Présidence de M. Raymond FORNI, Président
M. Gérard Rémy est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Gérard Rémy prête serment.
M. le Président : Nous n’ignorons pas les troubles qui ont traversé le corps de la gendarmerie au cours des derniers mois. Vous êtes arrivé sur l’île depuis relativement peu de temps puisque vous avez pris la succession du colonel Mazères à la suite de son interpellation. Il est hors de question que nous évoquions l’affaire des paillotes proprement dite, puisqu’il revient à l’autorité judiciaire de la traiter. Néanmoins, nous souhaiterions que vous nous fassiez part de votre expérience, bien qu’elle soit nécessairement limitée dans le temps.
Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé les forces de gendarmerie en Corse ? Quelles modifications avez-vous apportées, puisque vous avez eu à mettre en œuvre la décision de suppression du GPS. Nous imaginons que cet état d’esprit est encore aujourd’hui troublé et qu’il faudra du temps pour que les choses rentrent dans l’ordre. Nous connaissons les qualités de l’arme à laquelle vous appartenez et les traditions républicaines qui sont les siennes. Il ne s’agit donc pas non plus de pointer du doigt tel ou tel service lié à la sécurité, qu’il s’agisse de la gendarmerie ou de la police. Nous souhaitons simplement que vous nous donniez votre sentiment.
M. Gérard RÉMY : Comme vous l’avez souligné, je ne suis ici que depuis très peu de temps puisque je suis arrivé, il y a quatre mois, le 30 avril.
Je dirai quelques mots de la gendarmerie de Corse avant d’évoquer les dissolutions ou réorganisations opérées à la suite de l’affaire dite des paillotes.
La gendarmerie en Corse est répartie en deux groupements correspondant aux deux départements, la Haute-Corse et la Corse-du-Sud, pour un effectif global d’un peu plus de mille hommes. Elle est composée de trente-cinq officiers, huit cents vingt-trois sous-officiers de gendarmerie, vingt-deux personnels occupant des emplois administratifs et de soutien à la gendarmerie, qui n’ont pas le statut de gendarme, quarante et un gendarmes adjoints - les volontaires de la gendarmerie -, quatre-vingt deux gendarmes auxiliaires, en place jusqu’à l’extinction du service national, et treize civils. Tels sont les effectifs, répartis en deux groupements, Bastia et Ajaccio, plus l’état-major de la légion.
A ces effectifs de gendarmerie départementale présents en Corse, il convient d’ajouter la présence permanente de gendarmes mobiles. Depuis très longtemps, la gendarmerie mobile est présente en Corse avec un effectif variable en fonction des périodes. En régime de croisière, lorsqu’il ne se passe rien, ce qui était notamment le cas il y a quelques années, il y avait en permanence de trois à quatre escadrons de gendarmerie mobile déplacés en Corse pour les besoins du maintien de l’ordre. L’année dernière, pour les raisons que vous savez, on est monté à neuf escadrons. Cette année, au début de l’été, on est redescendu à six escadrons. Nous avons donc actuellement un renfort d’environ cinq cents gendarmes mobiles, ce qui représente tout de même des effectifs importants par rapport à la population, exception faite de la période estivale où nous recevons un très grand nombre de touristes. Cette année, en particulier, la fréquentation a été d’environ deux millions de vacanciers.
A mon arrivée ici, le 30 avril, la dissolution du GPS n’était pas encore prononcée mais un certain nombre d’officiers, notamment le commandant de légion, étaient incarcérés. La gendarmerie a donc subi un traumatisme profond. Certains gendarmes se sentaient perdus, sans aucun repère, trahis par la hiérarchie, dans la mesure où il était avéré que certains gendarmes - des officiers - avaient commis un acte manifestement illégal. Lorsque le directeur m’a appelé pour m’envoyer en Corse, il m’a dit : " Il vous appartient de ressouder la gendarmerie, de lui faire retrouver le moral et de restaurer la confiance et l’estime qu’elle mérite auprès de la population. Il ne faut pas perdre de vue que si quelques membres de la gendarmerie ont dérapé, pour des raisons que la justice expliquera, l’institution demeure solide. Il faut bien le faire comprendre, remettre les gens au travail, leur redonner le moral et la confiance, tourner la page ".
C’est dans cet état d’esprit que je suis arrivé. Mes premières démarches ont consisté à rassembler, d’abord en Corse-du-Sud, puis en Haute-Corse, l’ensemble des cadres de la gendarmerie : officiers et sous-officiers, et les présidents de nos instances de concertation, présidents des sous-officiers, commissions de participation et autres, pour leur expliquer les faits, leur dire quelle était ma mission et surtout les encourager à ne pas baisser les bras, à ne pas se laisser démoraliser et à retravailler. Cette mission était assez difficile parce qu’il fallait sans cesse rassurer les gens et surtout leur faire oublier cet épisode un peu douloureux.
J’ai eu aussi une action auprès des autorités locales, administratives et judiciaires. Je dois dire que j’ai été très bien accueilli en Corse par l’ensemble des autorités qui m’ont tout de suite dit que c’était un incident tout à fait regrettable, d’un certain côté incompréhensible, mais que, pour autant, l’institution de gendarmerie n’avait pas perdu l’estime et la confiance. Je m’en suis aperçu assez rapidement.
