LE PRESIDENT - Bien, Mesdames, Messieurs, j’avais le très grand plaisir de recevoir aujourd’hui M. Ruud LUBBERS, qui est pour moi un collègue et un ami de longue date. On a siégé autour des même tables pendant longtemps et j’ai toujours eu pour lui beaucoup d’estime, de respect et d’amitié. Je suis heureux d’avoir aujourd’hui l’occasion de le rappeler.
Alors, aujourd’hui, je le recevais au titre du HCR. J’ai tenu d’abord à exprimer toute l’appréciation de la France pour l’action qui est menée par le HCR et par le Haut Commissaire, qui est une action à la fois efficace face à un problème dramatique en général, des situations très difficiles, une action généreuse et une action intelligente.
Nous avons en particulier évoqué la contribution de la France au HCR, M. LUBBERS se plaignant depuis déjà quelque temps d’une contribution volontaire, d’une partie volontaire de la contribution, qu’il estime tout à fait insuffisante par rapport à la fois aux moyens et aussi à la vocation de la France. Je lui ai dit que, s’agissant du problème particulier de l’Iraq, nous répondrions bien volontiers à sa demande en débloquant immédiatement 1 million d’euros et que, plus généralement, nous souhaitions, nous étions tout à fait favorables à une augmentation de notre contribution. Mais nous souhaiterions qu’elle se fasse au travers d’une augmentation générale des contributions obligatoires plus que par le biais des contributions volontaires. Nous avons là un problème de doctrine. Je ne dis pas que nous avons raison mais c’est notre position.
Par ailleurs, nous avons évoqué l’effort engagé par M. LUBBERS pour associer les grands secteurs économiques, les grandes entreprises en particulier, à l’effort de solidarité en ce qui concerne le problème dramatique des réfugiés.
Nous avons ensuite parlé naturellement de l’Afrique, d’abord parce que c’est un continent où, hélas, il y a un grand nombre de réfugiés mais aussi parce que le HCR suit de très près les discussions qui sont en cours pour la préparation du sommet du G8 à Evian qui, à son ordre du jour, vous le savez, a en particulier le problème du NEPAD. Le HCR est associé naturellement à cette réflexion et, d’ailleurs, dès demain je crois, M. LUBBERS a des entretiens avec M. CAMDESSUS. Dans cet esprit, je lui ai dit que la contribution du HCR à cette réflexion et à cette avancée du NEPAD était essentielle et que nous tenions le plus grand compte, ce qu’il savait naturellement, de la contribution du HCR à cette réflexion.
Enfin, nous avons parlé de l’Iraq, chacun le comprendra bien. Je ne reviendrai pas, naturellement, sur les circonstances du déclenchement de ce conflit, la position de la France est connue. J’ai dit, dès le début des hostilités, que notre souhait était que celles-ci soient les plus brèves et les moins meurtrières possible. Mais avant même la fin des opérations militaires sur l’ensemble du territoire iraquien, il est temps de commencer dès maintenant à préparer les conditions d’un avenir meilleur pour les Iraquiens. La priorité, aujourd’hui, c’est de venir en aide aux populations civiles qui ont été si lourdement affectées, éprouvées, par la dictature et par la guerre, qui ont besoin aujourd’hui de la solidarité internationale. L’adoption il y a quelques jours de la résolution 1472 par le Conseil de Sécurité, autorisant la reprise du dispositif pétrole contre nourriture, a constitué dans cet esprit une étape importante. Ce qu’il faut désormais, c’est que la communauté internationale dans son ensemble se mobilise et que l’aide arrive effectivement en Iraq auprès des populations, le plus rapidement possible. Et la France prendra naturellement toute sa part, comme le Commissariat aux Réfugiés, dans cet effort.
Au-delà de l’objectif commun de tous, qui doit être de créer au plus vite les conditions qui permettront aux Iraquiens de recouvrer leur pleine souveraineté et de reprendre en main leur destin, il y a cette nécessité d’être associés dans cet effort, que chacun s’associe dans cet effort.
Après une phase nécessaire de sécurisation, s’ouvrira naturellement le temps de la reconstruction dans lequel la sagesse commande que les Nations Unies jouent un rôle central. Elle seule dispose, en effet, de la légitimité nécessaire pour engager la reconstruction administrative, économique, politique de l’Iraq sur des bases solides qui soient incontestables et qui permettent d’assurer la stabilité future non seulement de ce pays, de l’Iraq, mais aussi de cette région traumatisée depuis longtemps. Ce point de vue, d’ailleurs, est très largement partagé dans le monde et en particulier, vous le savez, depuis le dernier sommet à Bruxelles, par l’Union européenne.
Je m’entretiendrai aussi de ces sujets, après M. LUBBERS, jeudi, avec le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi ANNAN, qui doit en principe passer ce jour-là à Paris et j’aurai l’occasion également d’évoquer ces problèmes vendredi à Saint-Petersbourg, où je suis invité avec le Chancelier SCHROEDER par le Président POUTINE pour faire un tour d’horizon de la situation et voir comment nous poursuivons cette concertation établie entre nous depuis déjà plusieurs mois. Nous aurons donc l’occasion d’évoquer les suites du conflit en Iraq et plus généralement dans cette région.
