Le 27 janvier dernier, les troupes de la junte birmane entraient dans Manerplaw, forteresse et symbole de la résistance, ou du moins dans ce qui en restait. Des cendres, c’est tout ce qui demeure de ce qui fut le quartier général karen pendant plus de vingt ans.
Un gazoduc qui doit prochainement traverser la région du Tenasserim aurait motivé et précipité l’attaque de Manerplaw, afin de mater la rébellion irréductible des minorités ethniques [1] ; ces dernières présentent un certain danger pour la viabilité de l’entreprise.
Ce futur pipeline sera une artère économique vitale pour les dictateurs birmans et une manne de profits pour la société française Total qui assurera son exploitation. Hasard du calendrier ? Il n’en demeure pas moins qu’à peine une semaine après la chute de Manerplaw, Khin Maung Thein, le ministre de l’Energie birman, "sablait le champagne" le 2 février à Bangkok avec le premier ministre thaïlandais et le président de la Petroleum Authority of Thaïland, ainsi qu’avec les représentants de compagnies pétrolières (Jean-Marie Beuque pour Total et Marty Miller pour Unocal) lors de la signature définitive d’un contrat de vente concernant une énorme quantité de gaz naturel. Cette poche de gaz que Total évalue à plus de quarante milliards de mètres cubes, sera exploitée off-shore dans les eaux territoriales birmanes.
La destruction de Manerplaw est sans conteste une victoire importante pour les généraux de Rangoon [2] ; et une sérieuse défaite pour la KNU (Karen National Union), l’un des plus anciens groupes de guérilla au monde, qui lutte pour son autonomie. Depuis 1948, date de l’indépendance de la Birmanie, ce groupe ethnique n’a jamais reconnu le pouvoir de Rangoon, encore moins la dictature qui sévit depuis 1962.
Après les sanglants événements de 1988 (qui, selon le "New York Times", firent un nombre de victimes supérieur à celui de l’écrasement du "printemps de Pékin"), le pouvoir en place procéda à un toilettage du pays. L’organe dirigeant s’autoproclama SLORC, State Law Order and Restoration Council (Conseil de restauration de la loi et de l’ordre), changea le nom du pays en Myanmar, celui de la capitale en Yangon, arrêta et tortura des milliers d’opposants. Plusieurs d’entre eux furent froidement abattus lors d’exécutions sommaires (voir le rapport d’Amnesty International).
A la surprise générale, le SLORC organisa des élections libres en 1990. L’opposition menée par la NDL (National Democratic League), le parti d’Aung San Suu Kyi, remporta le scrutin avec plus de 80% des suffrages. Malgré le désaveu des urnes, le SLORC ne céda pas la place à la nouvelle majorité. Au contraire, il renforça son pouvoir en intensifiant la répression.
Depuis, la Birmanie vit dans la crainte et l’opposition est réduite au silence, au maquis ou à l’exil. Aung San Suu Kyi, fille d’Aung San (artisan de l’indépendance et héros national), est emprisonnée dans sa maison de Rangoon depuis juillet 1989.
En 1991, elle reçut le prix Nobel de la paix pour sa lutte non violente, qui puise ses racines dans la philosophie de Gandhi. Hélas ! cette récompense sonne plutôt comme un prix de consolation. Ni sa libération, ni l’amélioration politique de son pays ne sont en vue.En 91-92, quatre divisions de la Tatmadaw, l’armée de la junte, participèrent à une vaste offensive de plusieurs semaines contre le QG karen de Manerplaw. Sans succès.
La fin de Manerplaw
La chute de Manerplaw n’est pas seulement un échec pour la KNU, mais aussi pour les nombreuses autres organisations dissidentes qui s’y étaient réfugiées, notamment le gouvernement démocratique birman en exil, dirigé par Sein Win (cousin d’Aung San Suu Kyi) et le groupe de la All Burnam Students Democratic Front (ABSDF). Ce bastion, avec sa concentration de guerriers karen, de forces démocratiques comprenant des étudiants, des politiciens et des intellectuels, fut une épine permanente pour les leaders du SLORC.
