Alors que commence en Allemagne un débat sur les enlèvements, les séquestrations et les tortures perpétrées par la CIA dans l’Union européenne, le témoignage du Français Nizar Sassi éclaire la réalité du camp Delta de Guantanamo.
En vue du débat, actuellement mené en Allemagne, sur la défaillance du gouvernement allemand en ce qui concerne la libération de Murat Kurnaz, détenu à Guantanamo sous des conditions indicibles, il est indispensable de faire référence au livre de Nizar Sassi, un jeune Français d’origine tunisienne, qui tout comme Murat Kurnaz a dû subir malgré son innocence la privation et le mépris total de ses droits humains et de liberté [1]
Au nom de la « guerre contre le terrorisme » pour une prétendue « liberté » et « justice », ce jeune homme a été incarcéré par le gouvernement états-unien sans procès judiciaire et sans possibilité de se défendre pendant presque 30 mois à Guantanamo. Il retrouve finalement la liberté parce que son frère, en commun avec d’autres personnes engagées, intervient avec intrépidité pour le maintien des droits de l’homme et du citoyen et lutte inlassablement pour sa libération.
Les descriptions de la souffrance de Nizar Sassi, qui a duré des années, vont droit au cœur. Elles montrent au lecteur, que c’est le souhait d’une liberté inaliénable, inné à l’être humain, qui fait survivre quelqu’un à de telles conditions. Ce qui est impressionnant dans les descriptions de ce jeune homme, ce sont son attachement humain, son intérêt pour autrui, qui le font survivre malgré l’isolement dû aux conditions de détention. La certitude, qu’il n’est pas oublié et qu’il y a des gens qui dénoncent haut et fort l’injustice qui lui est arrivée et qui exigent la réinstauration du droit, lui donne la force de résister.
Un livre, qui malgré tout est encourageant et peut inciter chaque lecteur à réfléchir sur son engagement dans le monde.
Nizar Sassi naquit le 1er août 1979 à Lyon. Il est le deuxième de 7 enfants. Sa famille vit dans des conditions modestes et quand Nizar quitte l’école sans diplôme, il cherche un travail pour aider financièrement sa famille. Celle-ci est très importante pour lui. Il écrit sur sa mère : « Elle nous inculque la tolérance, le respect et les limites à ne jamais dépasser. Grâce à elle, je sais ce que je peux faire, et ce que je ne ferai jamais. » Au cours d’un de ses emplois, où il rencontre beaucoup de gens, Nizar fait la connaissance d’un musulman pratiquant.
Descente aux enfers pour des mois
En été 2001, à l’âge de 21 ans, par soif d’aventure et par enthousiasme pour les armes à feu, Nizar Sassi se fait enrôler dans un camp d’entraînement de tir à l’arme à Kandahar en Afghanistan. Il n’est ni religieux ni fanatique sur le plan politique et il n’a jamais jusqu’alors entendu parler d’ al Qaïda ou de ben Laden.
Nizar Sassi se trouve depuis deux mois en Afghanistan lorsqu’il apprend par les médias les attentats de New York. Après les premiers bombardements contre l’Afghanistan, il décide de fuir aussi vite que possible à l’ambassade de France au Pakistan, pour de là retourner en France. Quand à la suite des attentats du 11 septembre, le Pakistan ferme ses frontières, Sassi vit pendant sa fuite le bombardement américain dans les montagnes de Tora Bora. « Des mois d’enfer », comme il écrit, « on s’attend à chaque instant à être fauché par une bombe, ou à sauter sur un de ces petits engins explosifs jaunes, gros comme un poing, dispersés par milliers lors de l’explosion des bombes qui les acheminent. On peut aussi être pulvérisé par les missiles tirés depuis les avions ou, s’il fait nuit, haché menu par le feu des hélicoptères. »
Et plus loin : « Je n’ai sans doute jamais eu autant envie de vivre que durant ces heures terribles passées sous les bombes. Lorsque les avions nous laissent un peu de répit, je me repasse le film de ma vie. Je revois les bons moments du passé. Je regrette aussi le temps perdu, toutes ces heures gaspillées durant lesquelles je n’ai rien fait de bon. Si j’avais su que ma vie pouvait s’arrêter si vite, j’aurais profité de chaque minute, de chaque seconde. Mais je ne capitule pas. Ma seule obsession, dans ce trou à rats, c’est de survivre. De toutes mes forces et de toute mon âme. »
Quand il atteint enfin le Pakistan après des mois épuisants de fuite, il est vendu comme beaucoup d’autres réfugiés par des soldats pakistanais pour une prime de 5000 dollars par tête comme « terroriste capturé » à la CIA. En tant que numéro « two-nine-four » (294), il est soumis à la torture lors des interrogatoires dans un camp militaire états-unien et livré à un traitement dépouillé de toute dignité humaine de la part des GI’s. Le froid glacial, la privation de nourriture et de sommeil, les traitements les plus brutaux et les humiliations font son quotidien.
Des représentants de la Croix-Rouge essaient de soulager un peu le quotidien du prisonnier en lui donnant du linge chaud pour le protéger contre le froid. On lui promet d’informer sa famille. A part cela, ils ne peuvent pas faire grand’chose. Les Américains ne reconnaissent pas les conventions internationales sur le traitement des prisonniers de guerre.