Pendant les premiers jours et les premières semaines, le travail des gendarmes a été difficile vis-à-vis d’une certaine partie de la population. Ils étaient soumis à des quolibets, des réflexions déplacées, des graffiti, des articles dans certains journaux. C’était assez pénible. D’autant que dans le même temps, la victime, de la paillote " Chez Francis ", M. Féraud, entreprenait des démarches pour reconstruire et se relancer.
J’ai le sentiment que le moral des troupes a remonté assez vite parce qu’il fallait faire face à d’autres préoccupations importantes. Avec l’arrivée des touristes l’été, il fallait mettre en place un dispositif particulier pour que gendarmerie départementale et gendarmerie mobile travaillent en étroite collaboration. L’activité reprenait.
Il a fallu traiter aussi, dès les premiers jours, le problème du GPS, puisque la décision de dissolution est intervenue le 5 mai, donc assez peu de temps après les événements, suite à l’intervention du Premier ministre à l’Assemblée nationale. Si j’ai bien compris, cette dissolution correspondait à une volonté de faire en sorte que les forces de gendarmerie en Corse retrouvent une certaine orthodoxie en supprimant une unité dont les chefs avaient dérapé. Il fallait faire comprendre qu’en Corse, la gendarmerie est comme ailleurs et qu’il ne fallait pas d’unité spéciale. C’est une décision que l’on comprend très bien au plan politique.
Le GPS étant dissous, il fallait réorganiser les unités. Que faire des personnels qui composaient le GPS ? Comment se réorganiser pour maintenir au sein de la gendarmerie une capacité opérationnelle suffisante en fonction des circonstances et des affaires à traiter ?
Rappelons que la création du GPS était récente puisque sa durée d’existence a été très courte et qu’elle correspondait, après l’arrivée du préfet Bonnet, à une nécessité opérationnelle. Cette unité comportait trois pelotons opérationnels : un peloton dit d’intervention, capable de renforcer toute action de la gendarmerie départementale ; un peloton de recherche du renseignement et d’observation qui effectuait des observations particulières de type filatures au profit de la police judiciaire, et un peloton de protection, car de nombreuses autorités ici en Corse avaient une protection rapprochée sous forme de gardes du corps, ce qui reste vrai aujourd’hui.
Lorsque la dissolution du GPS est intervenue, la direction de la gendarmerie, comme, je crois, le ministre de la défense et même le Premier ministre, avaient souhaité le maintien de la capacité opérationnelle. On a vu par la suite, avec les décisions prises par la direction générale, que ce n’était pas tout à fait exact : on ne gardait pas le potentiel opérationnel qui avait été acquis par le GPS mais on en perdait une partie. D’abord, parce que les gens du peloton de renseignement et d’observation n’ont pas été maintenus en Corse. Ils ont été mutés sur le continent. Certains d’entre eux ont d’ailleurs renforcé la section de recherches de Marseille. On a maintenu le peloton de protection qui sert, je le rappelle, à la protection rapprochée de certaines autorités, mais on l’a enlevé de l’état-major de la légion. Il n’est plus dans la main du commandant de légion, il est rattaché au commandant de groupement de Corse-du-Sud, à Ajaccio.
Le peloton d’intervention a été dispersé et certains de ses personnels sont venus renforcer le peloton de surveillance et d’intervention d’Ajaccio, le PSIG, et le peloton de surveillance et d’intervention de Bastia, cantonné à Borgo. Ces deux pelotons de surveillance placés au chef-lieu des groupements sont des PSIG dits professionnalisés, qui montent à l’effectif de dix-huit et qui sont commandés par un lieutenant. Il est évident que tous les personnels du peloton d’intervention du GPS n’ont pas été affectés dans les PSIG parce que nous avons traité le cas des militaires un par un, en tenant compte de leurs desiderata, de leur potentiel, de leur profil de carrière, etc. La dissolution du GPS et la ventilation des effectifs ne devaient pas correspondre à une sanction pour les personnels. S’il est vrai que le capitaine et quelques officiers se sont laissé entraîner dans une opération illégale et grave, pour autant, le reste du personnel ignorait ce qui se passait et s’est trouvé un peu en position de victime au moment de la décision de dissolution.
Il y a eu un léger traumatisme psychologique chez ces gens-là, ce qui est normal, puisque quelques mois plus tôt, ils avaient été sélectionnés pour faire partie d’une unité. Disons-le, ils étaient fiers d’appartenir à cette unité particulière, ils ont fait du bon travail pendant quelques mois, et ils n’avaient pas encore atteint le potentiel optimal car ils n’avaient pas encore reçu tout leur matériel. Mais ils ne demandaient qu’à bien travailler et ils travaillaient beaucoup, peut-être trop, d’ailleurs. Peut-être étaient-ils trop sollicités. L’ensemble des militaires du GPS n’avait rien à se reprocher, ayant toujours travaillé dans un cadre légal parfaitement défini.
Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Un certain nombre de personnels ont été affectés dans les deux PSIG que je viens d’évoquer. Il me faut encore recruter du personnel venu d’ailleurs parce que tout le monde n’est pas resté en Corse, certains sont repartis sur le continent, d’autres ont été mutés dans d’autres escadrons, d’autres sont partis en départementale, d’autres encore sont partis en école. Il y a eu un éclatement du personnel. A l’heure actuelle, on ne peut pas dire que la gendarmerie départementale en Corse ait retrouvé le niveau opérationnel qu’elle avait atteint avant la dissolution du GPS. Cela est en cours de reconstruction, notamment au travers des deux PSIG et du peloton de protection, mais il nous faut encore travailler et l’on ne retrouvera pas la capacité opérationnelle du jour au lendemain.
Seul est resté dans la main du commandant de légion, au siège du quartier Battesti, à Ajaccio, ce que l’on appelle le peloton de soutien. C’est un peloton qui n’a pas de vocation opérationnelle. Il a en charge toutes les tâches de soutien liées à l’état-major de la légion et à la caserne où nous sommes implantés : protection de la caserne, plantons, patrouilles, entretien des espaces verts, etc., mais pas de tâches opérationnelles.
On est revenu à une certaine orthodoxie qui veut que le commandant de légion ne soit pas un échelon opérationnel. En gendarmerie, sont directement opérationnels les brigades, les compagnies, les groupements. Le commandant de légion est plutôt administratif : il gère les personnels - mutations, avancement, sanctions, tableau d’effectifs autorisés, etc. - et il fait du soutien à travers son budget de fonctionnement. Il facilite le travail des unités de terrain mais il n’est pas en lui-même un échelon opérationnel.
M. le Président : Vous avez entendu parler de " la guerre des polices ", entre la police et la gendarmerie. Avez-vous le sentiment qu’ici, en Corse, ce phénomène est accentué ou bien qu’il correspond à ce que l’on retrouve habituellement sur l’ensemble du territoire français ?
M. Gérard RÉMY : Je répondrai très franchement qu’il me semble que les conflits ont été accentués, il n’y a d’ailleurs pas très longtemps. Tout le monde sait qu’à son arrivée, le préfet Bonnet a dit de manière assez explicite qu’il ne faisait pas confiance aux personnels de la police nationale. Il s’est beaucoup appuyé sur la gendarmerie. D’aucuns diront : beaucoup trop. A l’époque, je ne dirai pas que les rapports entre police et gendarmerie étaient mauvais, mais qu’il n’y en avait quasiment pas.
M. le Président : Quand vous dites qu’il s’est appuyé beaucoup trop sur la gendarmerie, l’analyse doit sans doute aller au-delà. On peut surtout lui reprocher que se soit constituée autour de lui une force composée de gendarmes relativement autonomes par rapport à la structure même de la gendarmerie. A entendre les uns et les autres, on a le sentiment qu’elle fonctionnait un peu en autarcie, c’est-à-dire qu’elle avait son propre dispositif interne, qu’elle en référait à Bonnet et à très peu d’autres en dehors de lui, sauf quand les événements sont survenus et que l’on a fait remonter l’information sans doute pour tenter de se couvrir. Partagez-vous le sentiment d’une espèce d’isolement du GPS par rapport au reste de la structure de gendarmerie, avec les risques de marginalisation et d’autonomie non contrôlée que cela comporte ?
M. Gérard RÉMY : Vous avez raison. Effectivement, d’après ce que l’on a vu, d’après ce que je sais, d’après tout ce qui a été dit ici ou là, il y avait autour du préfet Bonnet le colonel Mazères et M. Pardini, le directeur de cabinet. On a vraiment le sentiment que cette équipe-là, à trois, a vécu un certain enfermement, coupant les ponts avec le reste du monde, et se faisant sa propre opinion à la fois sur l’ambiance générale en Corse et sur les méthodes à appliquer.
Il est vrai, je crois, que le commandant de légion était très proche du préfet. Il le voyait parfois plusieurs fois par jour, il n’en référait qu’à lui. Il n’y avait pas de contact avec les autres forces de police. Je crois savoir que le commandant de légion faisait quelques comptes rendus à son commandant de circonscription à Marseille ou à la direction générale tant que tout se passait bien et se déroulait dans un cadre parfaitement légal.
En ce qui concerne le GPS, il ne vivait pas cet enfermement et cette ambiance, puisqu’il était un outil opérationnel qui montait en puissance. Mais comme il était placé directement sous le commandement du commandant de légion, celui-ci en usait sans doute trop. Il se reposait exclusivement sur cet outil qui lui paraissait adapté parce que les personnels avaient été sélectionnés et entraînés. C’était un peu l’esprit commando. En valeur opérationnelle, il était bien au-dessus d’un peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, mais ce n’était pas le GIGN. C’était entre les deux. Ils étaient capables de faire des choses remarquables. Ils l’ont prouvé à bien des occasions, dans les enquêtes et les interpellations difficiles. C’était donc devenu l’outil facile à manier, directement dans la main du commandant de légion.