Cette place forte procurait aussi un refuge pour les civils fuyant les excès meurtriers de la Tatmadaw. Depuis 1974, Manerplaw servit de plate-forme aux opposants birmans qui informèrent librement le monde extérieur sur les excentricités de Ne Win (l’ancien dictateur, dont on pense qu’il tirerait toujours les ficelles du pouvoir), puis du SLORC.
Depuis la campagne militaire manquée du SLORC en 91-92, plusieurs de ses bataillons restèrent dans la région afin de se familiariser avec la jungle encaissée, qui offre de nombreuses défenses naturelles pour les rebelles.
La tentative de janvier fut enfin la bonne pour les troupes du SLORC, grâce notamment à l’implosion de la KNU qui joua un rôle déterminant dans ce succès. En fait, la crise couvait depuis l’attaque de la Tatmadaw d’il y a trois ans. A l’époque, plusieurs centaines de Karen posés en première ligne furent tués ou blessés en tenant tête à l’armée de Rangoon.Après le retrait de l’ennemi, ils se demandèrent pourquoi ils avaient payé un tel tribut en vies humaines pour défendre le QG de leurs leaders... chrétiens.
Parallèlement, le SLORC déclara suspendre toutes ses opérations militaires contre les Karen et les autres groupes d’insurgés. Le moral des troupes de la KNU déclina alors progressivement. Pendant cette période, nombre de familles karen commencèrent à voir d’un mauvais oeil que leurs fils servent de chair à canon et ils les envoyèrent plutôt dans les monastères bouddhistes pour en faire des moines. La KNU se trouva alors en porte-à-faux avec ses membres bouddhistes.
En décembre 1994, la branche militaire de l’organisation politique de la DKBO (Democratic Karen Buddhist Organisation), hostile à la KNU, entra en conflit contre le leadership chrétien, provoquant un schisme au sein de la communauté karen. Les membres de la KNU ainsi que plusieurs spécialistes affirment que la DKBO est une création de la junte, qui a pourri le mouvement karen de l’intérieur, en bénéficiant du soutien discret du SLORC. Il semble que les généraux de Rangoon ont su exploiter les dissensions parmi les Karen et mettre en pratique le fameux adage, diviser pour mieux régner.
Rompant son propre cessez-le-feu en se lançant à l’attaque de Manerplaw, l’armée du SLORC prit les rebelles par surprise. Les membres dissidents de la DKBO, guidant les troupes du SLORC à travers des passages secrets, et les points faibles des défenses du camp de la KNU ont servi de cheval de Troie.
Le SLORC affirme ne pas avoir rompu son cessez-le-feu et avoir seulement servi de soutien logistique aux forces de la DKBO engagées contre la KNU. Un officier de la KNU proteste du contraire en soulignant dans le fracas des explosions : "Comment la DKBO a-t-elle pu déployer autant de troupes et d’artillerie lourde ? Elle n’a pas plus de quatre cents hommes ! Comment ont-ils pu lancer une attaque sur trois positions simultanément ?"
Selon les observateurs sur place, plus de dix mille soldats de la Tatmadaw auraient prit part à l’assaut final. Si la junte dément toute implication directe dans cette attaque, c’est sans doute pour mystifier une fois de plus la communauté internationale et éviter d’embarrasser ses "alliés" de l’ASEAN (Association des pays du Sud-Est asiatique), mais aussi afin de rassurer les autres groupes ethniques sur ses sincères (?) intentions de réconciliation nationale pour les attirer vers la table des négociations.
