L’Union européenne et la France ont chacune constitué une cellule de suivi du 20eme sommet de la Ligue arabe. C’est qu’elles voient se profiler à l’horizon un revers diplomatique pour les États-Unis, qui s’ajoutera à leurs difficultés militaires au Proche-Orient. Le problème de Bruxelles et de Paris est de s’adapter à une nouvelle donne où Damas, loin d’être isolé, incarne centralement la Résistance nationale dans le monde arabe.
Rien de surprenant à ce que le président français constitue une « cellule spéciale » pour le Sommet arabe qui travaillera avec une autre cellule créée par le Haut Commissaire européen pour la politique et la sécurité, Javier Solana. Parmi les missions de cet organe, observer le monde arabe et les pays limitrophes, pour tout ce qui touche au Sommet arabe et à ses retentissements sur la situation générale. Les Européens et les Français expliquent cette mesure en disant que le vingtième Sommet n’est en rien semblable aux précédents et que les résultats qui en sortiront, la forme et la nature de la participation et le contexte montrent des changements géostratégiques importants pour la situation générale dans toute la région. À suivre attentivement….
Selon les Européens, l’activité déployée dernièrement par les États-uniens dans la région, que ce soit la visite du vice-président Dick Cheney ou celle de la conseillère nationale de sécurité Condoleeza Rice au moment même du Sommet, s’est déroulée sans la moindre coordination avec l’Europe malgré les signes positifs adressés aux dirigeants états-uniens par le président français Nicolas Sarkozy et le Haut Commissaire à la politique étrangère européenne au sujet de la nécessité de travailler ensemble.
Les Européens considèrent que l’ activité déployée dernièrement par les États-uniens témoigne de développements importants dans la région, d’autant plus qu’ils ont inclus l’appel au boycott du Sommet arabe de Damas, suscité une brèche redoutable dans les relations arabo-arabes et mis les « Arabes modérés » devant des choix difficiles qui risquent de les diviser après le Sommet et de fissurer ce que l’Occident et les États-Unis appellent le « front des modérés arabes ». Les Européens affirment que s’achèvent les préparatifs d’une nouvelle aventure états-unienne dont le sabotage d’une entente inter-palestinien ne serait qu’une infime partie. Personne n’ose imaginer ce qu’il adviendra si, malgré la mobilisation de tous les moyens possible —que ce soit à travers le dossier libanais, le dossier palestinien ou la situation en Irak—, les États-Unis échouent lamentablement à isoler Damas. Cela rend très urgent un changement de ligne car le temps va rapidement à l’encontre des visées états-uniennes dans le monde.
Les Européens disent dans les couloirs diplomatiques que le Sommet de Damas va constituer un véritable levier pour les positions critiques à la politique états-unienne et le premier résultat en sera d’affaiblir l’influence de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite, dans les dossiers brûlants de la région, tels le Liban, la Palestine, l’Irak et le Darfour, ce qui constituera un premier résultat contraire au tentatives des États-Unis pour garantir l’isolement de Damas du monde arabe ; et les conversations commencent à porter sur le responsable de ce nouveau revers diplomatico-politique pour les États-Unis dans la région. Pendant et après le Sommet, les Européens observeront avec soin les réactions arabes et l’attitude des dirigeants du triangle pro-US (Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite) ; ils s’interrogent sur la véritable raison du retournement des États du Golfe arabe contre le grand frère saoudien, persuadés qu’il est principalement dû au désir de ces États d’envoyer un message clair à Washington et à Tel-Aviv, sur trois points : d’abord, il n’est pas vrai que les États du Golfe redoutent les projets iraniens et le temps de la rivalité arabo-perse est révolu ; ensuite ils expriment leur refus de la politique des États Unis envers Damas, position que les États-Unis doivent respecter ; enfin, amitié n’est pas synonyme de suivisme et cette équivalence doit être rayée du lexique états-unien. Il est certain que ce qui va se passer à l’intérieur du Sommet ne suscite pas l’attention des cercles occidentaux, accoutumés aux sommets arabes, et les discours rapportés et diffusés par la télévision et répercutés par les agences de presse sont en général sur les bureaux des dirigeants occidentaux avant même d’avoir été prononcés. Ce qui préoccupe les milieux occidentaux, c’est sur quoi reposeront les relations arabes et jusqu’à quel point les Arabes absents —ou empêchés de venir— au Sommet pourront persévérer dans leur alliance avec les politiciens états-uniens, d’autant plus que si l’émir de Bahreïn a entendu des choses désagréables à Washington, ce qu’a entendu le président égyptien Hosni Moubarak à Moscou de la part des nouveaux dirigeants russes l’était plus encore. Les Européens attachent une grande importance à la situation palestinienne après le Sommet parce qu’elle pèsera lourd en Égypte ou en Jordanie, à un moment où la gravité de la situation intérieure des deux pays est telle qu’elle n’autorise pas la moindre erreur d’appréciation.
Les dossiers évoqués dans les cercles européens portent sur des conséquences graves à l’intérieur de l’Arabie Saoudite, que ce soit sur le plan des relations au sein de la famille régnante ou sur le plan de la situation sécuritaire générale dans le pays où on a constaté récemment une accalmie dont les Européens disent que c’est un trêve, à moins que ce ne soit le calme avant la tempête. Car les demandes de Cheney à l’Arabie Saoudite sont impossible satisfaire et si l’Arabie Saoudite a accédé à son exigence d’isoler Damas et de ne pas assister au Sommet, elle n’a pas accédé aux autres demandes qui, selon certains en Arabie Saoudite, touchent à l’identité du pays, son existence et ses intérêts géostratégiques, tandis que pour d’autres, elles font partie des intérêts stratégiques communs aux Saoudiens et à la famille Bush qui a des liens d’amitié étroits avec certains membres de la dynastie Saoud au pouvoir. Ce sujet demanderait à être compris de l’intérieur, mais tous les éléments pour cela ne sont pas encore réunis. Les Européens n’ont pas été étonnés de la décision du gouvernement de Fouad Siniora de ne pas participer : il a invoqué la discorde au sein du gouvernement qui serait au bord de l’explosion, tandis que les modérés n’ont pas encore jugé utile de rompre avec leurs partenaires et ont préféré jouer à cache-cache sans être convaincus de l’intérêt des prescriptions US. Mais les Européens se rendent compte que l’absence du gouvernement Siniora au Sommet et la campagne médiatique lancée pour convaincre certains Libanais auront des conséquences très négatives sur l’équilibre intérieur du pays du Cédre, équilibre imposé naguère par l’opposition mais dont rien ne garantit qu’elle continuera à le défendre. D’autant plus que certaines forces de la coalition au pouvoir au Liban ont misé totalement sur le projet américano-sioniste dans toute la région, projet qui est apparu dans toute sa clarté dans les dernières déclarations et les dernières tournées états-uniennes
Que faire ? se demandent la France et l’Europe. Où sont nos intérêts propres alors qu’on essaie de nous éloigner de Moscou et de la Chine et que les États Unis ne nous donnent aucune garantie sur aucun des dossiers brûlants ?
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