Le nouveau concept de « responsabilité de protéger », débattu à l’ONU, n’est-il pas une tentative pour réhabiliter celui de « droit d’ingérence » après les interventions militaires au Kosovo et en Irak et une utilisation abusive des « casques bleus » ? Reconnaître la responsabilité du fort de protéger le faible, n’est-il pas une manière élégante de se débarrasser du droit qui vise précisément à défendre le faible des abus du fort ? Avant de soutenir cette nouvelle conception du Bien, Karl Müller demande des précisions…
Horizons et débats a publié dans ses éditions des 12 et 19 mai les textes de deux personnalités suisses au sujet du débat international concernant la conception de la « Responsability to Protect » ( responsabilité de protéger »). Ces prises de positions, notamment celle de la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, sont basées sur le rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (ICISS, www.iciss.ca), ainsi que sur la déclaration finale de l’Assemblée générale des Nations Unies lors du Sommet mondial du 24 octobre 2005 (A/60/L.1). Dans l’article 139 de cette déclaration, sous le titre de « Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité » on trouve le passage suivant :
« Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte des Nations Unies, afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous [l’ONU] sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. »
En décembre 2007, Edward Luck, professeur à la faculté des « International and Public Affairs » de l’Université de Colombia à New York, fut nommé au poste de conseiller spécial pour la « responsabilité de protéger » par le secrétaire général des Nations Unies.
Un débat contradictoire
Cette conception de la « responsabilité de protéger » est toutefois, sur le plan international, sujette à controverse. Les expériences concernant la notion mensongère d’« intervention humanitaire », la politique internationale actuelle des grandes puissances occidentales, surtout des Etats-Unis, y compris au sein des Nations Unies et de leur Conseil de sécurité, et la perception de toutes les nouvelles astuces pour pouvoir imposer les objectifs politiques de domination ont conduit les peuples, et particulièrement les victimes de cette politique et de ses mensonges, à se méfier de tous les projets qui pourraient servir à « se mêler des affaires intérieures d’un Etat », menaçant d’édulcorer l’un des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies (article 2 chiffre 7).
Il y a eu trop d’exemples montrant que ce genre d’intervention a des objectifs de domination, qu’il est et reste l’expression même d’un nouvel impérialisme. Mais même quand ce n’était pas le cas, l’occupation de troupes étrangères sur place a provoqué plus de mal que de bien.
Helmut Schmid met en garde contre l’arrogance de l’Occident
L’ancien chancelier fédéral social-démocrate Helmut Schmid ne cesse d’en appeler à la prudence dans la volonté de se mêler des affaires d’autres pays et estime que c’est l’expression d’une arrogance de l’Occident, prétendant tout mieux savoir.
Que faut-il donc penser de cette « responsabilité de protéger », alors que le gouvernement fédéral allemand tente de justifier dans son « Livre blanc » de 2006 ses interventions armées à l’étranger ?
Nous sommes d’autant plus alertés en entendant l’appel à une intervention armée au Myanmar – sous le couvert de la « responsabilité de protéger » –, après la catastrophe causée par la tornade et l’hésitation des autorités locales à laisser entrer les secours et les journalistes occidentaux. Ces appels nous parviennent non seulement de la part de médias de masse allemands comme le Deutschlandfunk, mais aussi de la part d’un co-auteur du rapport du ICISS de 2001, qui fut aussi président de l’association « International Crisis Group (ICG), l’Australien Gareth Evans. Selon le journal The Guardian du 12 mai il déclare que le refus du gouvernement du Myanmar correspondrait à un crime de guerre et que cela pourrait justifier une intervention armée dans l’esprit de la « responsabilité de protéger ». Mais Evans n’est pas le seul membre douteux de la commission. Pour les lecteurs allemands, le nom de l’ancien général allemand, Klaus Naumann, est plutôt inquiétant, lui qui au début de l’année a exigé l’envoi de troupes de combat allemandes en Afghanistan au mépris de la volonté de la grande majorité de la population allemande, et qui avec d’autres anciens généraux, exige le droit à la première frappe nucléaire de l’OTAN contre des pays ne possédant pas l’arme nucléaire.
On soupçonne même que Naumann a été nommé dans cette commission suite au rôle primordial qu’il avait joué en tant que général de l’OTAN lors de la guerre menée contre la Yougoslavie en violation du droit international. Cela parce que certains milieux voulaient que la notion discréditée d’« intervention humanitaire » soit remplacée par celle de « responsabilité de protéger ».
