Alors que les journalistes interprètent les événements internationaux en fonction des positions de leur propre gouvernement, Thierry Meyssan s’est au contraire efforcé d’anticiper les faits pour permettre aux États cibles de protéger leur population le plus efficacement possible. Sa lecture des dix-huit dernières années n’a rien de « complotiste », comme ses adversaires tentent de le faire croire, mais s’appuie sur les documents de travail des pays occidentaux, dont certains sont libres d’accès quoiqu’ignorés par les grands médias. Elle se fonde donc sur une recherche systématique de ces documents et sur leur intégration dans son raisonnement, même lorsqu’il parvient à se les procurer plusieurs années après leur rédaction.
Cet article fait suite à
– (1/3) « Conspirationnisme et analyse »
– (2/3) « La presse refuse les travaux sur l’Histoire qu’elle a couverte »
Question / Éditions Demi-Lune : Venons-en maintenant à Sous nos yeux, un livre qui sort de l’ordinaire… Il est très bien écrit, court et facile d’accès, car vous avez un réel talent pour expliquer simplement des problématiques complexes. En fait, le reproche qu’on pourrait lui adresser, c’est qu’il est bien trop dense ! Il compte quasiment une révélation par page, et la plupart de vos collègues géopolitologues auraient sans doute distillé ces informations en plusieurs ouvrages. Il s’agit en fait du travail que vous avez effectué dans la période de 10 ans qui s’est écoulée depuis la parution de L’Effroyable Imposture 2.
Thierry Meyssan : Lorsque j’ai écrit L’Effroyable Imposture (en 2002), je réagissais à une contradiction visible entre le discours dominant et ce que tout le monde percevait : l’administration Bush ne disait pas la vérité. J’avais des arguments simples, faciles à vérifier et à comprendre. C’était un livre de journaliste. Puis, j’ai rédigé L’Effroyable Imposture 2 (2006), comme on rédige une thèse de doctorat. Avec des centaines de références bibliographiques. C’était un ouvrage de chercheur rédigé pour le grand public. Ce troisième volume, Sous nos yeux (2017), est une synthèse pour des décideurs présentée comme un voyage personnel. C’est un livre d’analyste gouvernemental.
Oui, il y a beaucoup trop d’informations, mais elles sont toutes utiles. Il ne s’agit pas de présenter en détail un événement ou un autre, mais de décrire le paysage général des rapports de force mondiaux depuis les attentats du 11-Septembre et la manière dont je l’ai compris. Personne n’a fait ce travail jusqu’ici et certainement beaucoup vont le copier. D’innombrables livres ont été publiés qui s’inspiraient de mes précédents ouvrages, ce sera surement encore le cas avec celui-ci.
Question : Et Sous nos yeux, tout comme votre livre précédent, a probablement 10 ans d’avance sur son temps… Peut-être vient-il trop tôt et ne sera-t-il compréhensible (c’est-à-dire acceptable) que dans une décennie ?
La révolte qui vient d’éclater en France va se propager à tout l’Occident
Thierry Meyssan : J’ai relu L’Effroyable Imposture 2 (sur la guerre israélo-libanaise de 2006) lorsque vous l’avez réédité. J’ai été stupéfait de son actualité, douze ans plus tard. Cela tient au fait que les problèmes d’Israël et du Liban ne sont toujours pas réglés.
Sous nos yeux deviendra un classique lorsque l’affrontement que je décris sera résolu. Or, la globalisation financière touche à sa fin. La révolte vient d’éclater en France et va se propager dans tout l’Occident. Les gens souffrent sans comprendre pourquoi ils s’appauvrissent. Il se peut que cette révolte aille vite désormais.
Question : Sa forme est très originale aussi puisqu’elle décrypte les « Printemps arabes » en 3 parties qui chacune adopte la perspective d’un acteur différent : la France, les Frères musulmans et l’axe Washington-Londres.
Thierry Meyssan : C’est pourquoi je parlais de « voyage personnel ».