On a dit que le GPS était sur-employé. C’est sans doute vrai. Le commandant de légion s’appuyait beaucoup sur le GPS et beaucoup moins sur ses unités territoriales, parce qu’il voulait aller vite, il voulait obtenir des résultats. Peut-être que le travail plus lent, plus en profondeur des brigades territoriales ne correspondait pas au rythme imposé par le préfet Bonnet, Gérard Pardini et le colonel Mazères. Quand on veut aller vite, loin, obtenir du résultat, afficher une détermination, on fait immédiatement appel à l’outil le plus direct et le plus performant, et on court-circuite les autres échelons. C’est le sentiment que j’ai, mais je précise que je ne suis là que depuis quatre mois et qu’il faut être assez prudent.
M. le Président : Nous n’avons pas non plus d’autres informations que celles résultant des auditions auxquelles nous avons procédé, mais l’on nous a dit que l’efficacité des brigades de gendarmerie sur le terrain était sans doute moindre en Corse que sur le continent, pour des raisons qui tiennent à ce qu’elles subissent, c’est-à-dire les attentats successifs, et à leur souci légitime de protéger leurs familles. Les résultats dans le domaine de la pénétration du terrain, du travail de renseignement qui est remarquablement effectué ailleurs par les unités de gendarmerie, ne seraient pas tout à fait ceux que l’on est en droit d’attendre. Avez-vous pu l’observer ? Cela explique que l’on ait recours à des structures spécialisées, de temps à autre renforcées par des structures nationales venant chapeauter ou compléter le travail réalisé par cette structure intermédiaire qu’était le GPS.
M. Gérard RÉMY : D’après ce que j’ai vu jusqu’à présent, l’impression que vous venez de traduire est largement répandue sur le continent. Par un raccourci rapide, on dit qu’en Corse, les gens ne travaillent pas, y compris les policiers et les gendarmes. On dit qu’ils ne font rien, n’obtiennent pas de renseignements, n’obtiennent pas de résultats, alors que le ratio des effectifs de la gendarmerie et de la police par rapport à la population est très important. Lorsque l’on examine le travail réalisé sur le terrain, on s’aperçoit que cette vision est effectivement un peu un raccourci.
Pendant un certain temps, on a dit qu’il y avait trop d’insulaires dans la gendarmerie départementale et, donc, qu’ils ne travaillaient plus, qu’ils étaient phagocytés et neutralisés. Cela n’est pas vrai. Aujourd’hui, sur les quelque mille personnels de la gendarmerie départementale, l’on en trouve 6 à 7 % d’origine corse, qui n’ont d’ailleurs pas fait toute leur carrière en Corse, qui en ont fait une partie sur le continent et qui sont revenus en Corse. Nous avons aussi un petit pourcentage de militaires non insulaires mariés à une Corse. Le pourcentage de Corses parmi les gendarmes est très faible. Mais il ne faut pas dire que parce qu’ils sont d’origine corse ou mariés avec une corse, ils ne font rien. Cela n’est pas vrai. Je connais des gendarmes et des gradés qui sont corses et bien implantés ici, qui travaillent remarquablement et qui n’ont pas peur de s’exposer.
Parmi les gendarmes corses, on peut distinguer deux catégories. Un bon paquet de gendarmes s’engagent à fond, notamment les gradés, ceux qui font un séjour en Corse, repartent, poursuivent leur carrière, sont mobiles et qui en veulent. Cela représente un gros pourcentage. Ceux-là travaillent remarquablement. Un tout petit paquet, en queue de peloton, a choisi de servir en Corse parce que c’est un beau pays, que l’on y fait des annuités doubles, car la gendarmerie fait campagne en Corse, ce qui compte pour la retraite.
M. le Président : Est-ce que c’est normal ?
M. Gérard RÉMY : Je ne me prononcerai pas sur la normalité en ce domaine.
M. le Président : On est en France, sur le territoire français, à une heure et demi de vol de Paris.
M. Gérard RÉMY : Vous avez raison de poser la question car on se la pose souvent. Les autres militaires et les autres fonctionnaires se la posent aussi. Cela remonte au siècle dernier. Ce régime a été supprimé puis rétabli en 1885 ou 1887, époque à laquelle la gendarmerie payait un très lourd tribut. Il faut se souvenir que si la gendarmerie a eu ici sept morts tués par balle depuis 1975, en revanche, au début du siècle et à la fin du siècle dernier, elle avait vingt à vingt-cinq morts par an, voire plus.
M. Roger FRANZONI : C’était l’époque des fameux bandits !
M. Gérard RÉMY : Tout à fait. La gendarmerie a gardé cet avantage qui ne concerne pas toute la gendarmerie départementale ici, puisque je connais quelques exemples de gens qui n’ont pas besoin d’annuités, qui ont dépassé les quarante annuités pour toutes sortes de raisons et qui sont volontaires pour servir ici. Mais ne nous voilons pas la face : c’est un avantage car cela compte pour la retraite.
