Merci beaucoup Monsieur le Secrétaire général, cher Antonio, à la fois pour votre discours, votre accueil en ces lieux mais aussi les paroles que vous avez prononcées hier au Forum de Paris pour la Paix, où d’ailleurs ces sujets de réflexion étaient au cœur de votre intervention,
Merci Madame la Directrice générale de l’UNESCO,
Monsieur le président du Libéria, cher George WEAH, merci pour votre présence parmi nous,
Et Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je crois que c’est la première fois que je suis parmi vous officiellement comme président de la République française, et que j’ai l’honneur de m’exprimer ici au sein des Nations unies et dans le même temps en plein Paris. Alors laissez-moi d’abord vous dire le plaisir qui est le mien d’être parmi vous à l’UNESCO, qui est un instrument unique de notre coopération multilatérale en matière de protection du patrimoine culturel, l’agence mondiale de l’éducation et de la science, une plate-forme internationale de promotion du plurilinguisme, vous l’avez rappelé, mais aussi un centre de diffusion de l’innovation et des savoirs numériques.
Dans les temps que nous vivons, nous avons besoin de cette conscience des Nations unies qu’est l’UNESCO, pour citer une auguste parole, et je crois que nous avons besoin que l’UNESCO puisse convaincre de plus en plus de pays ou de rester ou de se joindre à cette initiative ; elle me paraît indispensable. Donc je suis encore plus heureux d’être parmi vous. Et vous prouvez cette vocation de l’UNESCO en accueillant aujourd’hui cet événement et ce forum sur la gouvernance de l’Internet.
Cela fait trente ans. Trente ans seulement se sont écoulés depuis la naissance du World Wide Web, et à peine cinquante ans depuis le premier message échangé entre deux ordinateurs ouvrant les prémices de l’Internet ; et aujourd’hui, en 2018, c’est la moitié de l’humanité qui est connectée. Mais ce que nous sommes en train de vivre, c’est aussi une formidable accélération de ce mouvement et nous l’évoquions tout à l’heure ensemble avec quelques-uns d’entre vous : les quelques dernières années ont été marquées par une accélération absolument formidable de ce mouvement.
On compare souvent l’avènement d’Internet avec l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle, c’est vrai parce que les pionniers à l’époque, dont vous êtes aujourd’hui, ont permis une diffusion extraordinaire du savoir au plus grand nombre ; mais le bouleversement induit par Internet est à la fois plus rapide, plus vaste – nous l’évoquions, les deux dernières années, c’est 80% des données que nous avons créées depuis le début de l’Humanité. Donc il y a un changement d’échelle dans tous les domaines. Mais c’est en même temps depuis quelques décennies, une transformation de la manière dont les hommes s’informent, échangent des idées, créent ; c’est une transformation profonde de nos manières de produire, de consommer, de faire, de gouverner.
Internet a rendu chaque existence plus intense en donnant l’impression que chaque être humain pouvait vivre mille vies en une et donc plus qu’un changement technologique, c’est une révolution culturelle, sociale, philosophique qui s’est immiscée dans chaque strate de l’activité humaine. Et cette révolution est d’ailleurs toujours en cours. Chaque jour, la liste des évolutions s’allonge : avec l’intelligence artificielle que vous venez d’évoquer l’un et l’autre, avec l’Internet des objets, et plusieurs autres encore qui nous laissent envisager d’immenses progrès en matière de santé, de sécurité, de culture ou d’éducation. Et c’est au fond une constellation profondément nouvelle qui émerge depuis quelques années devant nous avec des opportunités immenses, une accélération des progrès de l’Humanité et des défis à chaque fois nouveaux, sur les conséquences que cela emporte dans notre vie quotidienne comme dans la défense de notre espace commun.
Ainsi, au moment d’ouvrir ce 13e Forum sur la gouvernance de l’Internet qui s’inscrit aux côtés du Paris Peace Forum et du sommet des GovTech, je pense qu’il est important de dire combien nous vivons en effet ce moment important, ce moment charnière. Je veux ici dire au nom de la France et en présence du secrétaire général des Nations unies, Antonio GUTERRES, que la communauté que vous formez, et qui permet à Internet de fonctionner, est dans ce temps-là, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et que je vais développer, éminemment importante.
Aujourd’hui à Paris se tient ce qu’on a voulu appeler en bon français la Paris Digital Week, c’est-à-dire cette semaine où il y a à la fois le Forum de la paix de Paris, le sommet des GovTech et le forum sur la gouvernance de l’Internet, et ceci s’ajoutant à un rassemblement de plus de 80 chefs d’Etat et de gouvernement, d’une centaine de délégations pour l’Armistice il y a 100 ans. Et cela montre à quel point ces sujets sont liés les uns aux autres et à quel point nous devons aujourd’hui éminemment ensemble y réfléchir et agir.
D’abord vous dire qu’à mes yeux, aujourd’hui, Internet est une évidence menacée.
D’abord, comme auraient dit certains, Internet, ça marche, et c’est là. Et en dépit des incidents cybers qui émaillent régulièrement les bulletins d’information, nous faisons tous une confiance presque aveugle à nos outils numériques du quotidien. Et pour les plus jeunes générations, Internet est devenu une évidence absolue ; elles en oublieraient presque que cette invention ait pu - un jour - ne pas exister. Et vous êtes plusieurs au quotidien à en améliorer chaque jour l’usage, ou à en déployer l’usage partout sur nos territoires ou à travers le monde. Nos entreprises, nos administrations oublieraient aussi presque que ce réseau de réseaux auquel nous tenons tous, peut parfois être menacé. Et je veux commencer la réflexion partagée, et mon propos, par cela : cette évidence pour tout le monde ici dans cette salle est aujourd’hui éminemment menacée.
