. Luc Chevallier expose la manière dont les médias ont conduit les électeurs vers une voie de garage.
L’enjeu de l’élection présidentielle pour l’oligarchie qui a installé Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2007 était d’infliger une nouvelle défaite au camp politique majoritaire en France, celui du Non au referendum constitutionnel européen de 2005.
À l’époque, le dispositif médiatico-politique avait été mobilisé en faveur d’une campagne massive pour le Oui, mais les Français avaient rejeté ce texte qui représentait à leurs yeux la fin de leur nation.
Lorsque Nicolas Sarkozy imposa malgré tout cette constitution, il respecta la lettre de la Constitution, mais pas son esprit : il viola la souveraineté populaire et brisa le fondement du pacte démocratique.
Depuis, il faut considérer que la légitimité de la représentation ne repose plus sur le mandat populaire, mais sur le soutien affiché par le système médiatique. Un régime post-démocratique, où la classe dirigeante s’appuie sur son dispositif d’influence pour désamorcer la contestation et faire accepter à une majorité des lois qui ne seront en définitive favorables qu’à une minorité. Les apparences démocratiques sont sauves, notamment les scrutins électoraux, partant du principe que le camp contrôlant les mass-médias et subventionnant la classe politique bénéficie d’un avantage décisif.
La Présidence de la République, clef de voute de la souveraineté française
« Veillez par tous les moyens sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. Protégez-là comme la prunelle de vos yeux pour l’avenir de la grande famille humaine. »
Jean-Paul II, discours à l’ Unesco, 2 Juin 1980
L’actuelle constitution française fut mise en place par Charles De Gaulle, qui avait façonné les institutions de façon à donner une autorité décisive au président. Il fit en sorte qu’il ait en main les orientations stratégiques du pays, via son statut de chef des armées et son élection au suffrage universel direct. Un pouvoir suffisant pour préserver l’indépendance de la France face aux grandes puissances de l’après-guerre.
La présidence étant devenue la fonction la plus importante, chacun accorde la plus haute importance à son élection. C’est vrai pour les électeurs qui se mobilisent en masse, comme pour la classe dirigeante qui fait alors fonctionner à plein régime les médias qu’elle contrôle.
Précisément, du point de vue de l’oligarchie, l’objectif est de prévenir la reconstitution des forces qui avaient fait triompher le Non en 2005. Pour y parvenir, sa priorité tactique est de s’assurer que seuls deux partisans du Oui concourront au second tour de l’élection présidentielle, de sorte que ses intérêts seront préservés quelle que soit la décision finale des Français. Le choix des électeurs se limiterait alors à deux personnalités incarnant des manières différentes d’appliquer la même politique.
Par conséquent, l’oligarchie doit utiliser son système médiatique pour concentrer les voix du Oui sur le plus petit nombre de candidats, et diluer les voix du Non sur le plus grand nombre de candidats. Il s’agit d’éviter le retour du clivage défavorable de 2005, qui ferait de l’élection présidentielle un nouveau référendum sur l’Europe dans un moment particulièrement difficile (effondrement de la Grèce et crise de l’euro).
En 2005, le camp du Non avait été principalement représenté par le Parti Communiste et la Ligue Communiste Révolutionnaire à gauche, et le Front National à droite. Le camp du Oui avait été représenté par le Parti socialiste, l’UDF (centre) et l’UMP, ainsi que les Verts (écologistes).
Parmi les quatre candidats à la présidentielle 2012 issus des formations ayant soutenu la constitution européenne, deux seulement recevront un coup de pouce médiatique au premier tour. François Bayrou, dont on avait fait le « troisième homme » de la campagne précédente, n’a pas bénéficié du même traitement.
Les dirigeants écologistes ont eux choisi d’être inexistants, notamment en désignant une candidate peu connue et maitrisant mal la langue française, Eva Joly, au détriment de Nicolas Hulot, ancien présentateur de télévision et vedette de l’écologie. La contre partie de ce seppuku politique en faveur du PS est un accord préélectoral entre les deux partis, garantissant aux « écologistes » un avenir dans la future majorité, quel que soit leur score au premier tour. Il faut en effet éviter de reproduire l’accident de 2002, quand un Lionel Jospin favori des sondages avait été éliminé dès le premier tour à cause de la dispersion des voix de gauche.