J’en reviens à mon propos initial. Une toute petite minorité vient ici en se disant que le territoire est beau, il y a la mer, la montagne, le soleil, et les annuités. On ne peut pas beaucoup compter sur eux pour travailler efficacement, mais c’est une toute petite minorité. Interrogez demain le commandant de groupement, un commandant de compagnie, un commandant de brigade, des gendarmes, qui vous voulez, vous acquerrez rapidement le sentiment que les gendarmes en Corse travaillent comme les gendarmes sur le continent. Il y a un brassage, toutes les origines sont représentées parmi les gendarmes et ils ne cherchent qu’à bien faire.
Vous avez prolongé votre question en évoquant la recherche du renseignement ici. Cela n’est pas dû aux gendarmes mais à une caractéristique historique et culturelle de la Corse. Il est très difficile, dans certains domaines, d’obtenir des renseignements fiables. Même si une majorité de la population peut très logiquement condamner tel ou tel fait, très peu en parlent. Est-ce une caractéristique corse ou une caractéristique de l’insularité méditerranéenne ? C’est la même chose en Sardaigne et ailleurs.
Je ne reproche pas aux gendarmes de mal travailler dans le domaine de la recherche de renseignements. J’obtiens des renseignements valables, fiables, sur lesquels on peut s’appuyer mais la tâche est très difficile. Lorsqu’il est commis un homicide en public, ce qui se produit trop souvent, on n’obtient pas de témoignage. Les gendarmes peuvent sans doute mieux faire dans le domaine du renseignement et je vais m’attacher à faire en sorte qu’ils fassent mieux, mais avec les réserves que je viens d’évoquer. Ce n’est pas une excuse, c’est un constat.
M. le Président : Vous ne nous avez pas parlé du lieutenant-colonel Cavallier.
M. Gérard RÉMY : Je peux vous en parler, si vous le souhaitez.
M. le Président : L’avez-vous connu ?
M. Gérard RÉMY : Je connaissais déjà le lieutenant-colonel Cavallier, je ne l’ai pas découvert en arrivant en Corse. Il n’a jamais servi sous mes ordres mais nous nous sommes croisés souvent. J’étais même examinateur du jury du brevet d’études militaires supérieures lorsqu’il a passé le concours pour l’école de guerre. Je ne le connais sans doute pas aussi bien que je le souhaiterais, mais je le connais.
M. le Président : Comment expliquez-vous son comportement ? Est-il compatible avec l’état d’officier de gendarmerie ?
M. Gérard RÉMY : On peut se poser la question. De ce que j’ai pu voir, je dirai ceci. Lorsqu’il était commandant du groupement des Pyrénées-Orientales, il a été emmené en Corse dans les bagages du préfet ce qui, à l’origine, a posé un problème à la direction générale de la gendarmerie pour positionner le lieutenant-colonel Cavallier dans le dispositif gendarmerie de Corse. Le préfet a insisté pour l’emmener avec lui. Tout a alors été passé en revue à la direction. Fallait-il le détacher à la préfecture ? Fallait-il le mettre à la légion comme adjoint opérationnel du commandant de légion ? Fallait-il le mettre chef d’état-major ? Cela posait des problèmes car un chef d’état-major était déjà en place à la légion. Par ailleurs, Cavallier était un lieutenant-colonel moins ancien que les lieutenants-colonels commandant le groupement. La solution finalement retenue par la direction a été de le positionner comme chef d’état-major auprès du commandant de légion.
Cavallier a une réputation d’homme très droit, très militaire, très régi par l’honneur et la tradition. Il a pour certains la réputation d’être un peu rigide. Pour autant, il a de grandes qualités d’honnêteté et de rigueur, de défense et de soutien de ses subordonnés.
Lorsque le chef d’état-major a été muté, Cavallier a été placé comme chef d’état-major. N’oublions pas qu’avant même qu’il soit nommé à ce poste, il avait travaillé avec le préfet Bonnet à la préfecture de région. Il a même fait très souvent, pendant quelques semaines, des allers et retours entre Perpignan et Ajaccio. C’est lui qui a réfléchi, avec le préfet, au plan d’action qui pourrait être développé en Corse. Dans les premières semaines, il a donc fait un travail remarquable pour positionner les forces et prendre la mesure du travail à réaliser. Il a fait aussi un travail remarquable lorsque l’on a décidé de dissoudre l’escadron de gendarmerie mobile qui était à Ajaccio et de créer le GPS. Son action dans ce domaine a été prédominante. Il a évalué quel était le besoin opérationnel, quel outil il fallait créer, comment le créer, comment sélectionner les personnels, etc. Il se sent très légitimement une certaine paternité vis-à-vis du GPS.
Vous savez sans doute aussi qu’au fil des semaines, il s’est trouvé écarté à la fois par le commandant de légion et par le préfet Bonnet. Son éviction des affaires peut paraître logique dans la mesure où il était chef d’état-major et devait donc simplement faire fonctionner l’état-major de la légion. Il n’avait pas alors de rôle opérationnel tactique ou autre. Mais cette éviction correspond aussi au moment où, je crois, le préfet Bonnet avait réussi vraiment à faire du colonel Mazères son ombre. Ayant à sa disposition le commandant de légion, le préfet n’avait plus besoin de Cavallier.
Est-ce qu’il y a autre chose derrière tout cela, plus personnel ou plus familial ? Je ne sais pas.