Mais tout le monde n’induit pas l’opinion en erreur
En présentant les choses de cette façon, il ne faut toutefois pas oublier qu’il y avait aussi d’autres membres, n’ayant rien à voir avec les deux personnes mentionnées ci-dessus, dans cette commission. Ce sont notamment le Russe Vladimir Lukin et le Suisse Cornelio Sommaruga. Les Nations Unies ne se trouvent pas en dehors de la politique de leurs pays-membres et ce sont essentiellement eux qui désignent les membres délégués dans les commissions.
Dans la critique du concept de « responsabilité de protéger », on ne tient pas non plus compte que ce sont les Nations Unies qui sont maîtres de cette démarche.
Le vrai problème concernant le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité
Le problème existe : certaines autorités étatiques ne protègent plus leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique ou des crimes contre l’humanité – soit qu’elles n’ont pas les moyens de s’y opposer ou qu’elles sont elles-mêmes impliquées dans ces faits, soit qu’elles ne fonctionnent plus. Les causes en sont multiples, souvent provoquées de l’extérieur ou par des intérêts de domination. Les Etats occidentaux y jouent souvent un rôle funeste. Il n’en reste pas moins que ces populations ont droit à de l’aide.
La prévention et la reconstruction doivent être au centre des préoccupations
Quoique les aspects militaires se trouvent au centre du débat public, la notion « responsabilité de protéger » met beaucoup plus l’accent sur la prévention et la reconstruction. Ce qui aurait, pour autant qu’on y pense honnêtement, des conséquences fondamentales sur la politique des agresseurs au sein du monde occidental et du système économique mondial actuel – mais aussi sur les génocides rampants et les destructions systématiques notamment en Afghanistan, en Irak et en Palestine. Selon un intervenant lors d’une conférence sur ce thème à Bonn (voir ci-dessous), l’Irak présenterait toutes les conditions pour une application de la conception « responsabilité de protéger ». Les troupes d’occupation états-uniennes laissent les populations courir à la ruine, et en même temps érigent à coup de milliards de dollars d’immenses bases militaires. Joseph E. Stiglitz et Linda J. Bilmes écrivent dans leur nouveau livre intitulé Une guerre à 3000 milliards de dollars : « Alors que dans le reste du pays l’eau propre, le courant électrique et les traitements médicaux font défaut, les bases militaires, elles, forment des îlots de biens de consommation parfaits. On y trouve des installations sportives, des grands magasins, des restaurants « Fast Food » (y compris des filiales de Burger King, Pizza Hut et Baskin-Robbins-Eiscrem, ouverts 24 heures sur 24), une filiale de l’entreprise de location de voitures Hertz, des cinémas, des installations de climatisation, des connections Internet par satellites, la télévision par câble et des connections téléphoniques internationales. »
Les conséquences pour la politique de l’Occident
Dans la bande de Gaza, bloquée par Israël, la plupart des enfants, selon un rapport récent venu de la ville de Gaza, naissent frappés d’anémie, du fait de l’absence de nourriture conséquente, leurs mères souffrants elles-mêmes de disette ; celle-ci provoque aussi une malformation des fœtus. On assiste quotidiennement à des accouchements prématurés, avec un déficit de poids. Il n’y a pratiquement pas de médicaments pour femmes enceintes. Le taux de pauvreté se situait en avril à 67%. 77% de la population de Gaza souffre de maladies dues à la sous-nutrition. Même les enfants ne reçoivent que le 61% de leurs besoins en calories. Les autorités médicales de Gaza lancent un cri d’alarme quant à la menace qui pèse sur la vie et la santé de nombreux enfants encore à naître.
Il faut mener un débat de fond honnête
Sur le plan international, il existe un débat sérieux et honnête à propos de la conception « responsabilité de protéger », les participants ayant conscience des velléités de dévoiement. Le colloque organisé par la fondation allemande « Stiftung Entwicklung und Frieden » (Fondation pour le développement et la paix) les 29 et 30 novembre 2007, avec pour thème « La ‹responsabilité de protéger› : un progrès, des promesses vides de sens ou un blanc-seing pour des interventions ‹humanitaires› ? » en est un exemple. La documentation accompagnant cette manifestation donne l’impression que même en Allemagne, il est encore possible de débattre sur des questions de politique internationale. On ne peut laisser aux puissants de ce monde le soin de définir la conception « responsabilité de protéger » ; la participation des citoyens et citoyennes est de première importance. Cela présuppose de se consacrer sérieusement à la discussion et surtout de mener un large débat public permettant à tout le monde d’exprimer son opinion.
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