La plupart des minorités ethniques refusent toujours de traiter individuellement avec le SLORC, prétextant que cela ne fera que les diviser et les affaiblir. Peu de temps avant l’offensive sur Manerplaw, le leader de la KNU, le général Bo Mya, affirmait dans la revue de la DAB (Democratic Alliance of Burma) : "Le SLORC n’est pas sincère. Tout ce qu’il souhaite, c’est d’agir par les armes, pas d’aborder les problèmes politiques. Si des négociations doivent avoir lieu, elles doivent se faire dans un pays neutre ou alors en Birmanie sous les auspices de l’ONU. Jusqu’à présent le SLORC ne l’entend pas de cette oreille. Aussi il n’y a pas de solution en vue. Nous sommes dans une impasse."
Consécutivement à quatre jours de bombardements intensifs et à une position de plus en plus intenable, l’état-major de la KNU décidait d’une retraite et de la destruction de sa propre base pour empêcher les troupes du SLORC de s’y établir. "Si nous devons partir, nous ne voulons pas que les soldats du SLORC puissent profiter de nos installations et y rester", explique un officier de la KNU.
D’autres rumeurs disent que la retraite aurait été décidée pour ménager les forces armées, nécessaires pour le futur. La KNU déplore une trentaine de combattants tués dans ses rangs durant les combats. Les leaders politiques du QG karen et les civils des alentours ont précédé la plupart des rebelles en Thaïlande où ils ont trouvé "asile".
Précarité des réfugiés
Un flot de réfugiés se déverse chaque jour sur les rives thaïlandaises. La majorité d’entre eux est regroupée en face de la confluence des rivières Salween et Moei. La jungle de Thaïlande est devenue un havre pour des milliers d’entre eux. "Nous craignons les obus birmans, alors nous avons évacué nos foyers par sécurité", entend-on souvent.
Selon les équipes humanitaires sur place, il y aurait sept mille à dix mille personnes qui ont fui l’âpreté des combats et les représailles de l’armée de la junte. Sur le terrain, quelques french doctors de l’aide humanitaire parent au plus pressé. Ces derniers étant, comme toujours, fidèles au poste pour venir soulager les politiques souvent irresponsables des gouvernements occidentaux dans le tiers-monde. Un officier des forces rebelles étudiantes de l’ABSDF ironise : "La France veut se donner bonne conscience alors qu’elle coopère avec les tyrans de Rangoon à travers la société Total."
Le camp improvisé accueille un fermier qui a faussé compagnie aux sbires de la junte. Il raconte comment il a été forcé de porter un poids inhumain de munitions pendant des jours à travers les montagnes, pour le compte de l’armée birmane. Les plaies purulentes sur son dos, ses épaules et ses poignets sont les stigmates qui témoignent de la peine qu’il a endurée.
Bien que les réfugiés aient emmené avec eux quelques affaires et des vivres pour quelques jours, les maladies (on compte de nombreux cas de dysenterie) et le manque d’hygiène posent déjà un sérieux problème. Ils se préparent pour un long exil, bien qu’ils aient été regroupés dans des zones temporaires.
Des messages radio interceptés laissent à penser que les combats pourraient durer jusqu’à la saison des pluies, voire au-delà. Cependant, leur sort demeure entre les mains des autorités thaïes, qui voient dans ce nouvel afflux d’exilés un fardeau supplémentaire. Il semblerait que la Thaïlande ne peut régler ce problème humanitaire sans aide extérieure. De plus, les secours sur le terrain craignent que l’acheminement de l’aide humanitaire soit entravée.
Plus grave : certaines autorités parlent de refouler ces réfugiés purement et simplement : "Nous les renverrons en Birmanie sans attendre la fin des combats", a affirmé Sanan, le ministre de l’Intérieur thaïlandais. Il ajoute : "Nous assisterons seulement les blessés et les malades, et nous les renverrons immédiatement une fois qu’ils seront sur pied."
