« La Turquie prend position sur une possible guerre en Irak »

Turkey takes a stand on possible Iraq war
Gulf News (Dubaï)

[AUTEUR] Patrick Seale est un analyste et auteur réputé sur le Proche-Orient. Il a notamment publié des ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Syrie et une biographie d’Abu Nidal.

[RESUME] La Turquie a pris une option courageuse en tentant de rassembler les pays musulmans modérés pour faire front commun contre le guerre en Irak. Dans cette optique, les ministres des affaires étrangères de la Turquie, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de la Syrie et de la Jordanie vont se rassembler pour déclarer l’opposition à la guerre des pays du Proche-Orient.
Malheureusement, il y a des limites au-delà desquelles la Turquie ne peut pas aller dans la dénonciation des politiques israélienne et états-unienne en raison de la dépendance d’Ankara vis-à-vis de ces États. La Turquie a quand même réussi à empêcher l’arrivée de 80 000 militaires états-uniens, exigée par Wolfowitz. Elle n’accueillera que 10 à 20 000 hommes, ce qui est insuffisant pour ouvrir un front au nord de l’Irak. Elle a également averti qu’elle n’accepterait aucune attaque contre l’Irak sans autorisation du Conseil de sécurité.
La Turquie a perdu entre 50 et 100 milliards de dollars depuis l’embargo contre l’Irak. Elle craint que la prochaine guerre ne soit encore plus dévastatrice pour son économie. Cette crainte est partagée aussi bien par l’AKP que par les militaires. Ces derniers sont par ailleurs particulièrement sensibles à la question de l’unité irakienne. En effet, ils craignent que la création d’un Kurdistan indépendant ne réveille les tensions dans le Kurdistan turc et la seule chose qui pourrait les rassurer est le droit d’occuper après la guerre le nord de l’Irak.
Les politiciens conservateurs et sionistes aux États-Unis commencent à s’agacer de l’attitude turque. Abdullah Gül et Tayib Recep Erdogan ont donc besoin du soutien des pays européens et arabes pour maintenir leur position.

« Une épée rapide et terrible »

A terrible swift sword
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Strobe Talbott est président de la Brookings Institution. Il a été vice secrétaire d’État dans l’administration Clinton et le premier directeur du Yale Center for the Study of Globalization.

[RESUME] George W. Bush agit comme si la guerre en Irak était inévitable tout en prétendant le contraire. Bien que certains soulignent que cette guerre est dangereuse, que Ben Laden court toujours et que la non-résolution du conflit israélo-palestinien le renforce, le président agit comme s’il pensait que la chute de Saddam Hussein résoudrait tous ses soucis au Proche-Orient et démontrerait la détermination de Washington à combattre toute menace pour la paix du monde.
Si la guerre a lieu, Saddam Hussein essayera d’impliquer Israël pour provoquer une réaction du monde arabe, mais le principal danger n’est pas là. En effet, on peut imaginer que Musharraf pourrait être renversé au Pakistan par une faction radicale qui s’appuierait sur les manifestation contre la guerre et qu’en réaction l’Inde appliquerait sa vision des frappes préventives, provoquant l’escalade. Même si la guerre reste localisée, les conséquences seront lourdes pour les États-Unis qui devront occuper l’Irak pendant longtemps.
Le poids de l’occupation serait moins lourd si les États-Unis étaient aidés par d’autres États. Cela ne sera possible que si les alliés n’ont pas l’impression d’être méprisés par Washington. Voilà pourquoi Bush doit être moins impatient et s’appuyer sur le Conseil de sécurité. Il doit laisser plus de place à la négociation et à la concertation sur tous les problèmes du monde et pas uniquement sur l’Irak. Si Bush change d’attitude, les États-Unis auront de nouveaux alliés.

« Le poids de la vérité »

The Burden of truth
Al Ahram Weekly (Égypte)

[AUTEUR] Ayman El-Amir est ancien correspondant d’Al-Ahram à Washington. Il a été directeur de la radio-télévision de l’ONU à New York.

[RESUME] Le Conseil de sécurité de l’ONU recevra le 27 janvier le rapport des inspecteurs de l’ONU sur le désarmement de l’Irak et, sauf surprise, il ne devrait pas comporter de preuves de la culpabilité irakienne. Vu la récente amélioration de la collaboration irakienne avec les inspecteurs, la majorité des membres du Conseil de sécurité ne devrait pas vouloir condamner l’Irak. Toutefois, les États-Unis ont présenté Bagdad comme coupable. Ils ont affirmé être prêts à attaquer l’Irak, seuls s’il le faut. Aussi, pour calmer leur impatience, le Conseil de sécurité pourrait lancer un ultimatum à Saddam Hussein donnant ainsi un nouveau délai aux inspecteurs.
C’est ce que souhaite Hans Blix. C’est pour cela qu’il demande à l’Irak d’être plus coopératif et qu’il a entrepris une tournée des capitales européennes. Il s’appuie sur les récentes découvertes des inspecteurs qui prouvent que les inspections fonctionnent.
Pour leur part, les États-Unis utilisent la non-collaboration irakienne pour tenter de démontrer que Saddam Hussein cache quelque chose. Toutefois, Washington ne peut pas rester sourd à l’accroissement de la contestation internationale à sa politique et a été obligé de présenter un exil de Saddam Hussein comme une possibilité d’éviter la guerre. On ne voit pas bien pourtant en quoi le départ du dirigeant irakien ferait diminuer une menace qui réside dans un armement.
Dans ce contexte, le Conseil de sécurité n’autorisera pas une action militaire. Les États-Unis vont devoir choisir entre l’alignement sur le consensus international sur le désarmement de l’Irak ou l’action unilatérale pour arriver à leur but : renverser Saddam Hussein.

