Le représentant permanent de la Russie, Vitaly I. Churkin, lève la main pour interdire la guerre contre la Syrie (Conseil de sécurité, 19 juillet 2012).

Ces dernières semaines, la scène diplomatique internationale a été une nouvelle fois accaparée par la crise syrienne. Un double veto a été brandi au Conseil de sécurité, l’Assemblée générale a voté une résolution et l’envoyé spécial du secrétaire général a démissionné. Cette agitation, qui est contre-productive en termes diplomatiques, répond à d’autres objectifs que la recherche de la paix.

Les Occidentaux n’avaient aucune raison diplomatique de faire procéder au vote sur leur projet de résolution, alors que les Russes avaient annoncé qu’ils ne le laisseraient pas passer. Ils n’avaient pas non plus de raison de faire adopter une nouvelle résolution par l’Assemblée générale alors que celle-ci en a déjà adopté une dans des termes similaires. Enfin, Kofi Annan n’avait pas de raison objective de démissionner.

Par ailleurs, une partie de cette séquence est illégale. L’Assemblée générale n’a pas la compétence pour débattre de dossiers dont le Conseil de sécurité est saisi, sauf lorsque « paraît exister une menace contre la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Ce n’est pas le cas puisque les promoteurs de la résolution insistent pour présenter la crise syrienne comme un problème exclusivement intérieur.

Quoi qu’il en soit, l’Assemblée générale n’a pas évoqué cette compétence (connue sous le nom d’« Union pour le maintien de la paix »), mais les dirigeants occidentaux ont laissé entendre qu’elle disposait de bien plus : d’un droit d’ingérence humanitaire. C’est évidemment une escroquerie intellectuelle. La Charte de l’ONU est fondée sur le respect de la souveraineté des États membres, tandis que le « droit d’ingérence » (anciennement dénommé « mission civilisatrice ») est le privilège du plus fort utilisé par les puissances coloniales pour conquérir le monde.

Dans cet état d’esprit, les dirigeants occidentaux n’ont cessé de stigmatiser l’inaction du Conseil de sécurité. Rien n’est plus faux : le Conseil est divisé, comme l’ont montré les trois vétos successifs, mais il est actif et a déjà pris trois résolutions sur la crise syrienne (2042, 2043 et 2059). Lorsque le jury d’une Cour pénale est divisé sur la culpabilité d’un prévenu et le relaxe, on ne dit pas que la Cour est impuissante à le condamner, mais au contraire on dit qu’elle a rendu la Justice. Lorsque le Conseil de sécurité, qui est une des sources du droit international, rejette une résolution, on doit admettre qu’il dit la loi, que l’on soit satisfait ou pas de sa décision.

Kofi Annan a expliqué sa démission en ces termes : « la militarisation croissante sur le terrain et le clair manque d’unité du Conseil de sécurité ont fondamentalement changé les circonstances pour la réussite de ma mission ». On croit rêver, M. Annan avait accepté ses fonctions le 23 février. À cette date, l’Armée syrienne était en train d’assiéger l’Émirat islamique de Baba Amr où deux à trois mille combattants étaient retranchés avec des instructeurs occidentaux, tandis que la Chine et la Russie avaient déjà fait usage par deux fois de leur droit de véto. En réalité, aucun protagoniste n’a modifié d’un iota sa position. Seul le rapport de forces sur le terrain a changé : une faction de la population syrienne qui soutenait les groupes armés accorde désormais son soutien à l’armée nationale ; après avoir perdu l’Émirat islamique de Baba Amr, les Contras ne sont pas parvenus à s’emparer de Damas, ni d’Alep et se retrouvent privés de sanctuaire. Kofi Annan déserte le champ de bataille syrien, comme il l’avait fait à Chypre en 2004 après le rejet de son plan de paix par référendum.

Rétrospectivement, il apparaît qu’il concevait sa mission dans la perspective d’un renversement du président el-Assad par la force et qu’il ne sait plus que faire devant l’échec militaire de l’Armée syrienne libre soutenue par l’Occident. Évidemment, la démission de l’envoyé spécial n’est pas seulement l’expression de son désarroi personnel, elle participe aussi de la campagne occidentale pour stigmatiser un « blocage de la communauté internationale » et en faire porter la responsabilité à la Syrie, à la Russie et à la Chine.

Voilà qui laisse entrevoir la véritable signification de cette agitation. Les Occidentaux n’ont que faire du bien-être des Syriens : ce sont eux qui arment les mercenaires qui torturent et massacrent à grande échelle, et ils n’ont pas l’intention de s’arrêter. Leur activité diplomatique est exclusivement orientée vers une mise en accusation de la Russie et de la Chine et vers une contestation de l’existence même du Droit international.

Le très obséquieux Ban Ki-moon ne s’y est pas trompé. Ouvrant le débat de l’Assemblée générale sur la Syrie, il a infirmé l’analyse présentée par la résolution. Il n’a pas dénoncé un conflit syro-syrien. Il a déploré « une guerre par procuration » entre grandes puissances ; une guerre dont l’objectif n’est pas la prise de la Syrie, mais l’ajustement d’un nouveau rapport de forces mondial.

Source
Tichreen (Syrie)