Holly Burkhalter est directrice pour la politique états-unienne de l’association Physicians for Human Rights. Elle a auparavant travaillé à la sous-commission aux affaires étrangères sur les questions des Droits de l’homme et des organisations internationales de la Chambre des représentants états-unienne (1981-1983). Cet article a été publié le 5 janvier 2003 par le Washington Post
Les derniers rapports prouvant que les services de renseignements et de police états-uniens utilisent la torture sur les détenus talibans et d’Al Qaïda montrent, une fois de plus, le sort intolérable réservé aux prisonniers de la guerre contre le terrorisme. Durant l’année qui vient de s’écouler, il a été rapporté que les forces spéciales états-uniennes ont livré à leurs alliés locaux des combattants talibans qui se sont rendus et que ceux-ci ont fini assassinés par centaines alors qu’ils étaient en captivité. Des milliers d’autres qui avaient rendu les armes ont été entassés dans les cellules glaciales, insalubres et délabrées de la prison de Shebergan. Les États-Unis détiennent des membres d’Al Qaïda et des talibans captifs indéfiniment, sans accusation ni procès, certains d’entre eux emprisonnés dans des lieux secrets de pays dont on sait que les services de sécurité ont recours à la torture pour mener des interrogatoires en notre nom. Ces pratiques immorales et illégales coûtent cher aux intérêts états-uniens et il faut y mettre un terme immédiatement.
Alors que les États-Unis ont refusé le statut de prisonniers de guerre aux combattants talibans et d’Al Qaïda, l’administration a affirmé à plusieurs reprises qu’elle assurait malgré tout la protection humanitaire légale aux détenus. Le rapport du Washington Post daté du 26 décembre ne va pas dans le sens de cette affirmation. Si avérés, les récits de tabassage, entraves et positions douloureuses, privations de sommeil et bruits stridents (ndt. : bruits insupportables destinés à rompre la résistance psychologique des détenus) infligés aux combattants ennemis capturés par les interrogateurs de la police militaire états-unienne, la CIA et les Forces spéciales représenteraient des violations patentes de l’article 17 de la Convention de Genève, qui mentionne : « Aucune torture physique ou morale ni aucune contrainte ne pourra être exercée sur les prisonniers de guerre pour obtenir d’eux des renseignements de quelque sorte que ce soit. Les prisonniers qui refuseront de répondre ne pourront être ni menacés, ni insultés, ni exposés à des désagréments ou des désavantages de quelque nature que ce soit. »
Plusieurs officiels de l’administration Bush, interrogés dans le cadre du rapport du Washington Post, justifient de telles pratiques comme une manière légitime d’obtenir des informations vitales sur les réseaux terroristes. Or il y a fort à parier que les indications recueillies en infligeant humiliations et souffrances n’ont aucune valeur : terrifiés, désorientés et aliénés par la douleur, les prisonniers sont prêts à dire n’importe quoi pour mettre fin à leurs tourments. Même si l’on obtenait des renseignements significatifs par la violence et la cruauté, le recours à de telles méthodes coûterait aux États-Unis beaucoup plus cher que le bénéfice escompté.
Les premières victimes seraient les conventions humanitaires mondiales. Les Conventions de Genève représentent l’une des réalisations les plus importantes du 20ème siècle. Elles furent difficilement élaborées par des experts militaires, non pas pour rendre la guerre illégale, mais pour minimiser la cruauté abjecte et les souffrances inutiles durant les conflits armés. Même si les atrocités sont toujours monnaie courante en temps de guerre, les normes humanitaires internationales ont, malgré tout, réussi à prendre auprès des belligérants. Torturer ou exécuter un combattant ennemi à terre ou captif est universellement considéré comme un crime de guerre.
Ce n’est peut-être pas le cas pour l’administration de George Bush, dont la guerre au terrorisme est devenue de surcroît une guerre aux lois humanitaires. Son attitude irrespectueuse vis-à-vis des réglementations internationales porte atteinte à l’exemplarité et à l’autorité des Conventions de Genève, avec des conséquences essentiellement ressenties par les populations les plus vulnérables en temps de guerre - les civils et combattants qui se rendent - pour les décennies à venir. Si la plus puissante armée du monde se permet de refuser l’accès au Comité International de la Croix-Rouge, qui est le garant international de la santé et de la sécurité des prisonniers de guerre, alors la protection des combattants capturés partout dans le monde est compromise. Si l’unique superpuissance mondiale ignore le meurtre de centaines de prisonniers par nos alliés locaux et les conditions invivables de détention pour des milliers d’entre eux, où pouvons-nous espérer voir des prisonniers traités humainement comme le prescrit la loi internationale ?
Le prestige et l’influence des États-Unis à travers le monde comptent aussi parmi les victimes de ces pratiques. Si l’administration Bush ne fait pas immédiatement la lumière sur ces méthodes, en y mettant un terme et en poursuivant en justice les responsables, cela encouragera l’indignation du monde entier et exacerbera la furie de ceux qui souhaitent le pire pour notre pays. De plus, les méthodes auxquelles ont recours les interrogateurs états-uniens et leurs alliés ont aussi été dénoncées par notre propre gouvernement à propos d’autres pays. Peu d’entre eux nous écouteront dorénavant.
Enfin l’un des prix à payer sera aussi le risque que cette attitude fait peser sur les militaires états-uniens. Si les pouvoirs ennemis adoptent ces pratiques, nous pouvons nous attendre à voir des prisonniers de guerre états-uniens retenus dans des lieux secrets, battus, affamés et désorientés. Nous pouvons nous attendre à ce que des centaines d’entre eux soient tués après s’être rendus, comme ces soldats en Afghanistan, et des milliers d’autres entassés dans une prison où les conditions sanitaires provoquent souvent des morts.
Bien entendu, le respect des Conventions de Genève par les États-Unis ne garantit pas la réciprocité d’attitude de combattants aussi brutalement imprévisibles et inhabituels que ceux d’Al Qaïda. Mais cela peut donner aux États-Unis une base morale et politique pour inciter d’autres gouvernements à dénoncer les abus commis contre les prisonniers états-uniens.
Traiter les soldats capturés humainement ne devrait pas être une tâche difficile pour les États-Unis lorsqu’ils font la guerre ; c’est tout juste le minimum. A ce jour, l’administration Bush a échoué à ce test rudimentaire de professionnalisme militaire et en agissant ainsi s’est salie les mains, sans parler de sa violation patente de la réglementation internationale.
Traduction : H. D. pour le Réseau Voltaire.
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