Pour se justifier, il explique : "A mon avis, c’est un problème militaire et non politique. Si cela était d’ordre politique, nous leur accorderions protection. Mais ce n’est pas le cas, aussi nous ne pouvons tolérer qu’ils s’installent ici indéfiniment." Entre-temps, le gouvernement thaïlandais a fait marche arrière et donne des garanties concernant la sécurité des réfugiés. Mais pour combien de temps ?
L’année dernière, des centaines d’exilés de la minorité ethnique mon, qui avaient trouvé refuge en Thaïlande, furent rapatriés contre leur gré dans le camp d’Halockani, en territoire birman. Malgré les promesses du SLORC ses troupes attaquèrent ce camp en juillet 1994 et firent plusieurs victimes. Aujourd’hui, l’UNHCR (Haut Comité des réfugiés des Nations unies) craint que le précédent d’Halockhani se répète une fois que les feux des combats et de l’actualité se seront tus.
Avec les soldats du SLORC qui les attendent par-delà la frontière, une pression internationale est le seul espoir qui reste pour assurer la sécurité de ces réfugiés. Et ce malgré les assurances de Thaksin, l’ex-ministre des Affaires étrangères thaïlandais, qui affirmait avant son départ récent : "Nous ne permettrons pas aux forces de Rangoon de poursuivre et de combattre les Karen sur notre sol." La chute de Manerplaw pourrait donc mettre à l’épreuve le fameux "engagement constructif", les réfugiés karen en Thaïlande faisant l’objet d’un odieux chantage de la part de Rangoon.
La junte accuse Bangkok d’aider les membres de la KNU et menacent d’appliquer des sanctions. Est-ce que la Thaïlande saura résister aux pressions du SLORC, sans mettre en péril sa politique d’engagement constructif ? Là est toute la question.
Dégager la voie pour les investisseurs étrangers
La Thaïlande convoite le gaz et le pétrole de son voisin birman pour soutenir les besoins énergétiques de sa croissance industrielle, qui atteint les 19% par an. Pour justifier sa coopération avec un régime constamment montré du doigt par de nombreuses organisations internationales, le pouvoir thaïlandais plaide, via l’ASEAN, que seul un engagement constructif pourra permettre à la Birmanie de renouer avec les valeurs du monde civilisé et de rejoindre la "société des nations".
Selon lui, cet engagement constructif devrait s’effectuer à travers une coopération économique et financière avec les généraux de Rangoon. Les bienfaits économiques aidant, cela permettra à terme de rétablir la bonne santé publique de la Birmanie. Cependant, certains ne sont pas aussi crédules. Comme, par exemple, le prix Nobel de la paix Desmond Tutu, qui critique cette politique prônée aussi bien par la Thaïlande que par Singapour et l’Indonésie (entre régimes autoritaires on se comprend !).
Il est, sans ambiguïtés, favorable à de dures sanctions contre le pouvoir birman. "Ce n’est pas un "engagement constructif" qui a permis la libération de Nelson Mandela et le rétablissement de la démocratie en Afrique du Sud, mais bel et bien des pressions et des sanctions économiques internationales."
D’autre part, le gouvernement illégitime birman a un besoin pressant de capitaux étrangers pour reconstruire un pays ruiné par plus de trente ans d’économie collective et autarcique, mais aussi pour renforcer son pouvoir militaire contre les ethnies séparatistes et les autres groupes d’opposition. De plus, selon "Le Monde diplomatique" (juin 1994), les dirigeants du SLORC auraient impérativement besoin des devises des investisseurs étrangers pour blanchir l’argent de la drogue.
Depuis l’arrivée du SLORC au pouvoir, la production d’opium en Birmanie serait passée de huit cents tonnes à deux mille tonnes en 1993 (d’après la société française Spot Images, qui gère les clichés satellite du même nom). Et ce, principalement sur les territoires contrôlés par la junte et ses "alliés" (en l’occurrence les Was, une ethnie d’origine chinoise, qui seraient les nouveaux "drug lords" régionaux).
