L’attitude paradoxale des États-Unis dans la crise syrienne dévoile les contradictions profondes qui traversent aujourd’hui le leadership US : alors que le Secrétariat d’Etat cherche à impliquer le pays dans un conflit au Proche-Orient, la Défense annonce qu’elle souhaite se désengager de la région pour réorienter sa stratégie en direction de l’Asie du Sud est et de la Chine. La ligne rouge tracée par les Russes et les Chinois dans le Levant met les États-Unis d’Amérique face à un choix historique : disparaitre en tant qu’empire dans une guerre mondiale ou survivre en tant que nation dans un monde multipolaire.
Les grands centres de réflexion et les universités d’exception élaborent de concert les bases du nouveau monde multipolaire.
Lors du premier Congrès mondial d’excellence scientifique convoqué par l’Université UAM-Xochimilco, sous la direction habile de Heinz Dietrich, s’est mise en place une initiative tricontinentale entre Asie, Europe et Amérique, le « projet mondial de recherche avancée », sur le thème « État, marché et développement de l’être humain au XXI° siècle ». L’alliance stratégique avec la Chine en est un point fort, et, parmi les chercheurs invités de 60 pays, il me revenait d’y aborder la rivalité géostratégique entre Chine et USA.
Le rapport annuel du Pentagone sur le militarisme chinois [1] reflète à mon avis à la fois la réussite du Quatrième Dialogue qui s’est tenu récemment, et les tensions sous-jacentes au nouvel ordre multipolaire [2]
La vente d’arme US à Taïwan est un sujet épineux qui empoisonne la relation bilatérale, tandis que l’administration Obama s’évertue à dénoncer la course aux armements chinois ; c’est là une conséquence de son échec militaire sur le terrain proche-oriental, il s’agit de se concentrer sur la région Asie-Pacifique, où les USA cherchent à développer des alliances sécuritaires.
« À Taïwan, la Chine, avec son Armée de libération populaire, continue à se donner une mission potentiellement dangereuse », d’après le rapport.
David Helvey, assistant du secrétaire adjoint à la Défense pour l’Est de l’Asie, a souligné pour sa part que la Chine prend très au sérieux certaines revendications maritimes territoriales, tant sur les côtes Sud de la Chine que sur sa côte Est, et a estimé le potentiel tout à fait positif pour que les USA et la Chine développent une relation saine dans le domaine militaire. Que reste-t-il donc de l’objectif stratégique états-unien de domination de l’Asie-Pacifique et d’endiguement de la Chine ?
Derrière sa tonalité diplomatique, la presse chinoise estime que les absurdes accusations du Pentagone quant à l’expansionnisme militaire chinois et à sa modernisation accélérée pourraient faire échouer les délicates relations militaires bilatérales [3]. Le cyber-espionnage chinois, insiste le rapport, « collecte les secrets stratégiques du gouvernement US et de ses entreprises transnationales ».
Le gouvernement chinois a énergiquement contesté le rapport, publié au moment où un vote hostile de la Chambre des représentants veut forcer le président Obama à autoriser la vente de 66 nouveaux avions de chasse à Taïwan. Les USA vont finir par faire la guerre au monde entier, tant que règnera la sauvage amazone Ileana Ros-Lehtinen (au départ cubaine en exil), au poste de présidente de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants. Le quotidien de l’ALP qualifie les allégations US de menaces imaginaires et de séquelles de la mentalité de la Guerre froide implantée par le Pentagone.
Curieusement, le rapport a été publié pendant la visite au Pentagone, après neuf ans d’absence, du ministre de la Défense chinois, Liang Guanglie. Le jour même, People´s Daily (18/5/12) révélait les véritables objectifs des exercices militaires US au Proche-Orient, précisément l’opération Eager Lion 2012, qui a débuté le 15 mai en Jordanie avec 12 000 hommes de troupe, des USA et de 15 autres pays. La Jordanie dépend de l’aide économique et militaire des USA, qui lui ont versé une aide de 2,4 milliards de dollars au cours des cinq dernières années.