À l’aile droite du camp du Oui, l’UMP a fait place nette à Nicolas Sarkozy, malgré un mauvais bilan et une impopularité record. On aura pris le soin d’empêtrer Dominique de Villepin, son seul véritable rival à droite, dans des affaires judiciaires ; et si celui-ci menaça un temps de se présenter, il trouva finalement quelques raisons de se retirer de la course, privilégiant probablement la gestion de son cabinet d’avocat d’affaire avec le Qatar. D’autres candidats ont été délicatement écartés comme Christine Boutin (chrétiens-sociaux), Corine Lepage (écolo-sionistes) ou encore Frédéric Nihous (ruraux).
Neutraliser l’opposition au nouvel ordre européen
« Quels sont nos ennemis et quels sont nos amis ?
C’est là une question d’une importance primordiale pour la révolution. »
Mao Zedong, Œuvres choisies, tome IV
Reste à obtenir que le camp du Non ne place aucun de ses champions au second tour, alors que c’est en théorie là que se trouve le plus gros réservoir électoral.
Dans un premier temps, on multiplie les candidatures, six candidats du premier tour à la présidentielle appartenant à la mouvance du Non. Qu’importe la légitimité populaire, l’essentiel est de disperser les forces. Ces petits candidats doivent leur participation au mode d’organisation des élections, articulée en réalité sur trois tours. Par le jeu des 500 parrainages, ce sont les deux branches du parti oligarchique qui sélectionnent ceux qui participeront à la campagne présidentielle. Ils permettent à des candidats méconnus d’y participer, quand la menace d’une absence au premier tour plane sur l’un des principaux courant politique français.
Pour le Parti communiste, la tactique aura consisté à fondre celui-ci dans une coalition placée sous la direction de l’ex-trotskyste et ancien membre du Parti socialiste Jean-Luc Mélenchon. Malgré un positionnement très à gauche, le leader du Front de Gauche annonce tôt dans la campagne qu’il soutiendrait François Hollande au deuxième tour, signifiant qu’il rejoint de fait le camp du Oui avec sa formation.
Reste donc le Front National, qui est déjà parvenu à placer son candidat au deuxième tour d’une présidentielle en 2002. De plus, cette formation historiquement liée aux vaincus de la Seconde Guerre mondiale et aux victimes de la décolonisation, a fait peau neuve en transmettant sa direction de son leader emblématique à sa fille. Surtout, il ne se positionne plus comme le réceptacle du vote protestataire, mais ambitionne d’exercer le pouvoir.
Le camp du Non se retrouve par conséquent avec une candidate sur laquelle concentrer ses voix, dans un contexte où les difficultés financières européennes et l’expédition en Libye, entre autre, donnent raison à ceux qui craignaient que la mise en place du traité constitutionnel européen renforce le contrôle de la finance et de l’Otan sur l’Europe.
Le dispositif d’influence constitué par les instituts de sondage et les relais médiatiques va donc favoriser la division des voix du Non en assurant la promotion du Front de Gauche comme alternative au Front National.
Les dirigeants du Front de Gauche on bien compris l’intérêt de jouer cette carte du mouvement « rouge » et « citoyen », face à la vague « bleu marine » et « fasciste ». Leur candidat met en scène son hostilité à l’encontre de la formation de Marine Le Pen et reçoit l’attention bienveillante de médias qui en principe devraient être hostiles à ses postures anticapitalistes : il sera le troisième homme désigné de cette campagne marketing appelée élection présidentielle française.
République Vs Marketing
« La télévision est le premier pouvoir en France, et non le quatrième ».
Valéry Giscard d’Estaing, Face à la 3, France 3, 7 novembre 1984
Bien qu’il soit difficile d’évaluer à quel point le système de communication mis en place par l’oligarchie influence le résultat des élections, il est certain que par le contrôle de plusieurs leviers à des niveau clés du processus médiatique et politique de la campagne électorale, celle-ci dispose de moyens d’influences considérables.
En définitive, l’oligarchie aura gagné son pari. Par une habile segmentation de l’offre électorale, elle à élaboré un choix qui lui a permit de placer ses deux candidats au second tour. Piégés par une campagne électorale basée sur les techniques publicitaires, les Français n’auront pas su distinguer toutes les contrefaçons. Ils n’ont désormais plus d’alternative. Le digues du tsunami financier seront bientôt levées, déversant son flot d’injustice sur la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, puis la France.
Le capitaine de ce qui fut autrefois un pays souverain dira que le bateau n’est pas assez fort pour une telle tempête, qu’il est nécessaire de lâcher du lest et de faire d’autres réformes. Le peuple verra la classe dirigeante s’agiter à la barre d’un navire à la dérive dont elle a elle-même pris soin de déchirer les voiles et de briser le gouvernail.
Qui alors restera debout dans l’ouragan ?
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