J’ai d’abord interprété les événements en fonction des informations disponibles pour le grand public ; celles des médias. Malheureusement c’est aussi la manière dont le gouvernement français a réagi. À ce stade, j’ai commis beaucoup d’erreurs, par exemple de prendre au mot ce que l’on racontait sur Mouammar Kadhafi.
Puis, j’ai exploré la nébuleuse jihadiste. Je me suis rendu compte que malgré les apparences, elle était très structurée, que tous ses chefs (ceux d’Al-Qaïda, de Daesh, etc.) étaient issus de la même organisation, la Confrérie des Frères musulmans. J’ai été franc-maçon durant de longues années et j’ai rapidement compris comment fonctionnait cette Confrérie dont les références sont directement issues de la franc-maçonnerie. Par ailleurs, mon grand-père, qui était officier de Renseignement, m’avait appris le goût du MI6 pour les sociétés secrètes. J’ai alors relu l’histoire des Frères à l’échelle régionale. Cela a renversé tout ce que je croyais avoir compris.
Puis encore, j’ai travaillé sur les concepts stratégiques et l’organisation administrative des États-Unis et du Royaume-Uni. Je connaissais certaines des grandes lignes des événements, mais j’ai cherché les éléments inconnus qui permettent de les relier. J’ai trouvé par exemple les mails du Foreign Office révélés en 2004 par Derek Pasquill, un lanceur d’alerte britannique. Ils attestent comment le Royaume-Uni a préparé et organisé les Printemps arabes. J’ai interrogé différents acteurs, comme le président libanais Emile Lahoud sur le rôle de la Ligue arabe. Ou encore, j’ai analysé bénévolement pour le compte de la République arabe syrienne le plan des Nations Unies contre le pays. Bref, de fil en aiguille, j’ai reconstitué minutieusement l’histoire la plus complète des événements, ce qui a encore une fois bouleversé ma compréhension.
Question : Aussi incroyable que puisse paraître votre analyse, c’est malheureusement la seule qui fasse sens dans sa globalité ; et elle pulvérise littéralement la narration communément admise dans l’Establishment politico-médiatique (la Responsabilité de Protéger, la défense des Droits humains ou de la Démocratie…), qui se dévoile alors pour ce qu’elle est : une fraude massive.
En sciences politiques, comme dans les autres sciences, les hypothèses doivent être confrontées aux nouveaux éléments et rectifiées
Thierry Meyssan : J’aborde les Sciences politiques comme de véritables sciences. Les hypothèses doivent constamment être confrontées aux nouveaux éléments et rectifiées. Il faut donc rechercher et trouver des éléments qui contredisent ce que l’on croit savoir.
La manière actuelle d’interpréter les crimes gouvernementaux en fonction de grands idéaux est stupide. Par exemple, personne ne peut croire que l’on va apporter la démocratie en bombardant un pays. La démocratie, c’est le pouvoir du Peuple, cela ne peut en aucun cas être imposé par un État étranger.
Contrairement à une idée reçue, les néoconservateurs, sont issus d’un parti trotskiste qui participait en France au congrès d’un autre parti trotskiste. Bien qu’ils aient rejoint l’administration Reagan et qu’ils aient changé plusieurs fois de parti politique, ils sont toujours trotskistes, mais pensent aujourd’hui faire la « révolution mondiale » avec l’armée US. Ce sont ces mêmes individus qui ont fourni la caution de gauche des printemps arabes en exhibant sur les télés occidentales leurs homologues trotskistes arabes.
Ils sont en train d’opérer leur grand retour au Venezuela.
Question : Comment des gens intelligents, qui se pensent comme l’élite intellectuelle, ont-ils pu adhérer (et continuent encore à le faire) à de telles foutaises ? Kadhafi et Bachar el-Assad massacrant et torturant leur peuple respectif, des guerres dites « civiles » alors que des combattants étrangers affluent par dizaines de milliers en Syrie, le choix entre la peste de l’État islamique et le choléra Assad, la fable des « rebelles islamistes modérés », L’EI « sorti de nulle part » ou alternativement « créé de toutes pièces par Assad pour semer le chaos », l’usage d’armes chimiques par le « régime de Bachar » en train de gagner la guerre, « le rapport César », etc. ?