D’abord, menacée dans sa structure elle-même. Parce que si le cyberespace se réduisait brutalement à un simple lieu de conflictualité, il cesserait vite d’exister comme un ensemble cohérent pour se fracturer en plaques nationales ou continentales. Et c’est un risque qui est à l’œuvre si nous n’arrivons pas à trouver les bonnes formes de régulation, les bonnes formes d’espace collectif, parce que les faiblesses et les failles du système ne sont à ce jour contenues que par les moyens considérables déployés par les Etats, par des stratégies de défense face aux cyberattaques qu’elles soient d’origine d’ailleurs étatique ou criminelle. Mais il arrivera un moment, si nous n’arrivons pas justement à assurer la stabilité, la confiance, la sécurité de ce système, où il se fracturera et où des comportements… pas forcément non coopératifs, mais de sécurité de nos espaces, reverront le jour, et fractureront quelque chose qui est d’abord né d’une initiative de la société civile et du privé, mais dont les implications pour le fonctionnement de nos services publics est tel qu’il amènera à une fragmentation si nous ne savons pas en assurer la sécurité.
Nous l’évoquions tout à l’heure : la nature des cyberattaques que nous subissons aujourd’hui fait qu’on peut mettre à mal le fonctionnement de services de sécurité stratégiques, de la santé de tous nos concitoyens, du fonctionnement d’à peu près tous les hôpitaux des pays qui sont ici représentés - et donc si nous ne sommes pas, à chaque instant, totalement sûrs du système, eh bien le système se fragmentera, pour redessiner des espaces de certitudes en son sein, dans lesquels nous pourrons assurer ces services.
Ensuite, le réseau est menacé dans ses contenus ainsi que dans les services qu’il procure. Parce que la liste des pathologies du Net s’allonge de jour en jour ; parce que le terreau sur lequel ont germé les printemps démocratiques, les mobilisations pour le climat, ou pour les droits des femmes, nourrit du même engrais le développement des organisations criminelles et la propagande du terrorisme. Et aujourd’hui, soyons lucides, nous parlons davantage de l’Internet en parlant de ces menaces que nous ne voyons des révolutions démocratiques formidables se propager par celui-ci. Il y a dix ans, il y a eu des révolutions démocratiques extraordinaires et les réseaux ont été cet hyper espace de la place Tahrir et de tant d’autres lieux de mobilisation de la liberté mondiale. Aujourd’hui, quand je regarde nos démocraties, Internet est beaucoup mieux utilisé par les extrêmes, par les discours de haine ou par la propagation des contenus terroristes que par beaucoup d’autres ; c’est une réalité, on doit la regarder en face. Et aujourd’hui, les interstices d’ailleurs… nos propres faiblesses sont utilisées beaucoup mieux que nous-mêmes par les régimes autoritaires, qui utilisent ces leviers pour pénétrer dans les démocraties, essayer de les affaiblir, quand ils les ferment chez eux. C’est une réalité. Et c’est une réalité qui oblige aussi à différencier le discours sur l’Internet et à être lucide - volontariste, mais lucide. On ne peut pas simplement dire : on est les défenseurs d’une liberté absolue partout, parce que les contenus sont forcément bons, et les services reconnus par tous. Ça n’est plus vrai.
Nos gouvernements, nos populations ne vont pas pouvoir tolérer encore longtemps les torrents de haine que déversent en ligne des auteurs protégés par un anonymat devenu problématique. Nous sommes en cette fin d’année 2018 à un tournant : non seulement Internet est menacé, mais Internet commence à être décrit lui-même par certains comme une menace, singulièrement dans les sociétés démocratiques. Et il faut faire attention à une coagulation possible entre le discours de régimes autoritaires, qui ont toujours vu Internet, par essence, comme une menace, parce que c’était une façon d’ouvrir les sociétés civiles, et les anticorps démocratiques qui sont en train de voir le jour parce que cet espace n’est pas dûment régulé.
Cette défiance, elle est aussi multipliée par le fait que toutes ces transitions - et vous l’avez parfaitement évoqué Monsieur le Secrétaire général à l’instant - ont bousculé nos sociétés, et font que notre réflexion sur Internet doit aussi nous conduire à réfléchir sur les opportunités que cela permet de créer, sur les nouvelles formes d’emplois, sur la capacité justement à créer de l’inclusion dans nos sociétés, là où la défiance se nourrit des exclusions dans l’accès à l’Internet, qu’il s’agisse des savoirs, des réseaux ou de celles et ceux qui restent en marge de cette avancée.
Le réseau enfin est menacé dans ses idéaux et ses valeurs. Parce que la tentation existe, via la remise en cause du principe de neutralité du net, d’introduire un biais dans l’accessibilité des contenus par les utilisateurs, parce que les plates-formes géantes risquent de ne plus être de simples gateway ou passerelles, mais des gatekeepers ou gares de triage, contrôlant à leur profit les données personnelles de leurs membres ou les contenus qu’elles mettent en avant. Et au fond, sur ce sujet, pour moi nous sommes face à deux risques symétriques :
L’idée que le concept de neutralité du net soit la fin de la pensée. Comme je viens de l’évoquer, la neutralité du net est un concept extrêmement important et vous avez contribué à toujours le garder parce que c’est l’idée que certains acteurs ne puissent pas capturer en quelque sorte l’accès, et avec lui des éléments essentiels de survie et de déploiement du réseau. Mais la neutralité, ça n’est pas l’universalisme, et c’est là où je veux faire ici ce distinguo et qu’il faut poursuivre la réflexion commune. Nous, nous avons créé entre les États et les gouvernements, progressivement, depuis un siècle, des principes qui sont tenus, protégés par les Nations unies : l’idée de dire qu’on a des valeurs, une hiérarchie entre ces valeurs mais que malgré tout, il y a des valeurs universelles qui s’imposent aux autres. La neutralité n’assure pas cela. Et ce serait faux de le dire, parce que la neutralité du Net permet aussi à des acteurs qui ne partagent aucune de nos valeurs initiales de se propager.
