Le correspondant à Bruxelles d’un grand quotidien français m’a appelé il y a quelques mois pour me dire que les Britanniques avaient gagné sur toute la ligne concernant l’Europe : un président de la Commission européenne libéral et atlantiste, un des meilleurs portefeuille pour Peter Mandelson, un triomphe de l’Anglais dans les institutions européennes et une constitution qui sert les intérêts britanniques. Ce qui est amusant est que la presse britannique dit exactement l’inverse et elle estime que cette constitution consacre la domination franco-allemande au sein de l’Union européenne.
En réalité, cette Constitution n’est ni britannique ni française, elle n’est pas partisane et elle sera ce que nous en ferons. Pour commencer, ce n’est pas une Constitution, c’est un traité. Un traité qui permet à vingt-cinq États souverains de réaliser ce que 2 500 ans d’une histoire conflictuelle avaient fini par rendre presque inimaginable : établir la paix en Europe mais aussi partager des droits et accepter des responsabilités communes. Ce processus inédit fait l’admiration du reste du monde. Le traité constitutionnel scelle en effet un mode original de relations entre les États, qui laisse la nation au cœur du projet européen. La Constitution française restera donc en vigueur et c’est la Chambre des communes qui continuera de voter la loi fiscale et de décider si la Grande-Bretagne doit ou non s’engager dans un conflit. Chaque État restera maître de sa politique étrangère, mais les États sont désormais conscients que leur politique est d’autant plus efficace qu’elle est décidée en commun par les États membres de l’Union. La voix du futur ministre des Affaires étrangères de l’Union portera plus que celle des ministres de chaque nation, lorsqu’il exprimera des positions communes sur les Balkans ou l’Ukraine. En outre, la Constitution de chaque pays reste une norme supérieure à celle du traité. La grande réussite de la construction européenne est d’avoir entraîné une renaissance des valeurs et identités des nations d’Europe et non leur affaiblissement.
Je sais qu’il nous reste des problèmes à résoudre, mais nous devons nous débarrasser du défaitisme et du cynisme que les opposants à l’Europe, de droite et de gauche, cherchent à diffuser. Dire non et condamner ainsi l’Europe à rester enserrée dans un cadre juridique aujourd’hui dépassé serait absurde, de même que dire non pour provoquer une hypothétique "crise salutaire". Mieux vaut examiner les avantages de ce traité qui nous donne un nouveau président du Conseil. Si M. Prodi et certains commissaires étaient réservés vis-à-vis de ce traité, c’est précisément parce qu’il est une application directe de la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu : des représentants de gouvernements élus décident de la politique à mener et la Commission l’exécute. Le texte renforce également les pouvoirs du Parlement européen et ceux des Parlements nationaux, qui seront systématiquement consultés sur les textes législatifs européens. Cela développera le contrôle démocratique de l’Union européenne.
Une fois ce texte approuvé, il sera temps de mettre fin à 15 ans de débats institutionnels et de revenir à l’Europe de Monnet et Schuman, celle qui a rétabli la prospérité économique et jeté les bases de la justice sociale. L’Europe sociale ne peut s’accommoder du chômage de masse. Depuis que Tony Blair a pris les rênes du gouvernement en 1997, un emploi a été créé toutes les trois minutes en Grande-Bretagne. C’est cette Europe du retour à l’emploi que nous voulons.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Dire oui à la France, donc oui à l’Union », par Denis McShane, Le Figaro, 28 février 2005.