Thierry Meyssan : D’abord, Mouammar Kadhafi et Bachar el-Assad ont toujours protégé leurs concitoyens. C’était aussi le cas de Saddam Hussein, même si ce dernier était un despote oriental n’hésitant pas à faire assassiner les membres de son parti qui lui faisaient de l’ombre. Il n’est jamais possible qu’un chef d’État soit le tortionnaire honni de son peuple et reste au pouvoir. L’image que l’on nous a vendue de ces personnalités ressort de l’imaginaire hollywoodien.
Certes, vous avez raison, cette propagande est incohérente. Elle mêle des éléments d‘époques différentes. Par exemple, on nous a présenté les « Printemps arabes » comme des révolutions spontanées. Puis on nous a dit que les choses avaient mal tournées en Syrie donnant lieu à une guerre civile. Mais comme vous le notez, à ce moment là, il y avait déjà des dizaines de milliers de combattants étrangers sur place. Ce ne pouvait donc pas être une guerre civile.
Au demeurant, on a utilisé la même ficelle en Afghanistan, en Iraq, en Libye ou au Yémen. Il y aurait donc une épidémie de guerres civiles au Moyen-Orient élargi. Or ce sont des pays extrêmement différents les uns des autres ; des sociétés sans grand rapport entre elles.
Question : En l’occurrence, je pensais avant tout aux intellectuels de gauche, plutôt qu’aux « faiseurs d’opinion »… Ils font preuve d’une infinie naïveté, de manière tellement récurrente, que cela en devient suspect !
Thierry Meyssan : Les notions de « droite » et de « gauche » renvoient à la Guerre froide qui est terminée depuis un quart de siècle. Il n’y a pas aujourd’hui d’intellectuels de gauche ou de droite, pas plus qu’il n’y a de peuple de gauche ou de droite.
Ce que nous constatons, c’est qu’il se crée une solidarité de classe entre les quelques intellectuels qui ont été approuvés par les médias. Ils ne cherchent donc plus à comprendre le monde, mais à défendre leurs intérêts communs avec leurs employeurs.
Question : Chaque fois qu’il entend ou lit les mots « régime syrien », « armée de Bachar », « homme fort de Damas » (ou de Bagdad, de Tripoli, du Kremlin) en lieu et place de « gouvernement syrien », « armée nationale syrien » et « président syrien », l’auditeur ou le lecteur devrait froncer les sourcils et savoir immédiatement qu’il est confronté non à de l’information objective, mais à un discours qui relève de la propagande ! D’ailleurs, comment les rédactions peuvent-elles justifier d’un tel langage propagandiste ?
Thierry Meyssan : Que penserait-on en effet si l’on parlait d’une « armée d’Emmanuel » pour désigner les armées françaises ? Ceux qui parlent ainsi ne s’honorent pas.
Question : À chaque fois, ce sont les mêmes grosses ficelles de la propagande, les mêmes médias-mensonges comme les appellent Michel Collon, qui sont utilisés… et à chaque fois cela fonctionne ! Est-ce parce que ces fausses nouvelles atroces (nouveaux nés sortis de leur couveuse, tortures d’enfants, fillettes à qui on arrache les ongles vernis, viagra distribué aux soldats pour des viols de masse, etc.) nous révulsent à tel point physiquement qu’elles empêchent toute faculté de réflexion ?
Thierry Meyssan : Non, nous y prenons plaisir. Nous sommes comme des enfants écoutant pour la énième fois l’histoire de la méchante sorcière. Nous savons que c’est faux et cruel, mais nous en voulons encore. Malheureusement nous sommes moins intelligents que les enfants : chaque fois, nous agissons comme si le conte était la réalité.