Pour être plus précis, deux mille cinq cent soixante-quinze tonnes pour cette dernière année, soit une augmentation de 8.000% depuis l’indépendance birmane (cf. Bertil Linner, "Burma in Revolt, Opium and Insurgency since 1948") ! Tout cela représentant un potentiel de plusieurs tonnes d’héroïne sur le marché mondial.
Paradoxalement, Singapour qui condamne et exécute les trafiquants de drogue, semble être pris en flagrant délit de contradiction en apportant un soutien sans réserve à la politique d’engagement constructif envers la "narco-dictature birmane" (expression tirée du Monde diplomatique).
Singapour est le deuxième partenaire économique de la Birmanie, après la Chine, avec un échange commercial annuel d’environ quatre cents millions de dollars, et y aurait investi un total de 293,3 millions de dollars ces dernières années (cf. "Far Eastern Economic Review", chiffre d’octobre 94). Les voies du business et du monde des affaires sont plus que jamais impénétrables.
Depuis 1990, la dictature birmane a investi deux milliards de dollars dans des achats d’armement. Pour un pays qui ne connaît pas d’ennemis extérieurs, cela fait beaucoup ! Au début de cette année un autre contrat portant sur quatre cents millions de dollars de fournitures et d’équipements militaires a été signé avec la Chine, lors de la visite de son Premier ministre Li Peng (le boucher de Tian An Men). On comprend mieux la soif d’argent frais du SLORC.
Comment un pays qui est parmi l’un des dix plus pauvres de la planète et a l’un des plus bas PIB (produit intérieur brut), n’ayant ni le support de la Banque mondiale ni du FMI (Fond monétaire international), a-t-il pu s’offrir le luxe de cette extravagance ? Grâce à l’argent de la drogue ? Certainement pas, répond-on dans certaines chancelleries des ambassades de Bangkok, où l’on qualifie le régime birman, certes de dictatorial, mais pas de "narco-dictature".
Quoi qu’il en soit, malgré les critiques des Nations unies et d’Amnesty International - parmi tant d’autres - qui dénoncent régulièrement la répression et de graves atteintes envers les droits de l’homme, le flot des investissements étrangers ne cesse d’augmenter depuis un an. Malgré les incertitudes qui planent sur le futur de la Birmanie, ce pays pourrait bien devenir le nouveau miracle économique du Sud-Est asiatique.
Certains pays de l’ASEAN ainsi que les multinationales asiatiques et occidentales ne rêvent que de piller les riches ressources naturelles de ce pays. Il est de notoriété que les dictateurs savent brader les intérêts de leur peuple. Aussi, les compagnies étrangères sont tombées sous le charme des sourires des militaires de Rangoon, qui mènent une vaste campagne de séduction en présentant une vitrine de prospérité et de réformes économiques au monde extérieur.
Pétrole et gaz, mines et tourisme sont les secteurs clés qui attirent la cupidité et aiguisent les appétits des sociétés étrangères. Pour réaliser ces projets économiques et les infrastructures qui les accompagnent, la junte n’hésite pas à recourir à une main d’oeuvre forcée.
Selon les estimations d’organisations de droits de l’homme, plusieurs dizaines de milliers de personnes seraient réquisitionnées sur ces charges. Le SLORC prétend que ces travailleurs sont des volontaires. C’est ce que les investisseurs étrangers préfèrent croire, en dépit du contraire. Ainsi, le gazoduc qui traversera la province de Tenasserim sera sans doute opérationnel en 1998 grâce à l’emploi de milliers de travailleurs forcés (et ce, malgré les démentis de Total).
Par quels moyens cette société française entend-elle faire respecter des conditions de travail acceptables dans un pays où la législation du travail est inexistante et son régime notoirement connu pour sa brutalité ?
Ce gazoduc générera une source presque inépuisable de profits pour les tyrans de Rangoon. On estime ce "ballon d’oxygène" pour la junte à deux milliards de francs annuels, qu’elle aura à partager avec Total et la société américaine Unocal. Selon les experts, sa mise en service permettra à la dictature birmane de tenir encore des années en cas de dures sanctions internationales.
Aung San Suu Kyi, qui avait sans doute pressenti le danger, avait critiqué l’attitude des sociétés étrangères venues signer des contrats avec le SLORC : "Venir faire du business ici, alors que c’est une question de vie ou de mort pour nous tous..." Déclaration faite lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion du nouvel an bouddhiste, le 18 avril 1989.
Le futur incertain de la lutte contre la dictature
Un règlement politique n’ayant pu aboutir jusqu’à présent, et afin de hâter et de sécuriser le projet du pipeline et l’acheminement futur du gaz, le SLORC a engagé une opération de nettoyage visant les poches insurrectionnelles.
L’attaque contre Manerplaw s’inscrit dans cette logique. En frappant la tête de l’un des groupes rebelles les plus virulents, le SLORC espère avoir semé le doute et désorganisé l’ensemble de l’opposition qui lutte contre son autorité.
Fortes de leur avantage militaire et psychologique, les troupes du SLORC sont maintenant sur le point de fondre sur les derniers foyers de la résistance karen pour les éliminer. Bien que les membres de la KNU aient fait voeu de continuer la lutte contre le régime répressif de Rangoon, il est possible que cette défaite ait ébranlé l’alliance entre les divers groupes rebelles.
Déjà les insurgés kachins ont signé un accord de cessez-le-feu avec le SLORC en 1989 (tout en conservant néanmoins leurs armes). Les Mons et les Karen résistent encore, mais ont accepté des contrats préliminaires avec la junte. En 1990 les Mons avaient perdu leur QG de la passe des Trois-Pagodes, sur la frontière thaïe.
Il y a quelques jours, lors d’une réunion clandestine en Thaïlande, l’état- major de la KNU et les responsables de l’opposition ont attesté que la perte de leur QG est un sérieux revers mais ne signifie pas la fin. Ils sont déterminés à montrer qu’ils n’ont pas perdu la faculté d’agir de concert et que leur organisation est intacte.
U Tin Aung, vice-président de la NDL, affirme : "Nous avions prévu que nous pouvions tomber n’importe quand. Aussi, nous avions établi un plan d’urgence et n’avons aucun problème pour continuer notre action à l’intérieur de la Birmanie."
Khaing Soe Naing Aung, secrétaire du National Democratic Front, se veut rassurant : "La perte de Manerplaw est seulement la perte d’un territoire, pas la fin de la révolution. L’opposition se regroupera à nouveau et continuera de combattre."
Une nouvelle ère a commencé pour les rebelles. David Tharckabaw, porte-parole de la KNU précise : "La future stratégie est d’abandonner une guerre de positions, pour une vraie guérilla mobile. Notre objectif est de frapper les intérêts du SLORC où qu’ils soient, par une série d’actions de sabotage."
Déjà plusieurs des rebelles sont retournés en Birmanie pour tenter d’établir un nouveau quartier général dont le lieu reste secret. D’autres sont partis prêter main forte à leurs frères karen qui tiennent toujours la base de Kawmoora, malgré de violents bombardements. Ces derniers jours, les troupes du SLORC y auraient subi de lourdes pertes.
Cette lutte qui dure maintenant depuis plus de quarante ans est chèrement payée par tous les composants du peuple birman. Sans exception. Seules des mesures effectives de la part de la communauté internationale pourraient forcer la junte à libérer Aung San Suu Kyi et restituer le pouvoir à un gouvernement civil et démocratique.
Les Nations unies seraient bien inspirées de dissuader les investisseurs étrangers qui soutiennent de manière directe ou indirecte un régime qui appartient à une époque révolue et qui fait honte à l’humanité.
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