L’opposition israélienne au retrait de Gaza est une épine dans le pied d’Ariel Sharon au sein de son parti, mais une bénédiction sur la scène internationale. En effet, il peut s’appuyer sur les discours de ses opposants pour se poser en alternative pacifique à l’ultra-nationalisme israélien. La presse occidentale a eu tôt fait de voir en Sharon un équivalent israélien de Charles De Gaulle lors de la décolonisation algérienne. Pourtant, la position du gouvernement Sharon est très claire : le retrait de Gaza ne vise pas à permettre la construction d’un État palestinien viable. Le Premier ministre israélien le stipule lui même dans La Republica.
Après le retrait israélien de la bande de Gaza, l’ultra-droite israélienne, opposée à tout désengagement territorial, ne désarme pas. Sans surprise, c’est dans le Jerusalem Post, que ces opposants trouvent une tribune pour s’exprimer. Coup sur coup, le quotidien israélien publie des textes émanant des deux groupes qui, à l’intérieur du Likoud, tentent de doubler Ariel Sharon par son extrême droite : les partisans de Natan Sharansky et ceux de Benjamin Netanyahu.
Le 12 septembre, c’est Natan Sharansky, lui même qui s’exprime. L’ancien opposant soviétique et ancien ministre israélien souhaite rallier l’électorat nationaliste tout en jouant les rassembleurs. Il loue la dignité des colons évacués et celle des militaires israéliens contraints par un pouvoir indigne de faire le sale travail. Il estime qu’aujourd’hui, Israël n’est pas divisé entre partisans et adversaires du retrait de Gaza mais entre une population affectée par cette décision et un pouvoir méprisant ces souffrances. L’auteur va à l’encontre de l’orientation de la propagande du gouvernement Sharon qui aime à se présenter sur la scène internationale comme un gouvernement de paix opposé à un mouvement de colons ultra-radical.
Deux jours plus tard, l’ancien responsable du planning politique du cabinet de Benjamin Netanyahu, Michael Freund, diabolise les Palestiniens pour mieux délégitimer toutes concessions territoriales. L’auteur présente les Palestiniens comme une population sauvage, guidée par ses instincts de destruction et l’Autorité palestinienne comme une structure incapable ou complice à qui on ne peut pas faire confiance. En s’appuyant sur les destructions d’anciennes synagogues abandonnées par les colons à Gaza, Michael Freund affirme que si Israël n’en prend pas soin lui même, les Palestiniens détruiront les marques historiques de la présence juive sur le territoire. Il demande donc que Tel-Aviv reprenne le contrôle de la tombe de Joseph, de l’esplanade des mosquées à Jérusalem et du caveau des patriarches à Hébron. Bref, que Tsahal réinvestisse les territoires palestiniens.
Cette opposition au retrait de Gaza est une épine dans le pied d’Ariel Sharon au sein de son parti, mais une bénédiction sur la scène internationale. En effet, il peut s’appuyer sur les discours de ses opposants pour se poser en alternative pacifique à l’ultra-nationalisme israélien. Une posture qui s’avère payante comme nous l’avons déjà étudié dans Tribunes et décryptages. La presse occidentale a eu tôt fait de voir en Sharon un équivalent israélien de Charles De Gaulle lors de la décolonisation algérienne. Pourtant, comme nous l’avons souvent rappelé, la position du gouvernement Sharon est très claire : le retrait de Gaza ne vise pas à permettre la construction d’un État palestinien viable, il sert à diminuer les pressions internationales, à faire oublier la « feuille de route » et à renforcer le contrôle israélien sur la Cisjordanie et Jérusalem.
Dans une interview au quotidien italien La Republica reprise en russe par Inopressa, Ariel Sharon ne le cache pas. Le retrait de Gaza n’a eu lieu que parce qu’il n’y avait aucune chance de voir les Israéliens y devenir majoritaires. Le Premier ministre israélien précise qu’il ne souhaite pas organiser d’autres retraits et ajoute que tant que Mahmoud Abbas ne combattra pas les groupes armés palestiniens (ce qui ne peut aboutir qu’à une guerre civile entre Palestiniens), Israël ne fera aucune autre concession. Il se déclare satisfait que les pressions exercées par la communauté internationale contre Israël aient diminué et annonce son intention de développer les colonies en Cisjordanie, c’est-à-dire d’annexer de larges parties de territoires. Difficile de prétendre après cela qu’Israël est engagé dans un processus de paix.
