Force est de constater, cinq ans après l’invasion anglo-saxonne de l’Afghanistan que la Coalition peine à y établir la « liberté » dont elle se réclame. Incapable d’aligner des troupes supplémentaires, Washington, déjà englué en Irak, tente de « refiler le sale boulot » à ses alliés de l’OTAN. Mais que signifie aujourd’hui « lutter contre les talibans », sinon en réalité réprimer une révolte populaire contre les troupes étrangères ?
Au sommet de l’OTAN, à Riga, l’Afghanistan est revenu, contre toute attente, sur le devant de la scène. La question posée, plus précisément, était de savoir si l’Alliance atlantique est en mesure de stabiliser la situation dans ce pays.
Lorsque le programme définitif du sommet était en cours de préparation, au siège de l’OTAN, à Bruxelles, en mars dernier, le dossier afghan n’y avait pas été inclus. Les dirigeants de la coalition antiterroriste internationale dirigée par les États-Unis et ceux de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) ne pouvaient pas prévoir que la situation en Afghanistan tournerait à leur désavantage. Aujourd’hui, il est clair que les choses deviennent de plus en plus imprévisibles et dramatiques.
Au cours des deux ou trois premières années de l’opération antiterroriste, baptisée Liberté immuable, les États-Unis ne doutaient guère de leur succès. Cinq ans plus tard, la « liberté » n’en finit pas de déraper.
Le gouvernement afghan a récemment rendu public un rapport sur la situation dans le pays. Ce document constate une nette aggravation des tensions militaires. Si, en 2005, on ne recensait pas plus de 130 attaques par mois contre les forces de l’OTAN, on en dénombre aujourd’hui jusqu’à 600. Depuis le début de l’année, plus de 3 700 Afghans, dont au moins un millier de civils, ont été tués dans les opérations menées dans les provinces méridionales et orientales par les troupes essentiellement américaines, anglaises et canadiennes.
Dans nombre de régions, les équipes provinciales de reconstruction (EPR) ont suspendu leurs activités, les organisations humanitaires internationales ont évacué leurs personnels, et les écoles ont fermé. Parmi les principales explications avancées vient l’intensification des activités du mouvement des talibans. Selon différentes estimations, les talibans opèrent en toute impunité dans le sud-est, le sud et le sud-ouest du pays, plus précisément dans les provinces de Paktia, Khost, Zaboul, Kandahar, Helmand et Nimroz.
Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afghanistan, Tom Koenigs, estime qu’un "énorme effort militaire" s’impose pour éviter la défaite. Pour Alexandre Khramtchikhine, de l’Institut (russe) d’analyse politique et militaire, les Anglo-Saxons se devaient de tenter au sommet de Riga un forcing auprès de l’Europe continentale pour l’impliquer au maximum dans les opérations, car les Américains représentent plus de la moitié des troupes de l’OTAN déployées sur place, aidés des Britanniques et, dans une moindre mesure, des Canadiens.
Cet expert semble avoir raison. L’OTAN, dont les forces terrestres comptent plus de 1,5 million d’hommes, n’en a affecté que 20 000 à l’opération en Afghanistan. Et la plupart d’entre eux ne veulent plus combattre. Les États-Unis, qui viennent de placer leur contingent afghan de 10 000 hommes sous les ordres de l’OTAN, cherchent désormais à convaincre leurs autres alliés, notamment l’Allemagne et la France – présentes essentiellement dans le Nord, plus calme, de l’Afghanistan – de participer aux opérations menées contre Al-Qaida et les talibans dans les provinces méridionales et orientales.
Au début septembre, le commandement états-unien a remis à l’OTAN la direction des opérations dans l’Est de l’Afghanistan. Ainsi, les 21 000 soldats de l’OTAN stationnés jusqu’alors dans l’Ouest, le Nord et le Sud du pays doivent s’ajouter aux 12 000 États-uniens cantonnés dans l’Est. Pour l’Alliance atlantique, dont la mission était jusque-là limitée aux actions pacificatrices dans le cadre de l’ISAF, cela signifie le début de dures épreuves.
Si le Pentagone a, de fait, contraint l’OTAN à se charger de la direction générale de l’ISAF et de la plus grande partie de la coalition antiterroriste, c’est pour éviter que les uns fassent le « sale boulot » quelque part dans la province de Kandahar, tandis que les autres sirotent tranquillement leur bière dans le Nord. Le Pentagone souhaite que le commandant des forces de l’OTAN en Afghanistan, le général britannique David Richards, ait la « possibilité de demander un bataillon allemand le matin et de l’avoir le soir même à sa disposition pour mener des opérations dans le Sud ».
Les provinces méridionales et orientales de l’Afghanistan sont traditionnellement une source d’instabilité pour tout le pays. N’est-ce pas la raison pour laquelle aucune EPR, alors qu’elles sont présentes dans pratiquement toutes les provinces septentrionales, n’a été déployée dans le Sud ? L’absence de tout progrès dans la reconstruction économique, le chômage massif et la paupérisation ne peuvent pas encourager la population locale à coopérer avec l’OTAN dans la lutte contre les talibans. D’autant plus que la population locale est constituée, justement, de ces derniers.
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