Question : Bien sûr, ici ou là émergent d’importantes bribes de vérité. Par exemple, à l’occasion de la première accusation de l’usage de l’arme chimique en Syrie, des articles sont apparus sur le Net pour rappeler un fait historique oublié : l’utilisation de ces armes dans la région fut le fait des Anglais pour mater la population indigène !
Thierry Meyssan : Les Occidentaux ont souvent utilisé des gaz contre de vastes populations civiles depuis les progrès de la chimie au XXe siècle : pas seulement les Anglais qui furent les premiers en Afrique australe, mais les Italiens en Éthiopie ou les États-Uniens à Haïti etc. Ils ont décidé de ne plus le faire, non pas par grandeur d’âme, mais parce que cette arme est difficile à utiliser à grande échelle sans risquer d’en subir soi-même les frais.
Les armes chimiques ont été introduites en Syrie par l’Armée syrienne libre, une organisation jihadiste alors sponsorisée par la France. Elle était principalement composée de combattants étrangers issus d’al-Qaïda en Libye. Dans une vidéo, cette armée a annoncé qu’elle allait utiliser du sarin contre les alaouites. Ce qu’elle a fait de nombreuses fois au motif que, selon elle, les alaouites ne sont pas des musulmans.
L’Armée arabe syrienne, celle du pays, disposait de stocks d’armes chimiques datant des années 1960. Elle ne les a jamais utilisés et ils ont été détruits sous la responsabilité des États-Unis et de la Russie. Ce qui est étrange, c’est que personne ne semble savoir qu’Israël n’a pas signé la Convention internationale les interdisant. L’État hébreu a poursuivi jusque dans les années 1980 un programme de recherche en la matière digne des nazis car visant à empoisonner des humains selon leur race.
Question : Après les immenses manifestations contre la guerre partout dans le monde, à la veille de l’invasion de l’Irak, on est fondé à se demander où est passé ce vaste mouvement anti-guerre. Il semble s’être littéralement dissous, évaporé. Mais je ne crois pas que les gens soient totalement dupes. Le mouvement des Gilets jaunes par exemple a débuté à cause de la goutte d’eau de la fiscalité dite « verte » ; mais quand on entend les manifestants, on se rend compte que c’est bien plutôt tout le système de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie qui les écœurent et qu’ils rejettent en bloc…
Les « printemps arabes » et les « révolutions colorées » sont des mises en scène
Thierry Meyssan : Le mouvement contre l’attaque de l’Iraq a réuni les plus grandes manifestations dans le monde, sauf en France parce que le président Chirac était le leader de ce mouvement populaire international. Il a échoué à empêcher ce massacre et le président Chirac n’a pas tardé a baisser la tête. La suite des événements a été présentée comme une épidémie de guerres civiles ne permettant pas aux gens de prendre position.
La protestation des Gilets jaunes n’en est qu’à ses débuts. Le premier mois a été une réaction épidermique à une fiscalité excessive que vous qualifiez de fiscalité « verte ». Souvenons-nous à ce sujet que le président Macron avait annoncé son projet de « verdir » la Finance. Mais ce n’est que l’écume des vagues. Voilà un quart de siècle que nous avons cru pouvoir atteindre la prospérité avec la dissolution de l’URSS en laissant libre court au capitalisme. Nos dirigeants internationaux et nationaux successifs ont tous accepté ce choix dont nous découvrons aujourd’hui le prix : des dizaines de millions de personnes appartenant aux classes moyennes ont disparu en Occident et en Occident seulement.
C’est pourquoi le mouvement des Gilets jaunes durera le temps qu’il faudra pour déconstruire les erreurs qui ont été commises depuis la fin de l’URSS. Nous entrons dans une période révolutionnaire d’au moins une décennie.
Certaines personnes se demandent si cette révolte est comparable à celle des printemps arabes. Bien sûr que non. Les printemps arabes et les révolutions colorées sont des mises en scène de contestation fictives. On ne fait pas la révolution pour installer la « démocratie de marché » selon l’expression US, mais parce que l’on a plus les moyens de vivre. Les révolutions colorées ne durent que quelques jours ou semaines et permettent de changer les gouvernants sans changer la société. Les vrais révolutions durent des années et n’ont pas besoin que l’on change les gouvernants, même si c’est la plus part du temps le cas. Elles changent l’organisation de la société.