People’s Daily rappelle que plusieurs pays du Proche-Orient et d’Afrique du Nord ont subi des changements de régime alors qu’on assiste à des secousses sans précédent dans le paysage géopolitique. La situation régionale, déjà compliquée, se tend à cause du contentieux nucléaire iranien prolongé, de la situation explosive en Syrie, et des exercices militaires répétés des USA. Il s’agit des exercices réalisés à Bahrein du 8 au 18 avril, avec 9 autres pays, et de l’opération Eager Lion 20 jours plus tard, soit deux exercices en un mois, et le but est de constituer une alliance régionale sous commandement US.
L’organe chinois considère que les USA ont ajusté leur stratégie au Proche-Orient pour contenir l’Iran et renforcer la pression sur la Syrie. Malgré les négociations aussi bien à Istanbul qu’à Bagdad, les sanctions économiques contre l’Iran de la part des USA et de « certains » États européens n’ont pas faibli, et ils ont exigé d’autres nations qu’ils réduisent leurs importations de pétrole iranien. Qui plus est, les USA ont décidé d’envoyer leurs avions F 22 Raptors sur la base aérienne Al Dhafra aux Émirats Arabes Unis afin d’améliorer la dissuasion contre l’Iran.
Eager Lion est un exercice multinational annuel qui a attiré cette année la participation de « presque tous » les pays arabes, sauf la Syrie, où le cessez-le-feu défendu par Kofi Annan, envoyé spécial à la fois des Nations Unies et de la Ligue Arabe, est très fragile.
People’s Daily souligne la participation de l’Arabie Saoudite, qui a joué un rôle étonnant dans la vague des changements de régime au Proche-Orient et dans le Nord de l’Afrique, et qui a adopté une posture « sévère » contre la Syrie, où elle soutient les insurgés. Pour préserver son statut de puissance régionale, l’Arabie Saoudite achète des armes modernes et de l’équipement, tout en encourageant le développement d’une industrie d’armement à demeure.
À mon avis, la manœuvre militaire des USA a deux objectifs :
– 1. Préserver la sécurité des frontières de la Jordanie, dont la monarchie artificielle peut s’effondrer à tout instant, pour faire place à une nouvelle entité palestinienne ;
– 2. Mettre en échec le régime vacillant de Bachar el-Assad, dont les jours semblent comptés, si l’on en croit le China Daily (21/5/12) qui cite le vice-chancelier russe, lequel signalait à son retour du sommet du G8 à Camp David que la Russie accepterait un changement de régime en Syrie, mais sans usage de la force ni intervention étrangère. Mais comment donc cela pourrait-il se produire autrement ?
Les USA ont adopté, selon le People’s Daily une approche « multivariable » pour augmenter leur contrôle sur le Proche-Orient, parce qu’ils ont surdimensionné la menace nucléaire supposée de l’Iran, au moment où ils intervenaient dans les guerres civiles de Libye et de Syrie, tout en lançant des exercices militaires, en vendant de grandes quantités d’armes aux pays de la région, et en augmentant leur déploiement militaire. Rien que ça…
En fait, en se retirant militairement d’Irak et d’Afghanistan, les USA ont déplacé le centre de leur stratégie vers le Pacifique afin de mettre en œuvre un rééquilibrage global. Le quotidien chinois cite un haut fonctionnaire du Pentagone : les USA cherchent à installer des systèmes de missiles défensifs anti-missiles en Asie et au Proche-Orient, semblables à ceux de l’Europe, en collaboration avec le Japon, la Corée du sud, l’Australie, l’Arabie saoudite, le Bahrein, le Qatar et d’autres pays, pour faire face aux menaces des missiles iraniens et de la Corée du Nord, ce qui rendrait la sécurité en Asie et au Proche-Orient encore plus compliquée.
Est-ce que les rencontres universitaires alternatives, comme le Congrès qui vient de se tenir à l’UAM Xochimilco, avec une envergure mondiale, pourront faire échec à ce qui n’est qu’un agenda unilatéral dicté par le Pentagone ? C’est déjà un succès que de le tenter.
[1] Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2012, US Department of Defense, mai 2012. Document téléchargeable en Pdf (21,8 Mo, 52 p.).
[2] Sur le 4e round de dialogue USA-Chine, lire : « Quiproquo : la vente de banques US à la Chine et la réévaluation du yuan », par Alfredo Jalife-Rahme, Traduction Maria Poumier, Réseau Voltaire, 25 mai 2012.
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