Après avoir violé la légalité internationale, piétiné l’ONU, méprisé l’opinion publique mondiale, causé un grand nombre de morts et fait payer le tribut en victimes à ses alliés, les États-Unis se sont emparés des richesses de l’Irak, y compris celles mises sous séquestre par l’ONU. Les puits de pétroles ont été sécurisés et le « marché » irakien offert aux sociétés privés américaines proche de l’administration Bush qui en reverseront une part pour la campagne de George W. Bush en 2004. Ce rapt offusque même les serviteurs les plus dociles de l’Amérique. Il s’agit bien d’une invasion coloniale enrobée dans la rhétorique de la défense de la civilisation et dans les Droits de l’homme.
La surprise est venue de la rapidité avec laquelle les Irakiens, qui n’ont pas pleuré Saddam Hussein, se sont retournés contre les Américains. Nul ne sait qui compose la résistance, mais chacun comprend ce qu’elle veut : le départ des forces d’occupation. Les Irakiens préfèrent leur dignité nationale à une démocratie sous occupation étrangère. C’est une victoire pour Saddam Hussein qui se fait un destin de libérateur grâce aux États-Unis qui n’ont pas compris que les musulmans se réjouissent de leurs pertes. De plus en plus à Washington, on parle de bourbier.
Les États-Unis sont parvenus à faire l’unité des nationalistes et des religieux contre eux. Ils se sont mis dans un piège qui coûte la vie à beaucoup de leurs soldats innocents et compromet la victoire de Bush en 2004. L’installation d’un régime irakien choisi par Washington n’y changera rien. Les États-Unis ont perdu et il va falloir désormais gérer la conséquence de leur défaite : la constitution d’une alliance islamo-nationaliste, à la fois force déstabilisatrice pour la région et seule chance pour l’Irak d’échapper à la guerre civile.
Aujourd’hui, les États-Unis veulent l’aide de la communauté internationale, mais sans passer par l’ONU. Pourtant, s’ils la veulent ils vont devoir se retirer d’Irak et laisser la place à l’ONU en soumettant leurs troupes à son autorité. Ils devront accepter la mise en place d’un gouvernement provisoire regroupant toutes les tendances irakiennes (donc également des ba’asistes) et Bush devra se soumettre à la légalité internationale.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Bush a perdu la guerre en Irak », par Sami Naïr, Libération, 20 novembre 2003.