On distingue aujourd’hui les Gilets jaunes des casseurs. Cela n’a aucune réalité. Dans la mesure où la classe dirigeante refuse de changer le paradigme de la société, elle la contraint à la violence. Ce que nous avons vu pour le moment n’est pas grand chose, du vandalisme et des pillages, quelques homicides sans volonté de tuer. Or, l’ensemble de la classe dirigeante refuse d’aborder la question de la globalisation financière. Ce faisant, elle pousse la société vers une violence à très grande échelle. Ne croyez pas que ce qui arrive à l’étranger ne peut pas survenir en France.
Question : Depuis l’émergence de Donald Trump dans le paysage politique US, puis son élection à la présidence, vous tentez dans vos articles d’expliquer qui il est et qu’elle est sa politique, en quoi, contrairement à ce qu’en pensent tous nos médias, elle fait sens. Cela est courageux de votre part, tant l’homme est haï et moqué, présenté comme le pire président que les USA aient jamais connu (à croire que nos élites médiatiques ne se souviennent ni de George Bush fils, ni de Reagan, pour ne prendre que 2 exemples récents). L’homme pourtant semble frustre et est à l’opposé de vos convictions politiques : êtes-vous conscient que dans le monde binaire dans lequel nous vivons, ne pas « être contre », c’est « être pour » ?
Thierry Meyssan : Donald Trump est le président des États-Unis. Il correspond aux besoins des États-uniens et à leur culture. Ce serait un abominable président en Europe, dont il ne partage pas l’histoire, mais c’est la meilleure chose qui est arrivée aux USA depuis un siècle !
Il ne cherche pas à répartir les richesses, mais à relancer le « rêve américain », c’est-à-dire la possibilité pour chacun de sortir de la misère par son travail. Au plan intérieur, il remet donc en cause tous les accords commerciaux internationaux et tente d’établir des règles économiques plus justes pour ses concitoyens. Simultanément, il tente de renverser le politiquement correct, cette morale religieuse que les Puritains ont imposée à toute la société. Enfin, au plan international, il souhaite abandonner l’impérialisme et revenir à l’hégémonisme.
J’ai l’impression d’être à peu près le seul auteur non-états-unien à avoir observé ce programme depuis trois ans. Tout le monde le juge au regard des critères de ses adversaires et en conclut donc que c’est un dangereux imbécile, mais selon ses propres critères, c’est au contraire un homme brillant.
Maintenant, vu son absence d’assise dans la classe politique, il a peu de chances de réussir, surtout depuis qu’il a perdu la majorité à la Chambre des Représentants. Il a cependant déjà amélioré l’économie de son pays où le marché du travail est désormais en pénurie de main d’œuvre.
Question : On s’aperçoit que l’on vit dans un monde où les réalités comme les valeurs sont totalement inversées, quand Obama est méprisé pour ne pas avoir agressé militairement la Syrie, ou quand Trump est unanimement salué pour avoir envoyé quelques missiles sur une base militaire syrienne, et conspué pour avoir renoué le dialogue diplomatique entre les 2 Corées !
Thierry Meyssan : Désormais ce ne sont plus les actes, mais les images que célèbrent les médias. Obama aurait eu tort de ne pas livrer la guerre à la Russie en Syrie, tandis que Trump aurait eu raison de bombarder une base syrienne avec quantité de Tomahawks. Personne ne semblant relever qu’il avait permis à l’armée syrienne d’évacuer cette base avant d’y détruire de vielles carlingues d’avions mis au rebut. En réalité, les deux présidents US savent les guerres qu’ils ne peuvent pas mener.