L’ancien gouverneur israélien de Rammalah et colonel de Tsahal, Jonathan Figel, se réjouit lui aussi du retrait de Gaza dans Vremya Novostyey. Pour lui, les conséquences positives pour Israël seront nombreuses : renforcement de la sécurité grâce au mur d’annexion, redéploiement des troupes autour des principaux territoires annexés et même l’espoir de voir les Palestiniens se déchirer entre eux. En outre, pour l’auteur, rien n’interdit à Tsahal de mener des frappes aériennes contre les Palestiniens dans Gaza.
Dans le même temps, en Israël, on s’interroge sur la meilleure façon de poursuivre le processus de paix. Toutefois, les analyses s’interrogeant dans la presse sur cette question ne contredisent pas l’annexion de larges parties du territoire de Cisjordanie. Dans ces conditions, on peut douter de leur sincérité. La question ne semble pas être quel est le meilleur moyen de parvenir à la paix, mais quel est le meilleur moyen d’annexer des territoires tout en semblant travailler pour la paix.
L’ancien directeur du Shin Bet, le travailliste Ami Ayalon s’interroge dans Ha’aretz sur la meilleure façon de relancer le dialogue avec les Palestiniens. Ne co-préside-t-il pas, en effet, une organisation affirmant travailler à la « solution des deux États » ? Il suggère qu’Israël organise de nouveaux retraits en Cisjordanie et affirme clairement qu’elle ne compte pas faire de ces territoires une partie de son espace national. Pourtant, les territoires en questions ne sont que des colonies isolées, pas les principaux centres de peuplement construit illégalement en Cisjordanie et désormais protégés par un mur annexant des pans entiers de territoires palestiniens. L’auteur appelle d’ailleurs à une poursuite de la construction du Mur d’annexion. Ces déclarations vont à l’encontre des positions défendues jusque-là par son organisation : destruction du Mur et retour aux frontières de 1967. Dans le Jerusalem Post, l’ancien expert du ministère des Affaires étrangères israélien, Shlomo Avineri, utilise une analyse différente de la situation pour aboutir aux mêmes conclusions que MM. Sharon ou Ayalon. Il estime que la situation politique en Israël et au sein de l’Autorité palestinienne ne permet pas d’avancées dans les négociations. Plutôt que de poursuivre d’inutiles palabres, mieux vaut gérer le conflit en attendant un moment plus propice aux discussion. En attendant ce moment tant attendu, Israël doit rationaliser sa colonisation des territoires palestiniens en évacuant les colonies les plus isolées. Subtile façon d’appeler à un gel du processus de paix, au nom de la paix à venir.
Côté arabe et palestinien, on n’est pas dupe de la tactique israélienne, mais l’impuissance est totale.
L’ancien ministre de l’Éducation nationale du Koweit, Ahmed Al Rabii, constate dans Asharqalawsat, la mort du plan de paix saoudien. Celui-ci prévoyait la reconnaissance d’Israël par les pays arabes et la normalisation des relations avec Tel-Aviv en échange d’un retour aux frontières de 1967. Or, tous les pays arabes sont en train, les uns après les autres, de normaliser leurs relations avec Israël, empêchant toute pression future en faveur d’un retrait de la Cisjordanie. L’auteur estime que l’argument qui veut qu’un rapprochement avec Israël favorisera la paix ne tient pas, il ne s’agit que d’un renoncement.
Dans une interview au Corriere Della Sera accordée suite à l’enlèvement d’une journaliste du quotidien par des Palestiniens, traduite en russe par Inopressa, le président palestinien, Mahmoud Abbas regrette qu’Israël refuse toute reprise des négociations. Il rappelle pourtant qu’il s’est conformé scrupuleusement à tout ce qu’on lui a demandé. La seule chose sur laquelle il ne semble pas vouloir céder, c’est l’affrontement avec le Hamas. Pour faire baisser les armes à ce mouvement, il préfère employer la négociation. Le président de l’Autorité palestinienne constate que sa docilité n’aide pas son peuple, mais se résigne à poursuivre la politique qu’on lui impose.
Dans Dar-alhayat, le journaliste, Abdellah Escander, estime qu’il y a deux façons d’interpréter le retrait de Gaza. Si c’est une victoire militaire, il faut continuer la lutte. Mais si c’est une récompense pour la bonne gestion de l’Autorité palestinienne, il faut poursuivre les réformes. Dans le doute, il opte pour la deuxième hypothèse, il estime que l’Autorité palestinienne doit faire preuve de son savoir faire à Gaza pour avoir un argument contre Israël et pour inciter à d’autres retraits.
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