« Les conditions requises pour la réforme »

Requisites of reform
Al Ahram Weekly (Égypte)

[AUTEUR] Mustafa El-Feki est président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale égyptienne.

[RESUME] Le Proche-Orient et le monde vivent une période d’instabilité. Cette situation a entraîné certains dirigeants de la région à s’interroger sur la réforme des régimes arabes. Cette interrogation est également la conséquence de la connexion entre le terrorisme et certains régimes sous lesquels demeurent l’oppression, la pauvreté et l’ignorance.
Cette réforme doit se baser sur un certain nombre de principes :
 Il faut plus de transparence et de clarté dans la vie politique. Les réformes doivent être menées en employant des moyens légitimes.
 Les réformes économiques et politiques ne fonctionneront que si elles peuvent s’appuyer sur une modification de la philosophie des populations et dans un environnement adéquat.
 La culture, l’éducation et les médias auront un rôle central dans ce domaine.
 La réforme doit s’appuyer sur des succès économiques et sur une démocratisation et pas sur l’un ou l’autre.
 Il faut cesser de mettre la réforme sous condition d’une résolution du conflit israélo-palestinien.
Sans ces réformes nous continuerons à être présentés comme des arriérés et des fanatiques, c’est pourquoi elles sont indispensables. Cependant, elles doivent venir des pays arabes eux-mêmes et ne pas être imposées par une superpuissance.

« Comment on a laissé les mains libres au boucher de Bagdad »

How the Butcher of Baghdad was given free rein
The Age (Australie)

[AUTEUR] Jeri Laber est le fondateur d’Human Rights Watch.

[RESUME] Aujourd’hui, alors que Slobodan Milosevic est jugé pour crime contre l’humanité et génocide, on peut regretter qu’il n’en soit pas de même pour Saddam Hussein. Il est pourtant une menace pour son propre peuple et pour le monde et il est suspecté de posséder des armes de destruction massive. Human Rights Watch avait demandé au début des années 90 qu’il soit traduit devant un tribunal international pour génocide contre les Kurdes irakiens, mais les dirigeants mondiaux n’avait pas eu le courage de le faire.
Dans le cas de Milosevic, le procès a été difficile et long à mettre en place, mais suite à sa défaite militaire, nous y sommes finalement parvenu. La situation est différente avec Saddam Hussein malgré les 18 tonnes de documents gouvernementaux irakiens attestant de la campagne de génocide délibérée à Anfal en 1988 qui a entraîné la mort de 100 000 Kurdes. En effet, la France et la Russie, soucieuses de leurs intérêts commerciaux avec l’Irak, et la Chine, qui ne veut pas créer un précédent qui lui serait préjudiciable dans l’affaire tibétaine, ont bloqué l’établissement de ce tribunal. Pendant la guerre, les entreprises états-uniennes, allemandes et d’autres pays européens ont équipé Saddam Hussein. Le gouvernement états-unien avait tacitement soutenu l’Irak pour lutter contre la propagation du fanatisme iranien. C’est pourquoi aucun gouvernement qui craignait de porter atteinte à ses contrats financiers ou à s’aliéner les pays arabes n’a osé soutenir l’inculpation de Saddam Hussein.
Il n’est pas trop tard cependant et même si la Cour Criminelle internationale n’a pas de juridiction rétroactive, il est possible de créer un tribunal ad hoc. Si la communauté internationale avait inculpé le dictateur irakien plus tôt, la crédibilité de la lutte contre les armes de destruction massive irakiennes serait aujourd’hui renforcée.

« Le monde a besoin d’une interdiction totale des armes nucléaires »

The world needs a total ban on nuclear arms
Asahi Shimbun (Japon)

[AUTEURS] Richard Falk est professeur à l’Université de Californie à Santa Barbara. Il est membre de la Nuclear Age Peace Foundation. David Krieger est fondateur et président de cette fondation.

[RESUME] La guerre n’est pas une solution pour faire face à la menace de la prolifération nucléaire et seules les décisions politiques permettront de résoudre ce problème.
Bien que regroupés de façon provocante sous la dénomination « Axe du Mal », l’Irak et la Corée du Nord ne sont pas traités de la même façon. L’administration Bush tente de justifier cette différence de traitement par le fait que Saddam Hussein a déjà envahi des pays voisins deux fois et qu’il serait donc plus dangereux. Pourtant, le dirigeant irakien sait bien que toute utilisation d’une arme de destruction massive entraînerait son anéantissement et il n’est pas suicidaire.
Aujourd’hui, l’administration Bush s’est posée en arbitre du droit de posséder ou non des armes nucléaires et développe une politique militariste pour tenir ce rang. Il vaut pourtant mieux privilégier la discussion et la concertation si on veut traiter du problème des armes de destruction massive et cesser d’isoler la Corée du Nord et de menacer l’Irak. Pour être cohérents, les États-Unis devraient également faire pression sur Israël pour qu’il détruise ses stocks d’armes nucléaires.
Pendant 30 ans, les États-Unis et les autres puissances nucléaires n’ont pas respecté leur part du traité de non-prolifération nucléaire. Si Washington voulait vraiment prouver sa détermination à lutter contre la prolifération nucléaire, il devrait proposer une convention internationale interdisant à tous l’arme nucléaire.