M. le Président : On le dit.
M. Gérard RÉMY : Très sincèrement, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’à l’évidence, Cavallier étant écarté, il n’avait pas connaissance des projets du préfet Bonnet et de Mazères. Il en a eu connaissance par raccroc, parce que des bruits lui remontaient via le GPS ou via quelqu’un d’autre. Il m’a dit, et il l’a répété à la justice, qu’il avait tenté d’intervenir pour que cela ne dérape pas, pour qu’il n’y ait pas d’action illégale. Il a eu vent d’un projet de destruction de paillotes et il est intervenu à la fois auprès du commandant de légion, de manière très solennelle et très ferme, et auprès du préfet Bonnet. Il lui a semblé qu’il avait été entendu et que ses supérieurs n’allaient pas passer à l’acte. Il ignorait alors que le 7 mars, il y avait déjà eu la tentative de destruction de la paillote Aria Marina.
Lorsqu’il est parti en permission et qu’il a appris l’affaire de " Chez Francis ", il en a été, m’a-t-il dit et a-t-il répété aux magistrats, abasourdi, consterné. Il a vu tous les dégâts internes que cela pouvait causer à la gendarmerie et au GPS. C’est pourquoi, explique-t-il, il est allé " piéger " le préfet Bonnet avec un appareil d’enregistrement.
Je ferai un retour en arrière. A mon arrivée le 30 avril, j’ai trouvé Cavallier très atteint, très fermé, très contrit. Dès qu’il a eu l’occasion d’être seul à seul avec moi, il m’a dit : " Il faut que je vous parle. A vous, je peux parler et j’ai des choses à dire. " L’entretien s’est prolongé. Le 1er mai, nous avons passé toute la matinée à discuter. Il m’a raconté tout ce qu’il savait et il m’a demandé : " Que dois-je faire, maintenant, avec tout ce que je sais ? " Je lui ai dit : " La seule démarche possible, c’est la démarche de vérité. Allez voir les magistrats, dites-leur tout ce que vous savez, sans broder, en vous en tenant aux faits, ce que vous avez fait, ce que vous saviez, quelles sont les démarches que vous avez entreprises, que s’est-il passé, etc. " C’est la démarche qu’il a immédiatement entreprise, à la fois auprès de l’inspecteur technique alors en enquête ici et auprès des magistrats. C’est à la suite de sa déposition du 3 mai que le capitaine Ambrosse est passé aux aveux, balayant d’un seul coup la version initiale qui avait été montée. C’est également à la suite de sa déposition du 3 mai que le préfet Bonnet a été arrêté.
Vous me demandiez ce que je pensais de Cavallier. J’ai le sentiment qu’il a voulu absolument entreprendre une démarche rigoureuse de vérité et qu’il ne voulait pas que toute la responsabilité repose sur les exécutants du GPS. Pour lui, les responsables sont le préfet Bonnet et le colonel Mazères. Il avait le sentiment que les jeunes officiers du GPS avaient été embarqués un peu de force dans cette opération et qu’ils ne méritaient pas le sort qu’ils ont connu par la suite.
Tel est le sentiment que j’ai. Est-ce que je détiens la vérité ? Je l’ignore. Je vous livre un sentiment ; je n’ai pas participé à l’enquête. Il s’est confié à moi, il s’est ensuite confié à la justice. Je n’ai pas non plus le sentiment qu’il voulait régler des comptes. Ceux qui le connaissent et que vous pourrez interroger vous le décriront comme un personnage assez ascétique, rigoureux, le drapeau de la France à la main. Je ne le connais pas sous un angle machiavélique. Cela étant, je ne prétends pas tout savoir.
M. le Président : Sauf s’il se révélait qu’en plus, il y ait eu une falsification de la bande enregistrée.
M. Gérard RÉMY : Là aussi, je peux répondre, monsieur le Président.
M. le Président : C’est plus qu’anecdotique.
M. Gérard RÉMY : Dans cette petite cassette qu’il avait enregistrée, et il vous le dira lui-même, les propos à la fin n’avaient rien à voir avec l’affaire elle-même. Quand il a décidé d’avoir une preuve matérielle de l’implication du préfet dans cette affaire, il a lancé des propos qui ne sont pas très coordonnés, pas faciles à suivre, y compris dans l’audition de la cassette, mais il a fait effacer la fin qui n’apportait rien, mais vraiment rien, au fond de l’affaire. Cela n’avait rien à voir. Il m’a dit : " Cela n’apporte rien, cela va compliquer tout. C’est complètement étranger. Ce sont d’autres propos sur d’autres sujets, donc je l’efface. " Je lui ai dit : " Vous prenez vos responsabilités, vous savez qu’un enregistrement audio n’est pas une preuve irréfutable. C’est un élément d’information pour la justice, ce n’est pas une preuve irréfutable. " Il se trouve que par la suite, les magistrats ont décidé de faire expertiser la cassette par un laboratoire spécialisé qui a dit que la fin est effacée. Oui, mais je crois qu’il s’en expliquera. Il s’attend à être convoqué pour s’expliquer sur ce sujet-là. Très sincèrement, du peu que je sais, je ne pense pas qu’il y ait eu dans cette fin de cassette quelque chose d’important et qui se rapporte à cette affaire. Il s’en expliquera.
