Inquiet de voir la France soutenir au Conseil de sécurité une prochaine résolution états-unienne sur l’Irak, Youssef Aschkar, ancien président du parti laïque libanais, s’adresse au président Chirac. Il lui demande de tenir bon et de ne pas laisser Washington poursuivre sa fuite en avant : dégager les États-Unis du bourbier irakien, c’est les autoriser à déplacer leur guerre perpétuelle vers d’autres pays du Proche-Orient.
Le 23 septembre 2003
Monsieur le président de la République française,
Le Conseil de sécurité se réunira bientôt pour débattre et voter une nouvelle résolution sur l’Irak, à la demande des États-Unis d’Amérique. La France a fait entendre qu’elle ne recourra pas au veto.
Cependant, la France ne semble pas avoir renoncé à sa vision globale qui s’oppose à celle d’outre-Atlantique et d’outre-Manche. Opposition de fond tant sur les principes qui sous-tendent ces visions que sur les pratiques et les moyens ; opposition sur la légitimité et l’efficacité du processus de la guerre globale et perpétuelle en cours.
Pour leur part, les États-Unis tiennent toujours à leur vision qui ne peut se traduire que par la guerre perpétuelle et idéologique, sorte de croisade, portée, cette fois-ci, à l’échelle mondiale.
Monsieur le président, les États-Unis entendent, par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, alléger leur fardeau militaire et financier en Irak, pour pouvoir porter leur guerre ambulante ailleurs. Comme ils ont déplacé la guerre d’Afghanistan en Irak. Leur actuel appel aux Nations unies devrait être conçu moins comme un signe de recul qu’une condition, jugée nécessaire, pour pouvoir aller de l’avant ; moins comme un signe de fatigue qu’un moyen de rassembler et libérer des forces, pour les engager dans un nouveau champ d’action. Ils entendent créer indéfiniment de nouveaux faits, réduisant la fonction des Nations unies et des « autres » à traiter avec le chaos ainsi créé et à payer les factures.
Monsieur le président, permettez-moi de suggérer que trois questions soient portées devant l’Assemblée générale durant la session annuelle actuelle, et au Conseil de sécurité lors de la discussion du projet états-unien de résolution sur l’Irak ; questions dont l’éclaircissement préalable rendra conditionnelle toute résolution.
La première concerne l’Irak. Il s’agit de donner aux Nations unies un mandat leur confiant de conduire une enquête d’urgence sur l’état des lieux en Irak. Sur la dimension des destructions et des dommages matériels (par dizaines ou par centaines de milliards ?), sur les conditions humaines, économiques, politiques et sécuritaires et sur l’évolution de cette situation durant les 150 jours postérieurs aux opérations militaires principales. Cette enquête est une obligation primordiale : pour établir la responsabilité des destructions et des dégâts et pour définir l’engagement à la reconstruction et à la réhabilitation.
La deuxième concerne la décision de la guerre. Il s’agit d’inviter tous les États, en l’occurrence les États-Unis, à s’engager devant la communauté internationale à renoncer définitivement à toute guerre décidée unilatéralement sans le consentement des Nations unies ou contre leur volonté. Et ce pour garantir que toute nouvelle résolution concernant l’Irak puisse servir à progresser vers la responsabilité collective et la limitation des risques et des dégâts, et non à encourager la superpuissance, une fois ses forces libérées, à décider, unilatéralement, de nouvelles guerres qui puissent entraîner une catastrophe planétaire.
La troisième concerne les conséquences mondiales de la guerre. Il s’agit de débattre, aux Nations unies, de la situation mondiale et de la position de chaque État sous le régime de la guerre que conduisent ici et gèrent là-bas les États-Unis. Le monde est-il devenu plus ou moins sûr ? Le fanatisme, l’extrémisme, la violence, les valeurs tribales, le chauvinisme, la culture de la confrontation, la culture du ghetto, l’anarchie et le chaos... se sont-ils renforcés ou affaiblis ? Ont-ils rétréci ou diminué, ou se sont-ils propagés et développés ? Rien n’est plus important et urgent que de répondre à ces questions au plus haut niveau de la conscience et de la rationalité. Le sort de l’humanité en dépend.
Monsieur le président, la France, partagée entre les considérations traditionnelles de la vie internationale et ses nouvelles responsabilités de solidarité salutaire avec l’humanité, ne peut hésiter.
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