Et de l’autre côté, le risque symétrique serait qu’au nom de la protection de certaines valeurs, on puisse fermer l’accès à Internet - et c’est ce que permet de protéger la neutralité.
Et donc il nous faut construire cet espace nouveau, c’est-à-dire un Internet libre, ouvert et sûr, auquel je crois profondément, qui permette l’accès de chacun, mais qui nous permette aussi dans cet espace de faire respecter nos valeurs, qui permette dans cet espace de faire respecter nos idéaux. Et je crois qu’une des erreurs que nous sommes en train de commettre, ce serait, au nom de la neutralité, de céder à une forme d’indifférenciation dans les contenus. Ce serait au nom de la neutralité de renoncer à l’universalisme des valeurs que nous portons depuis le début et qui ont fait ces lieux. Et je crois que c’est une limite conceptuelle que nous n’avons pas intégrée dans notre réflexion collective à ce stade, et qui a fait qu’au nom de la liberté, on a laissé avancer à visage découvert tant d’ennemis de la liberté ; on les a laissé rentrer dans tous nos systèmes, en faisant croire qu’ils avaient les mêmes droits que les autres, alors qu’ils foulaient aux pieds tout ce qui nous avait rassemblés et tout ce qui avait permis à l’Internet de se déployer.
Tout ça conduit à mes yeux à une responsabilité croissante des acteurs, et à une régulation du Net. Ce sont toutes ces menaces d’aujourd’hui, Mesdames, Messieurs, qui motivent précisément pour cela ma présence devant vous aujourd’hui. Parce que je crois très profondément qu’il y a urgence. Urgence à ce que nous, acteurs multiples du fonctionnement de l’Internet, prenions en main ces sujets en acceptant toutes nos responsabilités à cet égard. Et c’est dans cette perspective que j’avais proposé que votre session annuelle se donne comme thème « l’Internet de la confiance » avec cet objectif que nous partageons d’ancrer fermement la confiance dans l’Internet ; confiance dans la protection de la vie privée, confiance dans la légalité et la qualité des contenus, confiance dans le réseau lui-même.
Vous le savez, la France et l’Europe portent depuis plusieurs années le projet de réguler davantage les activités conduites sur le réseau. Usant ce verbe « réguler », j’entends déjà monter les murmures désapprobateurs. Mais la saine défiance entretenue par les entreprises et les sociétés civiles à l’égard des gouvernements ne doit pas nous empêcher de poursuivre un intérêt commun. D’abord, je veux dire ici qu’il y a une forme d’injustice dans cette défiance. Tous les gouvernements ne se valent pas : il y a des gouvernements démocratiques, il y a des gouvernements non démocratiques ; il y a dans certains des gouvernements, de la démocratie libérale qui se déploie ; il y a des démocraties illibérales ; et il y a des non démocraties ; et on ne doit pas être dans la relation avec les gouvernements, non plus, dans une forme d’indifférenciation.
Ensuite, pour les raisons que je viens d’évoquer, je crois profondément qu’il faut réguler. C’est la condition pour que vive l’Internet libre, ouvert et sûr, tel que l’ont vu ses pères fondateurs. Et la France est d’ailleurs le premier Etat signataire du « Contrat pour sauver Internet », lancé par Tim BERNERS-LEE, pour sauver cette vision originelle. C’est aussi la condition pour que des gouvernements démocratiquement élus et respectant l’état de droit puissent protéger leur population. Et je le dis souvent : si nous ne régulons pas l’Internet, le risque, c’est de bousculer les fondements de la démocratie ; si nous ne régulons pas leurs relations à la donnée, les droits qu’ont nos concitoyens sur leurs propres données, l’accès et le partage de celles-ci, quel est le sens dans ces cas-là de gouvernements démocratiquement élus ? Mais qui peut, mieux que ces gouvernements, dire quel serait alors le droit ? Ça veut dire qu’implicitement, on accepte que des acteurs, parce qu’ils sont économiquement dominants, ou qu’un système, qui n’a jamais été discuté pratiquement, seraient mieux en droit qu’un gouvernement, vis-à-vis de ses propres citoyens, et peut-être de ses seuls citoyens, de dire quelle est la bonne relation à ces données ?! Ça veut dire que, quelque part, la notion de responsabilité à l’égard des citoyens s’en devient elle-même ravinée.
C’est aussi pour cela que je crois que nous devons sortir de la fausse alternative qui s’offre aujourd’hui à nous, et qui voudrait que n’existent que deux modèles : celui, d’un côté, d’une complète autogestion, sans gouvernance, et celui d’un Internet cloisonné et entièrement surveillé par des Etats forts et autoritaires. Pour être très politiquement non correct, on voit deux types d’Internet qui émergent : je le disais tout à l’heure, il y a une forme d’Internet californien, et il y a un Internet chinois. C’est les deux ; c’est l’alternative dominante, c’est-à-dire qu’il y a un Internet tiré par des acteurs privés, forts, dominants, mondiaux, qui ont été des formidables acteurs de cette diffusion, qui ont des qualités formidables et avec lesquels nous travaillons, mais enfin qui ne sont pas démocratiquement élus et auxquels je n’ai pas envie de remettre personnellement la totalité de mes décisions et je n’ai pas fait ce pacte avec mes concitoyens ; ça c’est le système de l’autogestion, mais il n’a pas vraiment sa gouvernance et il n’est pas démocratique. Et de l’autre côté, je vois un système où les Etats ont un rôle fort mais c’est l’Internet à la chinoise, et c’est un Internet où le gouvernement tire les innovations, le contrôle, où les grands acteurs de l’intelligence artificielle sont tenus par le gouvernement et il a énormément de… – j’ai beaucoup de respect pour ce modèle… beaucoup de respect ; on travaille avec la Chine, on fait beaucoup de choses avec la Chine, mais nous n’avons pas les mêmes préférences démocratiques, nous n’avons pas les mêmes références culturelles sur tous les sujets, nous n’avons pas le même lien aux libertés individuelles, c’est une réalité - et donc dans cet Internet-là, l’Etat a su trouver sa place, mais elle est hégémonique.
