C’est en 1994 que le Pentagone a lancé le programme d’un avion de combat multirôles, l’actuel projet JSF. Il devait être fabriqué rapidement, en grande série, et à bas coût. 20 ans plus tard, le JSF est toujours un projet, ses commandes ont été réduites, et il est devenu l’avion le plus cher de l’Histoire. En définitive, ce projet aura surtout servi à fermer l’industrie de défense aérienne des membres de l’Otan au profit des seuls États-Unis. L’Italie envisage de sortir de ce programme aberrant.
Il y a onze ans, le 30 mai 2002, nous exposions dans quelle situation se trouvait amenée l’Italie en adhérant au programme du Joint Strike Fighter, le chasseur construit par la firme Lockheed Martin (rebaptisé ensuite F-35 Lightning parce que « comme la foudre il frappe l’ennemi avec une force destructive et de façon inattendue »). La veille, on avait annoncé l’entrée des principales industries aérospatiales italiennes dans le programme JSF, en louant les avantages qu’il aurait apportés en termes d’emploi et de gains.
Il était clair alors que, dans un secteur à haute-technologie comme celui de l’aérospatiale, l’augmentation de postes de travail aurait été très limitée et que, tandis que l’argent des contrats serait entré dans les caisses de sociétés privées, celui de l’achat des chasseurs serait sorti des caisses publiques. Il était dès lors prévisible que le chasseur aurait coûté beaucoup plus que prévu et qu’à ce coût allait s’ajouter celui d’une centaine d’Eurofighter Typhoon, que l’Italie s’était déjà engagée à acheter.
Mais désormais la décision politique avait été prise. C’était le gouvernement de centre-gauche D’Alema, le 23 décembre 1998, qui avait signé le premier mémorandum d’accord pour participer au programme JSF. Dans un style bipartisan parfait, l’honneur de la deuxième place revint au gouvernement de centre-droit de Berlusconi : ce fut l’amiral Di Paola, en habits de directeur national des armements, qui, le 24 juin 2002, signa au Pentagone l’accord qui engageait l’Italie à participer au programme comme partenaire de second rang. Il fut perfectionné, en 2007, par le gouvernement de centre-gauche Prodi. Et en 2009 ce fut de nouveau un gouvernement Berlusconi qui délibéra l’achat de 131 chasseurs pour lequel on doit à la vérité de dire qu’il avait déjà été décidé par le gouvernement Prodi.
En 2012, pour démontrer que face à la crise tout le monde doit se serrer la ceinture, le gouvernement Monti a décidé de « recalibrer » l’achat des F-35 de 131 à 90 unités. La même coalition bipartisane, qui avait approuvé l’acquisition des chasseurs sans savoir combien ils allaient coûter, s’est félicitée de l’épargne ainsi obtenue, elle aussi non quantifiable, le coût réel du chasseur restant dans les nuages. Dans le budget 2013 du Pentagone on prévoit un coût unitaire de 137 millions de dollars, mais il s’agit de l’avion « nu » qui, une fois doté de moteur et avionique, coûte beaucoup plus. Comme admet le Pentagone même, en 11 années le coût du programme F-35 a augmenté dans une moyenne journalière de 40 millions de dollars. En raison, aussi, de continuels problèmes techniques : on a découvert par exemple que le « Foudre » est vulnérable à la foudre, inconvénient dont la solution nécessitera une grosse dépense supplémentaire.
L’Italie veut acheter, en plus des 60 chasseurs à décollage conventionnel, 30 à décollage court et atterrissage vertical, beaucoup plus coûteux. Il faut en outre tenir compte que, pour garder opérationnels 90 F-35, on dépensera un milliard et demi de dollars annuels. D’autres milliards devront être dépensés pour les modernisations et pour des systèmes d’armes de plus en plus sophistiqués. Sans parler de ce que coûtera, en termes économiques, l’engagement des F-35 dans des actions guerrières, du type de celle de 2011 en Libye. Rester dans le programme signifie donc signer un chèque en blanc.
Chèque en blanc pas seulement du point de vue financier. Les plus de vingt industries impliquées —Alenia Aeronautica, Galileo Avionica, Datamat et Otomelara de Finmeccanica, et d’autres dont Piaggio— deviennent des départements de la « grande fabrique » du F-35, qui aux États-Unis comprend 1 400 fournisseurs dans 46 États. Sous la direction de Lockheed Martin, qui ne concède à chaque industrie que le know how des parties de l’avion qu’elle produit : à Alenia Aermacchi, par exemple, celui de la production des ailes dans les usines de Foggia (région des Pouilles) et Nola (Naples), et de Cameri (Novare). Le know how total, surtout celui concernant le logiciel du chasseur, reste de la compétence exclusive de Lockheed. Les industries italiennes contribueront de ce fait à renforcer la prédominance des industries aérospatiales étasuniennes.
Les pilotes et les techniciens du F-35 seront formés aux États-Unis et seront en conséquence dépendants de la US Air Force plus que de l’aéronautique italienne. De plus les F-35 « italiens » seront intégrés dans le système C4 (commandement, contrôle, communications, computer) USA/Otan. Ils seront donc de fait insérés dans la chaîne de commandement du Pentagone. C’est celui-ci qui décidera de leur utilisation dans une guerre et leur assignera les missions à accomplir. Il faut ici rappeler que les 70 à 90 bombes nucléaires étasuniennes, stockées à Aviano et à Ghedi-Torre, seront transformées en de nouvelles bombes nucléaires à guidage de précision, particulièrement adaptées aux nouveaux chasseurs F-35.
Avec la participation au programme F-35, l’Italie devient ainsi encore plus dépendante de la puissance étasunienne, de ses intérêts, de ses politiques de guerre. Faire sortir l’Italie du programme veut dire non seulement épargner des milliards, à investir dans des secteurs civils qui créent du véritable emploi et de meilleures conditions de vie, mais affirmer, non pas en paroles mais dans les faits, que la Constitution est encore vivante.
Communiqué du Groupe interparlementaire pour la paix
Rome, le 30 mai 2013
Le groupe interparlementaire pour la paix a présenté une motion à la Chambre pour engager le gouvernement à arrêter l’achat des 90 Joint strike fighter. Plus de 160 signatures, du Mouvement Cinque Stelle et de Sinistra e libertà (Gauche et liberté) mais aussi de 14 députés du Partito democratico (Pd). C’est l’intergroupe parlementaire pour la paix qui soutient l’initiative, mais des sources à Montecitorio (siège de la Chambre des députés italienne) font état de lourdes pressions par les sommets du groupe Pd qui ont rendu impossible la signature d’au moins 20 autres démocrates intéressés. Aucun des signataires Pd n’a participé à la conférence de presse à la Chambre pour la présentation de la motion.
Apostille de la traductrice
Il faut préciser que, pendant la dernière campagne électorale, les signataires actuels de la motion contre les F-35 ont presque totalement ignoré le thème de la politique étrangère et militaire italienne, et ceux déjà présents au parlement ont quasiment tous soutenu les guerres contre la Libye et actuellement contre la Syrie. La demande de ne pas acheter les F-35 est donc pour eux largement inscrite dans les rivalités internes pour la bataille des fauteuils au parlement et dans la tentative de gagner quelque consensus chez les électeurs.
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