Les partisans de la militarisation des États-Unis, réunis au sein de la très officielle Commission Gilmore, ont préconisé des mesures d’exceptions depuis 1999, mais n’ont obtenu satisfaction qu’après les attentats du 11 septembre. Leur cinquième rapport, Forger la nouvelle normalité américaine, rendu public cette semaine, préconise de hisser la lutte antiterroriste au dessus de toutes les autres activités gouvernementales, d’impliquer la société civile et d’étendre les compétences de l’armée en matière de renseignement, d’enquête et de répression. La Commission propose de dépasser l’antagonisme entre libertés et sécurité en dissolvant la distinction entre civil et militaire.
La Commission Gilmore a rendu, le 15 décembre 2003, son cinquième et dernier rapport annuel sur « l’évaluation des capacités de réaction intérieure au terrorisme impliquant des armes de destruction massive ». Elle appelle les États-uniens à repenser l’équilibre entre protection des libertés individuelles et sécurité de la Patrie.
Cette commission a été instituée par le Congrès, le 17 octobre 1998, à la suite des attentats survenus contre les ambassades états-uniennes au Kenya et en Tanzanie, dans un contexte d’opposition exacerbée contre Bill Clinton. Initialement, son mandat devait durer trois, mais il fut prolongé de deux ans supplémentaires après les attentats du 11 septembre 2001. Pour l’animer, le Parlement fit appel aux experts de la Rand Corporation, le think-tank du complexe militaro-industriel. Elle tient son nom de son président, James S. Gilmore III, ancien gouverneur de Virginie et ancien président du Parti républicain. Avec le temps, sa composition a légèrement évolué. Ainsi, Donald Rumsfeld n’y siège plus depuis qu’il est secrétaire à la Défense, ni L. Paul Bremer III depuis qu’il fait régner la liberté en Irak.
Au cours des premières années, c’est-à-dire avant les attentats du 11 septembre, la Commission Gilmore a émis 144 recommandations, dont 125 ont été appliquées après le 11/9. La Commission se félicite de ces avancées, mais regrette que l’élan national qui a suivi les attentats de New York et Washington soit progressivement retombé alors qu’il reste beaucoup à faire. L’opinion publique s’est laissée distraire par l’ouragan Isabel, les feux de forêt en Californie ou la guerre en Irak jusqu’à en oublier le danger terroriste.
L’articulation entre autorités locales, nationales et fédérales reste approximative, de même que la coordination entre agences fédérales. L’efficacité de cette nébuleuse reste douteuse face à la prolifération bureaucratique. Elle ne peut être améliorée qu’en clarifiant l’architecture du système. De ce point de vue, la Commission se réjouit de la création du Centre d’intégration de la menace terroriste (TTIC) et du département de Sécurité de la Patrie (HSD) [1], dont elle revendique la paternité intellectuelle. Cependant, cette organisation administrative est insuffisante. D’abord le TTIC doit devenir une Agence à part entière avec un personnel et un budget conséquent. Ensuite, on s’est contenté de hausser la lutte anti-terroriste au niveau d’un département ministériel parmi d’autres. Mais la Commission considère que cette préoccupation devrait être prééminente. Elle préconise donc le développement du Conseil de sécurité de la Patrie. Cette instance supra-départementale existe déjà en théorie, mais ne fonctionne pas vraiment. Elle se situe à égalité avec le Conseil de sécurité national [2].
La Commission préconise de « Forger une nouvelle normalité états-unienne » d’ici 2009. Elle intégrerait la lutte contre le terrorisme à tous les échelons de la société dans toutes les activités humaines. Elle reconnaîtrait un rôle plus important encore aux militaires du NorthCom pour sécuriser le pays, autorisant ainsi leur intervention dans la vie civile. Elle mobiliserait aussi le patronat pour la protection du « mode de vie » comme pour la délation des suspects.
Pleinement consciente des atteintes possibles aux libertés individuelles, la Commission Gilmore commente longuement la dialectique libertés/sécurité avec force citations des pères fondateurs. Mais elle ne propose pour concilier ces deux exigences que la création d’un Comité d’éthique bipartisan qui donnerait des avis sur la proportionnalité des restrictions de libertés par rapport aux gains de sécurité. Cette disposition ne semble avoir pour objectif réel que de garantir un consensus social autour de l’instauration d’une société toujours plus militarisée.
Forging America’s New Normalcy - Securing Our Homeland, Protecting Our Liberty. Ve Rapport annuel au Président et au Congrès du Comité consultatif d’évaluation des capacités de réponse intérieure au terrorisme impliquant des armes de destruction massive, 15 décembre 2003. Téléchargement (Pdf : 7900 Ko)
[1] Nous traduisons « Homeland Security » par « Sécurité de la Patrie » et non pas « Sécurité intérieure ». En effet, « Homeland Security » se rapporte à toutes les actions de sécurisation du territoire national, qu’elles soient entreprises sur ce territoire ou à l’étranger. Au contraire, l’expression française « Sécurité intérieure » s’oppose à « Sécurité extérieure » et désigne des compétences territoriales distinctes.
[2] L’administration Bush avait initialement prévu de créer le Conseil de sécurité de la Patrie, et pas le département homonyme. C’est pour briser le statut des fonctionnaires de diverses agences que Karl Rove, secrétaire général de la Maison-Blanche, a poussé à la création de ce département ministériel. Cette gigantesque restructuration bureaucratique a fait passer le Conseil en second plan.
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