Il nous faut donc construire par la régulation cette voie nouvelle où les Etats, avec les acteurs de l’Internet, les sociétés civiles, l’ensemble des acteurs, arrivent à bien réguler.
Et vous avez un intérêt objectif à vous investir rapidement sur ce sujet, parce qu’il y aura inévitablement à l’avenir davantage de régulation, et que vous serez les premiers à faire les frais de règles mal élaborées et que mon souhait constant - c’est ce que nous avons fait en mai dernier à Paris, à travers notre initiative Tech for good - c’est de construire justement cette régulation coopérative, en commun. Ce qu’il nous faut faire, c’est apprendre à réguler ensemble ; c’est actant du fait que l’ensemble des acteurs de l’Internet - sociétés civiles, acteurs privés, ONG, intellectuels, journalistes, gouvernements - sont les codépositaires de cet intérêt commun qui doit nous conduire justement à agir de concert. Et ça n’est pas un hasard si la notion de « communs » a connu un tel succès à l’heure numérique.
Le web, la profondeur de données et de connaissances hébergées par Internet, les services essentiels auxquels il donne accès, sont des trésors collectifs qu’il nous faut gérer ensemble pour pouvoir justement les transmettre aux générations futures. Et c’est donc bien ici qu’il nous faut inventer un nouveau multilatéralisme adapté à la réalité de l’espace numérique, tout en étant efficace.
C’est pourquoi je suis venu vous proposer aujourd’hui une nouvelle méthode collégiale. Le forum de la gouvernance de l’Internet existe depuis maintenant 12 ans ; la qualité des échanges qui s’y nouent est partout reconnue. Mais ce forum doit désormais produire autre chose que des débats, des réflexions ; il doit se réformer, devenir une instance de propositions concrètes et moi je soutiendrai fortement toutes les initiatives allant en ce sens. C’est pourquoi la France, avec l’aide du pays hôte qui l’a précédée, la Suisse, et dans la perspective du Forum qui se réunira à Berlin en 2019, souhaite justement promouvoir ce mouvement de réforme.
Dès cette année et dans l’esprit de l’expérience menée l’an dernier à Genève, nous rassemblerons les principales conclusions des débats. Mais il vous reviendra, pour la suite, de définir des modalités de productions, de recommandations en matière de politiques publiques, c’est d’ailleurs ce quoi vous invitait le mandat du forum dès sa création en 2005. Je serais également très favorable - c’est une suggestion - à ce que le Forum de la gouvernance de l’Internet soit désormais directement rattaché au secrétaire général des Nations unies et qu’il dispose d’un secrétariat général dédié. Cher Antonio GUTERRES, je m’en remets à vous sur ces différents points, mais je sais votre engagement sur ce sujet.
Je vous propose par ailleurs que nous commencions à nous interroger sans attendre sur ce que pourrait être une feuille de route commune, sur laquelle je serai attentif à vos recommandations et qui pourrait être une boussole pour vos travaux de ces deux prochains jours. Plusieurs sujets sont à cet égard pour la France des priorités absolues, sur lesquels un travail de réflexion inédit, animé par le secrétaire d’Etat au Numérique, est en cours. Et je veux en détailler quelques-unes.
Premièrement, la protection des citoyens, autour de deux grands sujets : la protection des données et la régulation des contenus.
Nous avons déjà, en Europe, commencé à travailler main dans la main, Madame la Commissaire : le sujet crucial de la protection des données, avec l’adoption du règlement général sur la protection des données, est la meilleure preuve que la régulation, loin de brider l’innovation, créée au contraire la confiance des utilisateurs dont les entreprises ont tant besoin. Et cette régulation a émergé au moment où, par-delà l’océan, d’autres scandales émergeaient, qui montraient la sensibilité, l’importance de ce sujet de l’accès aux données.
Ce règlement est à cet égard en passe de devenir un standard mondial, mais l’édifice n’est pas achevé en cette matière, même en Europe, et nous devons aller plus loin. Je pense par exemple à l’idée d’instaurer un cadre européen commun pour les actions de groupe en matière de violation du droit des données personnelles permettant à tous les usagers européens d’obtenir réparation, selon un cadre harmonisé.
Je pense également aux besoins de développer de nouvelles solutions pour faire de la portabilité des données plus qu’une idée ou un droit théorique, mais une vraie possibilité pratique. Ces solutions, ce sont vous, entreprises, ONG ou codeurs passionnés qui allez les produire.
Ces standards internationaux sont ceux que vous devriez à l’avenir pouvoir proposer dans cette enceinte, notamment en matière de régulation de contenus illicites ou indésirables, qui est la prochaine frontière.