Des cages installées dans des containers métalliques géants
À l’encontre de tout droit, Nizar Sassi est transféré à Guantanamo. Là-bas, maintenant en tant que numéro « 325 », les humiliations quotidiennes, les coups et les interrogatoires continuent. Les prisonniers sont incarcérés dans des cages d’environ 1, 80 sur 2 mètres, qui se trouvent dans des containers métalliques géants, n’offrant aucune protection de l’intimité ; ce sont d’ailleurs des entreprises civiles qui les livrent à l’armée US. Tous les détenus sont régulièrement déplacés dans d’autres cages, afin que des liens humains entre ces derniers ne puissent pas se nouer.
« Les premières semaines sont terribles. Il fait très chaud dans les containers métalliques en plein soleil. Plus de paysage, finie la sensation du vent sur le visage. Rien que ces murs peints en vert fluo et cette lumière électrique allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre… »
Il sombre dans une grave dépression et un profond désespoir. Il craint de devenir fou. C’est à ce moment-là qu’il reçoit après des mois la première lettre de son frère. Celui-ci lui écrit que sa famille lutte pour sa libération et qu’il doit tenir bon.
Le fait de savoir que sa famille et ses amis ne l’oublient pas et qu’ils s’engagent pour sa liberté, donne à Nizar Sassi la force de continuer à combattre : « La seule façon d’y parvenir, c’est de rompre cette solitude, véritable prison dans la prison. Je dois absolument parler aux autres. Leur parler de tout, de rien, mais leur parler avant de perdre la raison. Leur parler pour ne plus penser. »
« Guantánamo Human Rights Commission »
Mais le Français Nizar Sassi n’est entouré dans son conteneur que de personnes de langue arabe. Alors, il décide pour survivre d’apprendre cette langue. La solidarité humaine entre les co-détenus est grande : Ils le soutiennent dans son intention en lui disant un mot et en expliquant ce qu’il signifie par des gestes. Après quatre mois, muni de rien d’autre que de sa volonté et de sa mémoire, Nizar Sassi est capable grâce à l’aide de ses compagnons de prison, de mener une conversation en arabe. Nizar écrit : « J’ai réussi mon pari (…). Surtout, j’ai tenu à distance le spectre de la dépression et de la folie. Je peux désormais m’évader à tout moment de cet endroit, rien que par la parole. » (p. 152) Et ainsi, l’intention des Américains, d’empêcher que des liens étroits entre les voisins de cellules se nouent, en déplaçant les prisonniers quotidiennement par la force, devient pour lui un enrichissement humain : « Une aubaine pour moi. Au gré des transferts, je vais ‹rencontrer› des gens de tous les pays. Ibrahim vient des Maldives. David est australien. Des Anglais, des Jordaniens, des Yéménites, des Pakistanais, et tant d’autres encore. Ils me racontent leur pays, leur vie d’avant. Grâce à eux, mes journées ne sont plus les mêmes. »
Entre-temps, une liste de la CIA avec les noms des prisonniers détenus à Guantanamo a été publiée en France. Le frère de Nizar Sassi initie dans sa commune natale un collectif de soutien. Le maire leur désigne deux avocats, William Bourdon et Jacques Debray, qui sans aucune rétribution, offrent leur concours. Ils portent plainte en France pour « détention arbitraire ». Mais même une requête auprès des ministres français de la Justice et des Affaires étrangères, une pétition adressée aux députés du parlement français ne mènent à rien.
Le frère de Nizar Sassi ne cesse pas de se battre. Il part pour Londres, où l’organisation pour la défense des droits de l’homme « Guantánamo Human Rights Commission » est fondée à l’initiative des acteurs britanniques Vanessa et Corin Redgrave.
« Dire au monde ce qui se passe ici »
Début mars 2004, il s’envole pour les USA, accompagné par des membres de cette organisation, les avocats de son frère, le maire de sa commune natale ainsi que d’autres amis. Ce voyage est organisé et entièrement financé par la « American Civil Liberties Union », une association fondée en 1920 pour la protection des droits civiques et qui comprend aujourd’hui 400 000 membres.
Cette visite défraye la chronique : des conférences de presse devant la Cour suprême, devant la Maison-Blanche, un entretien avec le Haut Commissaire de l’ONU et le député républicain Graham font croître l’espoir de la libération de Nizar. Nizar Sassi écrit l’effet que ce voyage a eu sur son frère : « Ce voyage avait beaucoup compté pour Aymane. Il avait eu, d’un seul coup, une autre vision de l’Amérique. Il avait rencontré des gens d’une grande humanité, qui s’étaient excusés devant lui, au nom de leur pays. Des gens qui ne voulaient pas juger sur le fond de l’affaire, ça n’était pas leur problème. Pour eux, quoi que ces gens enfermés à Guantanamo aient commis, ils n’avaient rien à faire là-bas. »
La lutte pour la liberté de Nizar Sassi a du succès. Le 26 juillet 2004, celui-ci est libéré du camp de Guantanamo.
Le 27 juillet 2004, il atterrit sur l’aéroport militaire français où il est arrêté « pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et est ensuite incarcéré.
Cela dure encore 18 mois avant que Nizar Sassi soit enfin libre. C’est le 9 janvier 2006.
Nizar Sassi a écrit ce livre pour tenir une promesse. Lorsqu’il quitta Guantanamo, ses compagnons de détention lui ont fait cette prière : « Nizar, dit au monde ce qui se passe ici ».
[1] Prisonnier 325, camp Delta : De Vénissieux à Guantanamo, par Nizar Sassi avc Guy Benhamou, Denoël, 2006.
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