M. le Président : Si je me permets d’évoquer tout cela, ce n’est pas par souci de l’anecdote, car je crois que cela n’a aucun intérêt. D’autant que les conséquences sont suffisamment graves pour la gendarmerie pour que l’on se garde de tomber dans l’anecdote ou dans le sensationnel. Il n’empêche que la gravité des conséquences de la démarche de Cavallier à l’égard de son arme sont telles qu’il vaut la peine pour nous de la reconstituer, de la comprendre. Il n’y a évidemment aucun intérêt pour nous de savoir si la motivation est uniquement liée à une déception professionnelle ou à une déception d’une autre nature. Encore que la déception d’autre nature puisse expliquer le souci de vengeance beaucoup plus que la démarche professionnelle. On peut vouloir se venger parce que l’on a été atteint dans son honneur, dans la conception que l’on a de la vie, des relations entre les gens, de la confiance que l’on met en quelqu’un, de l’amitié. On découvre dans le dossier corse tellement de couples particuliers que l’on pourrait écrire un rapport uniquement centré sur le sujet !
M. Gérard RÉMY : Chez Cavallier, il n’y a pas d’amertume professionnelle : il a fait une carrière tout à fait brillante. Il est breveté de l’enseignement supérieur. Il est passé lieutenant-colonel dans de bonnes conditions. J’imagine qu’il passera colonel dans de bonnes conditions. Sur le plan professionnel, il n’a pas pris de retard, on ne l’a pas torpillé.
Sur un autre plan, je n’imagine pas qu’il ait cherché à se venger de quoi que ce soit. A mon sens, il a entrepris une démarche de rigueur, une démarche de vérité, pas du tout pour se venger. Mais je n’ai peut-être pas toutes les cartes en main.
Quand on écoute l’opinion des uns et des autres, au sein de la gendarmerie, on a parfois le sentiment que deux clans se forment : ceux qui disent qu’il a bien fait, qu’il a foncé droit comme un " i ", qu’il a dit la vérité, et ceux qui se demandent pourquoi il a fait cela et qui pensent qu’il n’avait qu’à laisser faire la justice, sans aller en accélérer le mouvement. A ceux-là, on peut rétorquer ceci : compte tenu des deux versions des faits qui avaient été avancées successivement par le colonel Mazères auprès du procureur général, dès le 22 ou le 23 avril, il était clair que la gendarmerie allait s’enferrer dans un mensonge qui ne pouvait pas tenir la route. Première version : le poste s’est trouvé là par hasard ; deuxième version : les gendarmes étaient sur place et ils ont été surpris par un incendie. Tout cela était immédiatement démenti par l’analyse des traces matérielles relevées sur place par les enquêteurs. Il convient au passage de rendre hommage aux enquêteurs de la gendarmerie qui ont révélé la vérité dès le lendemain. La brigade de Pietrosella, la section de recherche ont fait une enquête avec toute la rigueur qui s’imposait sans chercher à rien dissimuler. La rigueur de l’enquête, les mensonges répétés dans la version montée à la hâte, cet alibi qui ne tenait pas la route : de toute façon, la vérité allait éclater. Peut-être pas tout de suite, au bout de quelques jours ou de quelques semaines, mais elle allait éclater. Et les conséquences pour la gendarmerie auraient été beaucoup plus graves.
M. le Rapporteur : Un fait m’a un peu surpris : dans un livré intitulé " Le guêpier corse ", l’auteur, un journaliste du Point explique qu’il a rencontré le lieutenant-colonel Cavallier pendant plus de cinq heures, dans un hôtel.
M. Gérard RÉMY : Le 1er mai, au soir.
M. le Rapporteur : Qu’un officier pris dans une affaire de ce type se retrouve avec un journaliste pendant plus de cinq heures, je trouve la démarche assez curieuse. Peut-être est-ce dû au climat corse ?
M. le Président : L’a-t-il vu avant de voir les magistrats ?
M. Gérard RÉMY : Oui.
M. le Rapporteur : Le jour même où vous l’avez rencontré, ce qui est extraordinaire !
M. Bernard DEFLESSELLES : Il a passé avec vous la matinée du 1er mai en étant torturé, en se demandant ce qu’il devait faire, s’il devait aller voir la justice, et il passe l’après-midi avec un journaliste ! C’est tout de même une journée chargée.
M. Gérard RÉMY : On peut se poser la question, effectivement. Sa démarche de vérité était lancée, parce que dès le 1er mai, à midi, à la suite de la discussion qu’il avait eue avec moi, après que je lui eus dit : " Seule une démarche de vérité vaut la peine d’être jouée ", il avait rencontré l’inspecteur technique, le général Lepetit. Il était lancé, il allait parler.
M. le Rapporteur : Cela n’explique pas sa démarche.
M. Gérard RÉMY : Pourquoi, le soir, a-t-il rencontré ce journaliste ? Je n’en sais rien. J’ignorais ce qu’il avait fait le soir du 1er mai. On peut se poser la question. Je sais, parce qu’il me l’a dit, qu’il connaît Pascal Irastorza.