Il s’agit évidemment d’un ensemble complexe, dans lequel il faut distinguer deux blocs : le premier concerne la lutte contre les contenus objectivement et gravement illégaux - le terrorisme, la pédopornographie, pour lesquels des obligations de résultats ambitieux doivent être mises en place - ; et le second rassemble les contenus dont le caractère illicite est soumis à une interprétation, souvent d’ailleurs différente d’un pays à l’autre - les contenus haineux, la diffamation, le harcèlement - et pour lesquels les instruments et les circuits de décisions ne peuvent pas être les mêmes. D’une part parce que l’intelligence artificielle qui est mûre pour reconnaître une vidéo terroriste ou une image pédopornographique, n’est pas encore assez fine pour distinguer l’ironie, la parodie ou au contraire reconnaître un sous-entendu abject sous un discours policé. D’autre part, parce que ces qualifications fines devront souvent revenir à une autorité publique ou un juge, sauf à laisser aux grandes plates-formes la responsabilité de fixer elles-mêmes la doctrine sur ce qui relève de la haine ou a contrario de la liberté d’expression. Et si la société civile veut jouer un rôle de vigilance, d’alerte et de contre-pouvoir face aux Etats et face à ces entreprises, c’est là qu’elle peut et doit intervenir.
Néanmoins, nous avons d’ores et déjà fait des progrès importants et nous devons continuer en la matière.
Des progrès importants ont été accomplis sur les contenus gravement illégaux, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. L’an dernier, avec nos partenaires de l’Union européenne, nous avons engagé des discussions directes avec les opérateurs de l’Internet regroupés au sein du Forum mondial de l’Internet contre le terrorisme. Nous l’avons fait dès la réunion de septembre à l’Assemblée générale des Nations unies. D’importants investissements, que je salue, ont été consentis pour développer la détection automatique et améliorer la modération des contenus. Mais cette approche, fondée sur le volontariat, a évidemment ses limites ; les progrès sont disparates, et il y a un effet de report vers les plateformes les moins outillées. Je crois que nous sommes prêts à légiférer sur ce point. Pour sa part, l’Europe, Monsieur le Commissaire, fixera un cadre clair s’imposant à toutes les entreprises. La Commission européenne a présenté en septembre dernier un projet de règlement européen. Je le soutiens pleinement. J’espère son adoption rapide avant les élections européennes. Mais c’est à vous qu’il appartiendra d’encourager et de proposer des règles claires, au-delà du continent européen. L’anonymat que procure Internet doit continuer à permettre la liberté d’expression, là où celle-ci est parfois étouffée, mais il ne doit pas permettre à des criminels ou des terroristes d’échapper aux poursuites. Il nous faudra donc trouver les voies d’une coopération judiciaire efficace pour lever cet anonymat et rechercher des preuves électroniques lorsqu’elles existent. L’Europe et les Etats Unis devront notamment trouver le chemin d’un accord de coopération judiciaire tel que permis par le Cloud Act, qui soit respectueux de l’application des droits respectifs des ressortissants américains et européens sur leurs données.
S’agissant des contenus dont le caractère illicite est soumis à interprétation, nous devons également, de façon urgente, trouver les moyens d’une lutte efficace en commençant par les contenus haineux. Cette exigence est encore renforcée après les propos abjects, que nous avons vus sur les réseaux sociaux, qui ont précédé et accompagné les drames récents aux Etats- Unis. Ceux qui ont conçu Internet et ont toujours porté des valeurs d’ouverture, de partage, de fraternité n’ont jamais voulu cela. Il en sera de même pour moi du cyber-harcèlement notamment des plus jeunes. Je le disais, d’évidence, nous ne pouvons pas avoir le même type de régulation que sur le terrorisme ; sur le terrorisme, nous allons légiférer au niveau européen ; je souhaite qu’on puisse se doter d’une vraie législation internationale, de véhicules de coopération et que nous renforcions les choses.
Sur les propos haineux, sur le cyberharcèlement, il nous faut faire beaucoup plus en matière de coopération entre Etats et avec les acteurs privés. Mais les ravages de ce qui est en train de se passer sont là, en particulier dans notre jeunesse. Le cyberbullying est une réalité qui conduit à des suicides que nous voyons chaque jour se multiplier.
En ces matières, l’Europe devra faire évoluer son cadre légal pour sortir du système binaire des statuts d’éditeurs et d’hébergeurs. Les très grandes plates-formes, qui à la fois organisent et analysent les contenus pour leur exploitation publicitaire, ne peuvent pas être exonérées de toute responsabilité. Je l’ai déjà dit : quand il y a des contenus haineux, je souhaite qu’il y ait une responsabilité de ces plateformes ; elles doivent assumer des obligations renforcées le cas échéant par la mise en place d’un statut intermédiaire d’accélérateur de contenus. Mais quand il s’agit de contenus racistes ou antisémites, il doit y avoir une responsabilité et on doit pouvoir légiférer.
Mais là encore, la réglementation européenne ou nationale sur laquelle nous nous sommes engagés à avancer en 2019 doit être co-construite pour être juste et efficace. C’est pourquoi la France lancera avec Facebook une expérimentation de terrain inédite durant le 1er semestre 2019. Facebook accueillera prochainement une délégation de régulateurs français qui auront pour mission, avec les experts de la plateforme, d’élaborer des propositions conjointes, précises et concrètes sur la lutte contre les contenus haineux ou offensants. C’est une première, elle illustre à mes yeux cette méthode de coopération que j’évoquais tout à l’heure.
Je me réjouis de cette démarche expérimentale très innovante, qui permettra de réfléchir très concrètement aux meilleures voies pour garantir que les grandes plateformes appliquent un haut niveau d’exigence et de qualité dans la modération des contenus qu’elles hébergent et c’est cette méthode que je souhaite que nous puissions propager, diffuser. C’est une expérimentation, mais c’est une première étape à mes yeux importante.