Question : Je plaide coupable auprès des lecteurs de Sous nos yeux : nous avions, en accord avec vous, choisi de masquer un certain nombre de noms (une vingtaine tout au plus) dans les versions papier et numériques du livre, et nous l’avons fait sans en préciser la raison, tellement elle nous semblait flagrante. D’évidence, c’était une erreur, car certains lecteurs se sont alarmés que l’ouvrage avait été « caviardé » (c’est-à-dire censuré par l’éditeur, l’imprimeur, ou une quelconque mystérieuse autorité). En fait, nous voulions surtout éviter l’éventualité d’un ou plusieurs procès.
Thierry Meyssan : Oui, j’ai publié sur notre site les passages autocensurés. Ils sont au demeurant disponibles dans les éditions étrangères.
J’observe que nous avions tort : aucune des personnes citées n’a émis la moindre protestation auprès du Réseau Voltaire.
Question : Nous avons décidé, d’un commun accord, que vous mettriez rapidement en ligne, dans les semaines à venir, l’intégralité du texte de Sous nos yeux, pour rendre accessible au plus grand nombre ce livre important. Et chaque article sera même enrichi de documents (illustrations, photos, cartes, vidéos, etc. ) qui ne figurent pas dans l’édition originale. Voilà une initiative qui vous honore et qu’il faut saluer… mais en tant qu’éditeur, je me dois de souligner que chaque achat de vos livres contribue à assurer la pérennité de votre travail, comme celle de la petite structure éditoriale dont je suis responsable ! Il est essentiel de le dire : nous effectuons un travail de résistants, avec des moyens financiers limités.
Thierry Meyssan : Depuis 1992, nous luttons contre l’enfumage de la vie politique avec des moyens sans commune mesure avec ceux de nos adversaires. Manifestement, nous avons beaucoup progressé depuis la guerre du Kosovo et le 11-Septembre.
Question : D’ailleurs, en ce qui concerne le « nerf de la guerre », de nombreux lecteurs du Réseau Voltaire se demandent pourquoi le lien « Aidez-nous par un don » sur le site ne fonctionne pas et dirige vers une page blanche depuis des années… Pouvez-vous nous en expliquer la raison ?
Thierry Meyssan : Il y a 7 ans, le secrétariat US au Trésor nous a inscrit sur une liste noire. Notre compte bancaire en France a été fermé et plus aucune banque dans le monde occidental n’accepte de nous en ouvrir un. Plus exactement, dans tous les pays où nous avons essayé, la banque nous a d’abord dit oui, puis a été rappelée à l’ordre par sa Banque centrale et a refusé. Il est aujourd’hui impossible de nous faire parvenir de l’argent.
Nous avons pourtant continué, sans argent de nos lecteurs. Nous avons également refusé l’aide d’États, car cela nous aurait obligés. Nous vivons donc de bric et de broc et avons accumulé les dettes.
Nous devrons demander de l’aide à nos lecteurs pour nous sortir de ce mauvais pas. Mais, à terme, nous devons entretenir ce site à nos frais. Nous devons distinguer ce qui est payant, nos articles dans les journaux et nos livres, éventuellement des rapports privés, de ce qui est gratuit, c’est-à-dire notre engagement politique au service du Bien commun.
Question : Si je ne doute pas que les internautes seront stupéfiés et ne pourront s’empêcher de lire l’intégralité des articles à venir, pourriez-vous nous dire en quelques mots, en quoi votre livre est-il à ce point révolutionnaire ?
Thierry Meyssan : Vous disiez tout à l’heure que les médias ont conspué Obama pour ne pas avoir livré la guerre à la Russie et célébré Trump pour avoir apparemment bombardé la Syrie. Ce n’est qu’un épisode. Aujourd’hui les institutions que l’on croit dédiées à la paix sont celles là mêmes qui organisent la guerre.
Je donne l’exemple du plan de reddition totale et inconditionnelle de la Syrie rédigé par le directeur politique de l’Onu. Ce texte est plus dur que celui imposé par les Alliés aux Japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque le directeur politique de l’Onu a quitté ses fonctions, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a confirmé ce que j’ai révélé.
Éditions Demi-Lune : Merci M. Meyssan pour ce très long entretien, et bon courage pour la suite de vos travaux.
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