M. le Rapporteur : Dans quelles circonstances l’avait-il connu ?
M. Gérard RÉMY : Il m’a dit qu’il le connaissait. Je vous répète ce qu’il m’a dit. Je n’en sais pas plus. Pourquoi l’a-t-il rencontré dès le 1er mai au soir ? Je n’ai pas d’explication.
M. le Rapporteur : Sa femme l’a rencontré aussi. Tout cela est troublant !
M. Gérard RÉMY : Monsieur le Président, je souhaiterais aborder rapidement un point, pour rebondir sur votre question concernant la qualité de la recherche du renseignement par les unités.
Le décret n° 95-1211 du 9 novembre 1995 autorisait la gendarmerie à établir régionalement des fichiers nominatifs informatisés. La police nationale, à travers les renseignements généraux, dispose du FIT, le fichier informatisé du terrorisme. La gendarmerie avait souhaité, pour des raisons d’efficacité opérationnelles, adapter ses outils de travail dans la lutte contre le banditisme et le terrorisme.
M. le Président : Ne dites pas de mal de la CNIL, j’en suis vice-président !
M. Gérard RÉMY : Je me garderai bien de dire du mal de la CNIL, d’autant que ce décret avait obtenu son aval ainsi que celui du Conseil d’Etat. Quelques jours après sa parution au Journal officiel, il s’est produit un certain remue-ménage, une attaque qui a conduit le Premier ministre à le retirer. Depuis, des relances ont été effectuées par la direction et par le ministère de la défense qui n’ont pas encore abouti.
On critiquait notamment dans ce décret le troisièmement de l’article premier qui prévoyait de mentionner des renseignements sur les victimes, alors que cette disposition n’était pas réclamée par la gendarmerie, mais avait été ajoutée par le Conseil d’Etat. Bien entendu, comme nous ne l’avons pas proposée, nous sommes prêts à admettre que nous n’en avons pas besoin. Nous avons besoin d’un outil de travail informatisé pour gérer les données nominatives sur les personnes concernées par les actes terroristes et le grand banditisme. Si nous n’avons pas ces renseignements sur les victimes, peu importe. L’essentiel est que nous puissions réaliser un suivi de l’analyse criminelle à partir de ce fichier automatisé.
On nous a suggéré de nous raccrocher au FIT des RG. C’est un fichier de police administrative, parce que le terrorisme y est vu sous l’angle politique, alors que nous avons besoin d’un angle judiciaire pour faire de l’analyse criminelle. Nous avons vraiment besoin, et pas seulement en Corse, de pouvoir créer ces fichiers qui avaient reçu l’aval, en 1995, de la CNIL et du Conseil d’Etat.
M. le Président : Mon colonel, vous allez bientôt avoir une réponse, puisqu’un débat va s’ouvrir dans les prochaines semaines autour d’un fichier mis en œuvre par la police nationale, qui va d’ailleurs bien au-delà de ce qui avait été autorisé à la gendarmerie dans le cadre du décret n°95-1211. Je pense qu’à partir de ce qui sera décidé pour la police, une extension à la gendarmerie permettra la mise en œuvre de ce que vous souhaitez. Cela pose évidemment quelques problèmes qui ne sont pas minces puisqu’ils touchent aux libertés et à un certain nombre de principes de droit, mais ce qui se fera pour la police s’appliquera nécessairement aux services de gendarmerie.
Des histoires anciennes resurgissent. L’expérimentation avait déjà été faite au sein de la gendarmerie. Vous aviez innové dans ce domaine : je me souviens de l’époque où vous êtes passés du fichier manuel au fichier informatique. A l’époque, j’avais visité des brigades de gendarmerie en compagnie de M. Barbot, alors directeur général de la gendarmerie nationale. C’était très intéressant car vous aviez une source de renseignements considérable et qui pouvait cependant, dans certains cas, apparaître excessifs. Je cite toujours un exemple à ce propos. Je me souviens d’avoir trouvé dans une brigade de gendarmerie, à Dourdan, en région parisienne, une fiche qui disait sur une dame qui devait avoir quatre-vingt cinq ou quatre-vingt dix ans : " Est suspectée d’avoir entretenu des relations coupables avec l’occupant durant la Seconde Guerre mondiale ". Nous étions après 1980. Etait-ce un renseignement vraiment utile pour la gendarmerie ? La malheureuse, chaque fois qu’elle devait avoir affaire aux services de gendarmerie, j’imagine comment elle devait être reçue !
M. Gérard RÉMY : Il est évident que tous nos fichiers doivent être soumis à un contrôle précis de la CNIL pour éviter tout dérapage. Votre exemple montre que l’on doit faire attention à ce que l’on met dans les fichiers. Il n’empêche que si nous n’avons pas un fichier automatisé, si nous ne pouvons pas faire d’analyse criminelle, nous avons une sacrée longueur de retard sur les criminels. Il ne faut pas nous obliger à vider la piscine avec une petite cuillère. A l’heure de l’informatique et de l’analyse criminelle, on ne peut plus travailler avec la gomme et le crayon.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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