Enfin, la protection des citoyens en démocratie passe par l’accès à une information de qualité. Internet constitue un formidable vecteur d’accès aux savoirs, mais le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui il est devenu l’espace privilégié de la désinformation, de la rumeur, avec le risque que demain l’évolution technologique ne rende indétectable une image truquée ou une vidéo tronquée. Il m’a été donné de voir, là où je suis, les nouveaux mécanismes qui grâce à l’intelligence artificielle permettent de totalement falsifier un discours ou ce qui apparaît aujourd’hui comme une trace de prononcé. Et donc il nous faut des tiers de confiance et il nous faut travailler ensemble sur le statut de la preuve, du fait de la vérité dans Internet, et il nous faut consolider les tiers de confiance démocratiques que sont en particulier les journalistes.
C’est à tel point qu’aujourd’hui, si nous voulons restaurer cette confiance, nous devons prendre des décisions bien plus radicales que celles prises jusqu’alors. L’ONG Reporters Sans Frontières a présenté une « Déclaration internationale pour l’information et la démocratie », qui est le fruit du travail d’experts d’une vingtaine de pays qui pose des principes pour garantir, face aux menaces que nous connaissons, un espace public propice à la démocratie et aux droits de l’homme. Cette initiative a été présentée hier au Forum de Paris pour la Paix et soutenue par plusieurs chefs d’Etat et de Gouvernement, je la soutiens pleinement et je pense qu’elle est indispensable. La France a commencé à prendre des mesures justement pour lutter contre les fake news, tout particulièrement lors des campagnes électorales. Et je vous invite, vous tous, à soutenir de manière très concrète ces initiatives.
Et là aussi, ne nous trompons pas de bataille. Ceux qui ne se battent pas pour l’intégrité des campagnes électorales dans les démocraties, aident les régimes autoritaires et tous ceux qui veulent les affaiblir à fausser la sincérité et la loyauté de ces campagnes. Ceux qui ne se battent pas pour que l’information ait un véritable statut, que les journalistes aient un véritable statut, une déontologie qu’ils portent eux-mêmes et qui n’est pas à définir par les Gouvernements, se trompent profondément ; parce qu’ils finissent par tomber là encore dans un relativisme contemporain qui pourrait paraître être à la mode s’il n’était aujourd’hui le principal cheval de Troie de ceux qui veulent tuer la démocratie. Toutes les informations ne se valent pas. Il y a des informations qui sont vraies et fausses. Tous les commentaires se valent, à condition qu’ils se basent sur des informations justes. C’est le principe même de la démocratie.
Et hier, en soutenant votre initiative, cher Christophe DELOIRE, je citais, je rappelais Hannah ARENDT, qui avait exactement les mêmes propos lorsqu’elle luttait contre le totalitarisme. Il y a une forme de totalitarisme contemporain qui renaît, se nourrissant de l’obscurantisme religieux ou se nourrissant justement de nouvelles formes de nationalisme dur qui utilisent notre propre faiblesse, qui utilisent tous nos canaux de transmission mais qui utilisent notre relativisme, le fait que quelque part, nous sommes en train de mettre un genou à terre sur l’universalisme de nos valeurs, et qui est le fait que nous sommes quelque part en train de mettre un genou à terre sur le rapport à la vérité.
Et donc, sur ce sujet, il nous faut être intraitables et c’est pourquoi je vous invite, vous, les membres de cette communauté si attachés à la liberté d’expression sur Internet, à vous impliquer dans ce projet et à inventer collectivement les contours d’un droit à l’information de qualité et donc aussi à l’émergence de tiers de confiance dans ce cadre.
La deuxième priorité que nous devons poursuivre, c’est la confiance, la stabilité, la sécurité du cyberespace.
C’est le meilleur moyen d’éviter sa fragmentation telle que je l’évoquais. S’il est devenu un lieu de conflictualité, c’est bien parce que des acteurs malveillants, publics comme privés, s’affrontent en exploitant les vulnérabilités des produits et services numériques. Notre réponse ne doit pas se limiter à la défense, elle doit aussi être celle du droit et de la coopération. Il nous faut travailler ensemble à l’approfondissement des règles régissant les rapports entre Etat et acteurs non étatiques dans l’espace cyber.
C’est dans cette perspective que la France a décidé de soutenir « l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » lancé à l’occasion du Forum de Paris pour la Paix et du Forum de la Gouvernance de l’Internet. Ce texte constitue la toute première déclaration engageant dans le même temps Etats, organisations internationales, ONG et entreprises, municipalités et acteurs locaux à travailler ensemble en faveur de l’application du droit international dans le cyberespace, de la protection des droits en ligne, de la lutte contre les actions déstabilisantes ou encore de la sécurité des produits numériques. Cet Appel a été rejoint aujourd’hui même par plus de 370 Etats, organisations de la société civile et entreprises et sans doute cette liste est-elle en train encore de s’accroître en ce moment même. Il reprend les acquis de près d’une décennie de travail des enceintes multilatérales et multiacteurs sur ce sujet, et je suis convaincu que la plupart d’entre vous pouvez y souscrire. Je vous encourage à y adhérer et à le diffuser.
Mais le véritable défi, ce sera de le mettre en œuvre. Je propose, en accord avec le secrétaire général, de confier au Forum de la Gouvernance de l’Internet la mission d’en suivre l’évolution, d’enregistrer les soutiens exprimés et de travailler à identifier les initiatives et mesures de coopération nécessaires pour atteindre les objectifs qu’il nous fixe. C’est maintenant le temps de cette mise en œuvre qui s’ouvre et c’est un combat indispensable.
Enfin la troisième priorité pour le futur d’Internet c’est la préservation des potentialités de création, d’invention et de développement économique du réseau.
