À l’issue du sommet de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui s’est tenu à Miami les 20 et 21 novembre 2003, Jhannett Madriz, présidente de la Confédération parlementaire des Amériques, dénonce dans nos colonnes la trahison du président brésilien, Luiz da Silva, responsable, selon elle, d’avoir brisé l’unité politique latino-américaine. « Lula », regrette-elle, a transformé une négociation multilatérale, où il était possible d’être plus forts, en une série de négociations bilatérales où chaque État doit affronter, seul, la plus grande puissance économique du monde.
La période actuelle doit être qualifiée d’incertaine pour les gouvernements latino-américains. Non pas qu’ils manquent de choix. Ils en ont trop. Le problème, c’est de déterminer ceux qui seront les moins dangereux pour notre développement. Ces derniers jours, on a assisté à une évolution du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en un traité « à la carte ». Il y a six mois, on ne l’imaginait pas. C’est pourtant devenu une réalité après le sommet de Miami.
Il n’y a pas longtemps, on nous avait proposé un agenda de négociations qui devait se conclure en 2005, date à laquelle, selon certains analystes, il nous aurait fallu adhérer : c’était à prendre ou à laisser. Aujourd’hui, l’un des États les plus emblématiques se targue d’avoir fait évoluer la position de Washington vers plus de flexibilité.
« Le Brésil a obtenu une ZLEA light », a écrit le 20 novembre le Jornal do Brasil présentant comme un succès diplomatique l’acceptation par les États-Unis d’une ZLEA « plus flexible et équilibrée ». À ce propos, Celso Amorin, ministre des Affaires étrangères brésilien, a déclaré : « Nous ne sommes pas venus ici pour triompher sur d’autres. C’est une victoire de tous. Il existe désormais une base positive pour trouver une solution à la plupart des problèmes de la ZLEA. Nous voulons imaginer une architecture souple de l’accord qui n’imposera pas un format unique aux signataires… ». Cependant, à la veille de cette reconnaissance, le même quotidien de Rio reconnaissait que le négociateur états-unien, Robert Zoellick, avait commencé des négociations bilatérales avec six États latino-américains, ce qui implique que les États membres du Marché commun du Sud (MERCOSUR) et le Venezuela sont les seuls à négocier encore collectivement avec les États-Unis.
Il ne s’agit pas donc d’un triomphe de tous, mais d’une victoire de Wall Street qui transforme une négociation multilatérale, où il nous était possible d’être plus forts, en une série de négociations bilatérales où chaque État doit affronter, seul, la plus grande puissance économique du monde.
Est-ce vraiment une victoire que d’en arriver là ? Réfléchissons sincèrement : qu’avons-nous gagné ? Ni plus, ni moins que la consécration, du principe de géométrie variable que les pays andins avaient approuvé lors de l’Acte de Quirama, une victoire de dupes.
Regardons ce que nous avons fait en face : en quoi est-ce un « succès » pour les gouvernements latino-américains de devoir négocier, un par un, face aux États-Unis les droits et obligations communes sur l’accès aux marchés, l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les subventions, les normes de concurrence, les réglementations anti-dumping et les privatisations, c’est-à-dire sur tous les aspects les plus controversés du modèle « dur » ?
Oui, il y a eu un vainqueur ! Nous avons compromis l’unité potentielle d’un continent à cause de la stratégie erronée de trente-quatre gouvernements qui se croient habiles en agissant séparément et parfois avec inconséquence. C’est pourquoi, pour nous qui défendons l’intégration politique comme un moyen de résoudre ensemble notre défaut de développement, et notamment pour les pays andins qui disposent déjà d’un modèle historique d’intégration institutionnelle comparable au modèle européen, ce qui s’est passé est une véritable défaite, un impardonnable échec dont nous devrons rendre compte devant l’Histoire.
Oxfam International, une ONG britannique, avait averti de ce danger peu avant le sommet de Miami. Elle avait relevé par exemple que les zones franches, comme celles du Chili et de Singapour, ne sont pas de bons modèles, puisqu’elles n’apportent ni développement, ni réduction de la pauvreté. Elle avait aussi relevé, en prenant l’exemple de l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA) qui englobe aujourd’hui 45 millions de Mexicains vivant dans la pauvreté, que le danger, c’est d’étendre par de mauvais accords bilatéraux ces conditions de vie à plusieurs autres millions de personnes.
« Il reste beaucoup à négocier et c’est important », affirma un porte-parole de la « victoire » obtenue. Quant à nous, nous osons nous demander quels sont ces sujets importants qui restent, une fois que l’on a vidé les négociations de leur contenu en se défaussant sur des accords bilatéraux. Ainsi, la réglementation des brevets des médicaments sera alignée sur le droit états-unien et deviendra plus contraignante encore que celle de l’Organisation mondiale de la santé. Elle augmentera les coûts de fabrication de sorte que le droit aux soins deviendra une utopie. Le marché sera verrouillé et deviendra une chasse gardée des compagnies pharmaceutiques du Nord. Ainsi, cela augmentera brutalement les prix des médicaments pour plus de 200 000 séropositifs en Amérique du Sud et aux Caraïbes, a indiqué Médecins sans frontières.
Le 14 septembre dernier, les délégués épiscopaux des pays du MERCOSUR, s’exprimant sur la ZLEA, ont exhorté les négociateurs à élaborer un véritable processus d’intégration des Amériques qui prenne en compte les Droits de l’homme, les principes de souveraineté, de justice, de solidarité et de respect de la diversité culturelle des peuples. Ce doit être notre objectif.
Cet article est également publié, en espagnol, sur redvoltaire.net.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter