Nous ne sommes pas optimistes, Yasser Arafat avait fait beaucoup de concessions aux Israéliens. C’est le premier leader de l’histoire du combat palestinien à avoir reconnu le droit à l’existence d’Israël sur le sol palestinien, il a pratiquement retiré des statuts de l’OLP l’objectif de libération des territoires palestiniens. Ce n’est pas pour rien qu’il a reçu le prix Nobel de la paix en 1994 ; en plus des concessions faites à Oslo en 1993, il a durement réprimé l’opposition palestinienne, des centaines de personnes ont été emprisonnées et au moins 25 sont mortes sous la torture. Il s’agit bien des prisons de Yasser Arafat. Je ne vois pas ce que Bush et les Israéliens peuvent encore attendre comme concession de la part de Mahmoud Abbas ? Nous mettre tout nus ?
Les réfugiés, qui sont six ou sept millions, doivent rentrer conformément à la résolution de l’ONU, le statut de Jérusalem doit être défini et les colonies juives évacuées. Je ne pense pas que Mahmoud Abbas perde de vue ces objectifs. Il n’a pas assez de poids dans le Fatah et dans la population en général, ni lui ni personne ne pourra arrêter la résistance tant que le problème palestinien ne sera pas résolu. C’est un vétéran du mouvement, mais on ne peut pas dire qu’il soit un leader historique. Notre combat a une longue histoire, c’est de la Deuxième Guerre mondiale qu’a résulté la naissance d’Israël. Ce sont Staline et les leaders occidentaux qui l’ont décidé et qui ont chassé les Palestiniens pour installer les juifs sur leur sol. Nous n’avons pas encore de leader qui incarne vraiment la volonté du peuple et Abbas ne doit pas franchir la ligne rouge. Concernant le retour des réfugiés par exemple, s’il trahit les intérêts du peuple il se trouvera toujours un Palestinien pour le lui faire payer.
Notre front (le FPLP-CG, front populaire de libération de la Palestine-commandement général) a été un pionnier en matière d’attentats suicides, le premier a eu lieu à Kiriat Shmone en 1974. La fameuse attaque en deltaplane a eu lieu en 1987, nous avions surpris nos ennemis et le monde entier. Les deltaplanes en toile et aluminium, avec un petit moteur, étaient partis du Sud Liban pour parvenir 45 km derrière les lignes ennemis. Au début l’attentat suicide fut un pas difficile à franchir, surtout du point de vue religieux car le suicide est interdit en Islam, ensuite nous avons été beaucoup imités. Nous voulions faire comprendre que notre foi en la cause est telle que nous sommes prêts à mourir pour elle. Si nous avions eu la technologie, peut-être que nous n’aurions pas eu besoin de cela, mais quand les Américains tirent des missiles sur des quartiers d’habitation et tuent des innocents, c’est pire et encore plus lâche ! Nous ne sommes pas une armée, nous sommes un mouvement populaire, les gens sont volontaires. Je n’ai pas personnellement commis d’attentat suicide car je dois assurer le contrôle. Le premier groupe de kamikazes était composé d’un Irakien, d’un Palestinien et d’un Syrien, dans le deuxième il y avait aussi un Libanais. Il était important de montrer que les Arabes en général nous soutenaient, un Japonais a même été emprisonné en Israël [1].
Le FPLP a déjà fait des victimes civiles mais comment faire ? Les bombardements israéliens tuent aussi des femmes et des enfants. Prenez ce qui s’est passé à Der Yassin en 1948 : le massacre perpétré par les membres de l’organisation extrémiste Irgoun de Menahem Begin n’a pas empêché celui-ci de devenir Premier ministre par la suite. Notre principe essentiel est de nous battre uniquement sur le sol palestinien.
Les Israéliens ont essayé par tous les moyens de me tuer mais Allah me protège, à la cinquième tentative ils ont assassiné mon fils à Beyrouth en mai 2002. J’ai servi dans l’armée syrienne mais quand j’ai formé mon premier groupe clandestin, la Syrie était dirigée de fait par Nasser et son directeur des services spéciaux, alors nous nous sommes débrouillés seuls. J’ai fait de nombreux séjours en URSS, mais en tant qu’organisation nous n’avons jamais reçu un fusil ni un kopeck. Nous étions nationalistes et l’URSS soutenait uniquement ceux qui se disaient de gauche, marxistes ou communistes. Nous n’avons jamais établi de relation avec les régimes arabes conservateurs comme les pays du Golfe, nous étions proches de la Libye, de la Syrie et de l’Irak. Les problèmes internes de la Russie lui ont fait perdre son rôle historique effectif dans notre région, elle suit la politique américaine qui favorisera toujours Israël. Nous les Arabes ne sommes rien pour les Américains. Peut-être que la Russie retrouvera son influence mais actuellement ni moi ni les autres politiciens arabes n’y croyons vraiment.
« Камикадзе на дельтапланах », par Ahmed Jibril, Vremya Novostyey, 21 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.
[1] le 30 mai 1972, un groupe de trois membres de l’armée rouge japonaise arrivant sur un vol de Paris à Tel Aviv avait lancé des grenades et tiré sur la foule dans l’aéroport, faisant 25 morts et des dizaines de blessés. Kozo Okamoto, seul survivant, fut condamné à perpétuité. Il a été libéré lors d’un échange de prisonniers en 1985, avec lui sur la liste figuraient Djibril Rajoub, un des dirigeants actuels des services secrets, et Cheikh Ahmed Yassine
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