Et je le dis ici parce que c’est à mes yeux tout à la fois l’ADN d’Internet et de l’UNESCO. L’ADN d’Internet, ce qui rend ce réseau unique, c’est cette capacité à permettre à chaque talent, quels que soient ses moyens, la langue dans laquelle il s’exprime, de rencontrer une audience universelle et c’est aussi le caractère unique profondément transformant de cette innovation. Et c’est pourquoi, je le redis ici à l’UNESCO, cette question prend un tour tout particulier. Il nous faut agir dans l’espace numérique pour préserver la diversité culturelle.
Nous sommes en train d’adopter une directive européenne essentielle, qui permettra un juste partage de la valeur des biens culturels. Et là aussi, c’est un combat que la France mènera dans toutes les enceintes et qui est indispensable. Et là aussi, parce qu’il y a une forme de transformation en quelque sorte de l’idéologie collective, pendant des années, quand on a aidé, aimé Internet, on a aimé l’ouverture. Pour ma part, je continue à l’aimer et à la défendre. Mais en aimant l’ouverture, on a en quelque sorte plaidé pour l’indifférenciation, on s’est dit : le principal combat, c’est d’ouvrir et les contenus n’ont plus d’importance. Et le combat que nous avons en Europe aujourd’hui, nous ne devons pas le perdre. Le combat pour un marché unique du numérique, c’est évidemment de lever toutes les frontières qu’il y a entre les 28 - aujourd’hui - Etats membres, peut-être demain les 27, mais c’est au-delà de cela, s’assurer qu’on a une régulation commune pour permettre la création, les contenus et la reconnaissance des droits d’auteur dans cet espace. Et c’est la même chose au niveau international.
Je sais bien que beaucoup d’entre vous se sont battus contre les droits d’auteur ou la reconnaissance du fait qu’il pouvait y avoir une valeur qui était reconnue. Mais si, aujourd’hui, nous ne nous battons pas pour cela, nous reconnaissons le fait qu’il n’y a qu’un droit d’auteur, de celui qui diffuse, qui n’est pas un auteur, qui est un diffuseur. Il nous faut aujourd’hui regarder ensemble cet espace. Il y a un arbitrage de la répartition de la création de valeur entre celui qui crée et celui qui diffuse, c’est une réalité. La répartition des bénéfices dans la chaîne de valeur doit être préservée dans le monde des services numériques entre grandes plateformes et start-up, entre entreprises et travailleurs indépendants, entre hébergeurs et producteurs de contenu. Mais si nous ne nous battons pas pour les créateurs, d’abord, nous ne reconnaissons pas les différences qu’il y a entre ces derniers et nous ne protégeront jamais la diversité culturelle comme il le faut.
Et donc, moi, je souhaite que dans cet espace d’Internet, on reconnaisse que ce que fait un journaliste a une valeur et donc un prix, que ce que crée quelqu’un dans un pays du monde, si c’est diffusé et aimé, ça ne doit pas simplement rapporter à celui qui le diffuse, mais aussi à celui qui l’a créé, sinon on ne lui permettra pas de créer d’autres choses. C’est une règle de base mais aujourd’hui, nous ne la protégeons pas correctement. Et je revendique le fait que se battre pour les auteurs, que se battre pour le copyright, non, ça n’est pas ringard et non, ça n’est pas contre Internet. C’est même tout l’inverse, c’est même la possibilité d’avoir de nouvelles personnes, de nouveaux talents, des femmes et des hommes qui ne céderont pas à l’hégémonie qui s’installe aujourd’hui aussi dans Internet - comme dans tout moment du monde des formes d’hégémonie s’installent. C’est ce qui permettra de maintenir, préserver, assurer la diffusion permanente justement de cette créativité.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé la création d’un observatoire des plateformes au niveau européen, et la mise en place d’une véritable régulation plateform to business, en complément du droit de la concurrence qu’il faut préserver et qui doit occuper une place plus grande encore dans la régulation numérique, mais qui doit lui-même évoluer pour mieux capter les spécificités de cette nouvelle économie. Là aussi, nous ferons des propositions complémentaires sur ce thème en vue du renouvellement des institutions européennes.
Se battre pour cette diversité culturelle et les potentialités de création d’Internet, c’est se battre aussi pour l’éducation. C’est notre combat, à tous, peut-être le plus important. Se battre pour éduquer les plus jeunes à apprendre, d’abord, avoir l’éducation de base pour se protéger de certaines choses, mais aussi être une conscience éclairée à l’ère du numérique ; se battre pour avoir accès aux codes ; se battre ensuite pour que chacun soit formé, ait accès aux nouvelles formes d’emploi de l’Internet. Le combat pour l’éducation, l’investissement dans l’éducation des Gouvernements, des organisations internationales, de tous les acteurs étatiques et non étatiques est fondamental pour l’inclusion, la confiance et le développement. C’est la seule chose qui permettra de créer véritablement ensemble ces lumières de l’Internet auxquelles nous devons aspirer et éviter que l’Internet ne tombe dans un obscurantisme contemporain et ne soit bousculé par ses propres peurs.
Préserver la capacité d’innovation du réseau, c’est aussi développer une approche équilibrée de la question fiscale pour que les nouveaux entrants ne soient pas pénalisés vis-à-vis des acteurs installés, pour que les insiders ne ferment pas les portes aux outsiders. Et c’est aussi un combat que la France mène au niveau européen, mais que nous devons avoir au niveau international. Aujourd’hui, la taxation dans le numérique n’est pas une taxation équitable. Aujourd’hui, tout le travail qui a été fait, en particulier grâce à l’OCDE, qui a permis de taxer de manière plus juste pour éviter qu’en quelque sorte, nos peuples soient les seuls à contribuer, que les classes moyennes de tous les peuples ainsi constitués soient les seules à participer à l’effort, est indispensable aussi dans le numérique, sinon l’acceptabilité des grands acteurs numériques se réduira progressivement et sinon l’émergence de nouveaux acteurs ne sera pas possible - qui, eux, payent tous les impôts dans leur pays mais seront toujours victimes d’une concurrence déloyale de grands acteurs qui arrivent à optimiser leur situation et à ne payer presque rien.