Je vais maintenant laisser la parole à M. LUBBERS.
M. Ruud LUBBERS - Merci. Seulement quelques mots parce que presque tout a déjà été dit par le Président Chirac qui est un vrai ami. Nous nous connaissons déjà depuis des décennies et maintenant, dans une autre capacité, je suis ici comme Haut Commissaire pour les réfugiés. C’est lié, comme vous le savez, aux Nations Unies.
En parlant d’Iraq, pour moi, le plus important, c’est sitôt que possible de nouveau un Iraq des Iraqiens pour les Iraqiens. Ce n’est pas une question d’organisation par les Nations Unies, ni par Washington, c’est pour moi une question d’un pays, par les Iraqiens, pour les Iraqiens. Et, pour moi, c’est très important car cela pourra donner demain aussi la possibilité de rapatrier beaucoup des Iraqiens qui sont maintenant dehors, dans d’autres pays, des pays voisins. Il y en a un grand nombre aussi en Europe. Je ne parle pas des Iraqiens qui sont déjà ici depuis plusieurs années, tout à fait intégrés, mais il y en a beaucoup qui ne sont pas intégrés et l’alternative la plus attractive, c’est de leur donner des possibilités de rapatriement en Iraq. C’est le premier point.
Je vous remercie, Monsieur le Président, et je remercie la France pour un geste de générosité, de participation à l’action humanitaire là-bas, mais il y a d’autres priorités aussi pour le HCR dont je viens d’informer Monsieur le Président, surtout l’Afrique. C’est une priorité et, en Afrique, l’Afrique de l’Ouest où la situation, le problème en Côte-d’Ivoire sont connus. Là, il y a aussi une possibilité de faire des choses humanitaires et je me réjouis de cette contribution, aussi, de la France pour cette action qui me semble clef, clef pour montrer au monde qu’il ne faut pas faire l’erreur de considérer qu’il y a seulement l’Iraq aujourd’hui. Il y a d’autres priorités aussi et surtout en Afrique.
Nous avons parlé du NEPAD, plan d’action pour l’Afrique. C’est vrai, je me réjouis de rencontrer demain M. CAMDESSUS qui est chargé d’un rôle central pour ce plan d’action qui doit être discuté à Evian. Là, il y a une possibilité d’un lien, d’une collaboration étroite entre le G8 et le HCR pour l’Afrique. Il y a des initiatives nouvelles avec lesquelles la Banque mondiale est tout à fait d’accord, cela donne une perspective pour faire des choses.
Et, finalement, je ne me réjouis pas seulement de la contribution financière de la France mais aussi de la collaboration humaine et de temps en temps politique. Enfin, comme Monsieur le Président l’a expliqué, nous avons aussi une action qui me semble très sympathique, qui est liée avec les grandes entreprises en France, mais pas seulement les capitaines d’industries, ce qui est plus important, avec les gens-mêmes qui travaillent dans ces entreprises, les travailleurs. Nous sommes tous des travailleurs et ce sera un lien très sympathique de donner une heure de salaire pour cette action visant à aider les déplacés dans le monde. C’était quelques observations sur une conversation qui pour moi, de nouveau, était très positive. Merci.
QUESTION - Est-ce qu’il peut y avoir un commentaire en ce qui concerne les projets américains d’organisation politique de l’Iraq, de gouvernement provisoire ?
LE PRESIDENT - Je voudrais d’abord remercier le Haut Commissaire de s’être exprimé en Français. Nous avions prévu les moyens de la traduction mais l’élégance naturelle de M. LUBBERS fait qu’il nous dispense de traduction.
Vous connaissez la position qui a été exprimée par le Conseil européen, qui est aussi celle de la France, pour ce qui concerne la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la reconstruction de l’Iraq, politique, économique, humaine, humanitaire. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire, naturellement. Nous pensons que l’ONU doit y jouer un rôle tout à fait essentiel.
QUESTION - Vous avez dit, M. le Président, que la sagesse commandait que l’ONU soit associée, après la phase de sécurisation, à la gestion de l’Iraq. Avez-vous eu l’impression que cette sagesse, justement, était dans les propos que l’on a pu entendre ce matin à Belfast de la part du Président BUSH et de M. BLAIR ?
LE PRESIDENT - J’ai entendu que le Président BUSH considérait que le rôle de l’ONU était, je le cite, je ne crois pas me tromper, "vital". Je partage tout à fait ce sentiment. Il faudra voir ensuite comment les choses, naturellement, s’organisent. Je ne sais pas si le Haut Commissaire veut ajouter un commentaire sur ce point.
M. Ruud LUBBERS - Je pourrais seulement répéter ce que j’ai déjà dit. De mon point de vue, comme Haut Commissaire pour les Réfugiés, le facteur décisif, c’est de créer dès que possible un Iraq pour les Iraqiens eux-mêmes, pour les Iraqiens. Créer un pays qui soit démocratique et qui soit en sécurité pour les populations, pour leur permettre aussi de rentrer en Iraq. On a besoin de beaucoup de choses. Il y a bien sûr la participation des Nations unies et c’est bien sûr le rôle du Secrétaire général, de Kofi ANNAN, d’expliquer ce rôle.