C’est pourquoi nous poursuivrons les efforts au niveau européen pour avoir une taxe numérique et c’est pourquoi je souhaite que nous puissions accélérer les travaux au sein de l’OCDE en la matière. Sur ce sujet aussi, nous avons besoin d’imagination collective, pour permettre non seulement d’avoir une juste taxation dans nos sociétés, mais aussi pour éviter l’effet de domination et d’hégémonie de quelques acteurs qui accumulent tous les avantages et, aujourd’hui, n’ont pas une juste taxation et permettre ce qui est l’ADN même d’Internet, l’innovation permanente et donc l’émergence de nouveaux acteurs. Et là, ce sont un juste droit de la concurrence et une juste taxation qui le permettront.
Nous devons enfin évidemment pour cela poursuivre les investissements et la coopération en matière d’intelligence artificielle. Nous le faisons au niveau national, nous allons le renforcer au niveau franco-allemand et au niveau européen. Ce sont des investissements pour permettre justement la création mais aussi un travail cohérent pour aller plus loin en la matière. La France prendra sa part. Durant la présidence française du G7 en 2019, sur l’intelligence artificielle, je porterai, dans la continuité du travail mené ces derniers mois avec nos partenaires canadiens et suite à l’engagement que j’ai pris avec le Premier ministre, Justin TRUDEAU, le projet de création d’un équivalent du désormais célèbre GIEC pour l’intelligence artificielle. Mais en disant cela, je veux partager avec vous l’ambition que nous devons avoir en matière d’intelligence artificielle.
Nous devons investir davantage en la matière en Europe, nous ne représentons aujourd’hui que 10% de l’investissement mondial, c’est ridicule, et donc c’est au niveau des gouvernements comme des entreprises, et nous allons continuer à le faire au niveau franco-allemand et au niveau européen, nous devons aussi au niveau international avoir cette initiative forte et concrétiser ce que nous avons entamé avec le Canada et quelques autres partenaires de création de ce « GIEC ».
Ce « GIEC », pour ma part, il doit avoir un spectre large ; il doit travailler avec évidemment la société civile, les meilleurs scientifiques, tous les innovateurs ici présents ; il doit s’appuyer pleinement sur l’OCDE pour mieux suivre ces travaux et en particulier en matière d’innovation ; et il doit pleinement s’appuyer sur l’UNESCO en matière d’éthique, tout particulièrement parce qu’il n’y aura pas de développement de l’intelligence artificielle et, pour moi, il n’y aura pas un véritable « GIEC de l’intelligence artificielle » s’il n’y a pas une réflexion qui inclut la dimension éthique.
Et donc cette structure que nous devons inventer, elle doit justement nous permettre de réfléchir sur les enjeux éthiques, techniques, scientifiques de cette révolution qui dépasse les seuls Etats en s’appuyant pleinement sur les organisations internationales, que sont l’OCDE et l’UNESCO.
J’inviterai donc dans le cadre du G7 en France les grands penseurs et spécialistes de l’intelligence artificielle à se réunir à la fin du premier semestre 2019 pour jeter les bases de ce réseau scientifique. Là encore, ces débats devront déboucher sur des solutions et nous pourrons faire le point sur tout cela dans un an au Paris Peace Forum 2019 et au Forum de la gouvernance de l’Internet de Berlin en 2019.
Mesdames, Messieurs, chers amis, Kofi ANNAN, un des prédécesseurs d’Antonio GUTERRES dont nous pleurons la récente disparition, avait eu il y a quelques années cette remarque visionnaire : « pour gérer la présence d’Internet dans nos vies », disait-il, « nous devons être au moins aussi créatifs que ceux qui l’ont inventé ».
C’est le vœu que je formule pour nous aujourd’hui. Nous avons besoin de poursuivre la créativité technologique mais nous avons besoin de créativité éthique, diplomatique, politique, sociétale. Et ça n’est pas un hasard si nous nous réunissons à Paris ce 12 novembre, un jour après le centenaire de l’Armistice de 1918. En 1918 s’ouvrait, en même temps que l’Armistice, la conférence pour la paix, qui dura plusieurs années, pour un travail inédit où nos prédécesseurs ont conduit, là aussi, une véritable innovation. Ils ont innové alors parce qu’il fallait inventer des nouvelles formes de coopération internationale entre Etats, parce qu’ils venaient de découvrir la Première Guerre mondiale et la conséquence d’une non-coopération entre les Nations. La Société des Nations allait être créée, avant d’échouer devant les crises économiques, morales, la fracturation du monde. Mais elle portait des prémices des Nations unies.
Il nous faut aujourd’hui, dans le contexte que j’évoquais, inventer - innover - cette nouvelle coopération multilatérale qui implique non seulement, cette fois-ci, des Etats mais l’ensemble des acteurs que vous représentez. C’est tout ce que je nous souhaite ; c’est tout ce sur quoi je veux que nous avancions ensemble. Ces défis font peser sur la communauté de l’Internet, sur vous, des responsabilités immenses, sur nous aussi. C’est pourquoi je ne doute pas que, portés par le formidable élan des pères fondateurs, nous saurons ensemble les assumer et les relever.
Je vous remercie.
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