Dans la réalité, il y a toujours le problème transitoire entre les gens qui possèdent les armes et un pays démocratique qui connaît la sécurité. Ce n’est pas facile d’organiser les choses mais le but doit être clair. Le but doit être à mon avis un pays démocratique, comme je viens de le dire, pour les Iraquiens eux-mêmes. Le reste est une question surtout technique. Je ne peux pas imaginer moi-même que les Etats Unis soient là-bas pour dominer de manière structurelle le pays. Il semble clair que le motif, on peut discuter la manière, les instruments, mais le motif, c’était de sécuriser le monde. Et moi, comme membre de la famille des Nations Unies, je suis convaincu que le facteur-clé, c’est d’avoir une démocratie forte des gens eux-mêmes. Alors, l’orientation, ce n’est pas le débat entre le rôle des Nations Unies et le rôle temporaire d’une force militaire, mais c’est le but d’organiser un pays de la manière que j’essaie d’éclaircir un peu. Nous ne sommes pas en ce moment utilisés. Ce doit être possible d’avoir un Iraq démocratique mais je suis convaincu que les Iraquiens eux-mêmes sont capables de le faire.
QUESTION - M. le Président, vous avez dit tout à l’heure qu’à la fin des combats, une phase de sécurisation était nécessaire. Mais est-ce que vous jugez qu’une administration américaine directe de l’Iraq serait illégale au regard du droit international ?
LE PRESIDENT - J’ai déjà répondu à cette question. Je considère que nous ne sommes plus à une époque où un ou deux pays pouvaient assumer le sort d’un autre pays et que, par conséquent, il appartenait à l’Organisation des Nations Unies d’assumer, et elle seule, la reconstruction politique, économique, humanitaire, administrative de l’Iraq.
QUESTION - Je voulais connaître votre réaction à tous les deux concernant la situation humanitaire, aujourd’hui, en Iraq, à savoir que les hôpitaux sont débordés et le fait que l’hôtel qui abrite toute la presse étrangère a été touché par des tirs, ce matin, et qu’il y a des journalistes blessés et morts.
M. Ruud LUBBERS - Je n’ai pas plus d’informations qui ne soient connues par tout le monde et je crois que ce sera plus sage pour moi de ne pas juger des choses. Je n’ai pas le détail de la situation humanitaire en ce moment. Il y a là-bas la Croix Rouge, en premier lieu, et il y a mes amis de l’UNICEF. Et, de temps en temps, ils ont des demandes pour des aides spécifiques et nous essayons de les aider.
Les bombardements, les explosions, pour moi, il me semble mieux de dire que j’ai toujours préféré une solution sans une intervention militaire, c’est clair. C’est toute l’approche des Nations Unies de maîtriser un tel problème avec des casques bleus. C’était l’idée principale mais vous savez qu’il y a eu un blocage de toutes ces discussions au sein du Conseil de Sécurité. Et maintenant, je crois que ce n’est pas vraiment utile de philosopher, d’avoir une philosophie de tout ça, c’est la réalité, celle d’aujourd’hui, et il nous faut, disons, espérer, même peut-être prier, que ce sera aussi court que possible. Merci.
LE PRESIDENT - Vous avez évoqué la mort de deux journalistes et le fait que plusieurs autres aient été blessés. Je voudrais d’abord dire ma consternation et combien je présente à leurs familles, à tous les leurs, mes très sincères et très fortes condoléances. Et, plus largement, je voudrais avoir une pensée pour tous les morts de cette guerre, qu’ils soient militaires ou civils. C’est, comme vient de le dire à juste titre M. LUBBERS, l’une des conséquences des guerres que de conduire à la mort ou à des blessures que l’on porte ensuite tout au long de sa vie. Et c’est la raison pour laquelle je pense que la guerre est toujours la dernière des solutions.
S’agissant de la situation humanitaire, nous ne la connaissons pas très bien, naturellement, surtout que, par définition, elle change en permanence. Mais nous imaginons sans peine qu’elle est mauvaise ou très mauvaise dans tous les domaines et notamment, naturellement, la situation humanitaire des civils, des Iraquiens. C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué tout à l’heure que mon souci aujourd’hui prioritaire, absolu, c’est de créer les conditions nécessaires pour soulager ces misères et apporter l’aide humanitaire qui s’impose. Ce qui suppose naturellement que les moyens soient mis en oeuvre, que ceux qui ont vocation à apporter ces moyens soient mobilisés, qu’il s’agisse de l’ONU, qu’il s’agisse de l’Union européenne, qu’il s’agisse des Etats, qu’il s’agisse naturellement des organisations non-gouvernementales, mobilisés de façon à apporter d’urgence ce qui est nécessaire, ce qui suppose naturellement qu’il y ait une sécurisation minimum et que, par conséquent, une des priorités recherchées par les belligérants aujourd’hui doit être de créer les conditions de sécurité permettant à l’aide humanitaire d’être apportée et distribuée.
Je vous remercie.
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