Les opérations des jihadistes opérant en Syrie se sont étendues d’abord en Irak, puis au Liban. Pour masquer sa faute, le Mouvement du 14-Mars accuse le Hezbollah d’être responsable de cette situation, pourtant ces jihadistes sont soutenus depuis trois ans par ce même Mouvement du 14-Mars. Pour André Chamy, le Liban court un grave danger à jouer ainsi avec le feu. Il ne pourra survivre qu’en s’unissant pour préserver sa liberté.
Pour une union sacrée
Depuis plusieurs jours, l’armée libanaise se bat contre des organisations armées affiliées à la mouvance d’Al-Qaïda dans la plaine de la Bekaa, en particulier dans la commune d’Ersal. Elle compte parmi ses soldats et ses officiers des blessés et des morts tombés sous les tirs de ces mouvements islamistes « takfiris », c’est-à-dire partisans de l’excommunication.
L’on aurait pu attendre que naisse dans ce pays une union nationale face à ce danger, mais au contraire, des voix discordantes se sont exprimées. Plusieurs députés du mouvement du 14-Mars se sont distingués par des déclarations tonitruantes imputant cette occupation d’une commune libanaise par des mouvements terroristes à l’intervention du Hezbollah en Syrie ! Pis encore, l’un d’entre a crié à un complot irano-syrien qui se trouverait à l’origine de cette occupation…
Une déclaration de cet acabit traduit au mieux une ignorance ou une méconnaissance manifestes de la réalité de la situation tant au Liban qu’en Syrie et au pire une complicité objective avec les auteurs de ces exactions. Mais cette situation elle-même est tellement périlleuse que l’on ne peut pas se contenter d’un silence coupable qui équivaudrait à une acceptation implicite de cette thèse, faisant oublier l’essentiel.
Depuis 2007, le Réseau Voltaire ne cesse d’alarmer l’opinion sur la présence d’Al-Qaida au Liban. Déjà cette année-là, un excellent article de Thierry Messan rappelle tant l’origine que le danger de l’organisation Fatah al-Islam au Liban, notamment dans la suite des évènements qui ont précédé et accompagné la bataille de Nahr El-Bared [1].
Dans notre ouvrage intitulé L’Iran, la Syrie, le Liban - l’axe de l’espoir, nous avancions les preuves de l’existence d’Al Qaida au Liban [2]. À l’époque l’essentiel des hommes politiques libanais appartenant au mouvement du 14-Mars le niait avec force, car selon eux cette organisation n’existait pas au Liban, et les terroristes qui avaient pris en otage le camp palestinien de Nahr el-Bared n’étaient que des agents syriens. !
Le ministre de la Défense de l’époque, Fayez Ghosn (Parti Marada), déclarait qu’al-Qaida était déjà au Liban, mais l’on se moquait de lui et l’accusait d’affabuler.
En effet, la polarisation du pays depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri, en février 2005, a accru les tensions entre les communautés et factions libanaises. Ce manque de confiance entre elles a suscité un sentiment de suspicion. Le tout a été accentué par une méfiance à l’égard des camps de réfugiés palestiniens qui génèrent un ensemble de problèmes, qui vont de la simple précarité économique au développement d’un islam salafiste.
Les gouvernements libanais successifs ont été assez hésitants dans leur gestion de la question des camps. Ces endroits sont des espaces dans lesquels existent plusieurs centres de décisions allant des factions palestiniennes jusqu’aux services secrets étrangers en passant par les services de sécurité libanais. Un tel milieu est facilement manipulable, et certains estiment que le maintien de ces groupes dans une zone délimitée est plus gérable que leur dispersion sur le territoire libanais.
D’ailleurs, l’environnement socio-économique des camps est propice aux thèses fondamentalistes. Quant au Liban, il reste le terrain idéal de la prolifération des milices armées de tout genre. Dans un pays multiconfessionnel, où chaque communauté au fil des années de la guerre civile a développé sa propre milice, la communauté sunnite est restée la plus faible en matière d’armement milicien. Les sunnites libanais avaient trouvé à un moment donné dans les Palestiniens des frères d’armes comme l’a souligné le mufti sunnite Hassan Khaled, le 19 mai 1989, en déclarant que « La résistance palestinienne est l’armée des sunnites au Liban » [3].
Ce qui se pratiquait jusqu’à présent dans les camps palestiniens s’est développé, voire amplifié dans les camps des réfugiés syriens. Dans lesquels se cachent des islamistes de la pire espèce pour préparer des expéditions en Syrie, ou des voitures piégés à destination des quartiers et villes libanais. Le tout dans le cadre d’un jeu bien connu et bien rodé pour maintenir le chaos dans la région.
Certains hommes politiques sunnites commencent à imaginer que l’islamisme international serait plus intéressant pour eux. Les évènements de la Syrie ne sont pas étrangers à cette thèse, puisqu’ils leur ont permis d’y jouer un rôle transnational. Ils ont opéré en qualité d’intermédiaires entre les pays du Golfe et les mercenaires engagés en Syrie.
Plusieurs noms ont été cités, preuves à l’appui : Ouqab Sakr, Khaled Daher, Mouine Mourabi, Jamal Jarrah tous députés libanais alliés ou faisant partie du mouvement du Futur, dirigé par Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre, devenu lui-même Premier ministre quelque temps après la mort de son père.
Actuellement et après les évènements de Mossoul, accompagnés de l’exode massif des chrétiens d’Irak, les chrétiens du Liban y compris ceux qui sont dans le camp du 14-Mars commencent, à juste titre, à prendre peur devant le phénomène islamiste qui frappe aux portes du pays du cèdre, car il s’agit là d’une menace pour leur existence au Levant en général et au Liban en particulier.
Le ministre des Affaires étrangères libanais, Gibran Bassil (aouniste), a déclaré que ce qui se passait à Gaza, à Moussoul et dans la pleine de la Bekaa cachait les mêmes mains. Il aurait pu rajouter également ce qui se passait en Syrie pour couvrir l’essentiel des points de tensions actuels.
Certains d’entre eux dénoncent l’attitude de l’ancien président Michel Souleiman, qui, au prétexte de prendre ses distances par rapport au conflit en Syrie, et persuadé de la chute du président el-Assad, a laissé les opposants à l’État syrien de toutes nationalités ou origines opérer depuis le territoire libanais.
Il semble qu’il fondait ses pronostics sur les dires de l’ancien prince du Qatar [4]. Mais celui-ci a dû abdiquer au profit de son fils suite aux injonctions états-uniennes, car malgré l’ouverture sans limites de ses coffres-forts aux islamistes, il n’est pas parvenu à son objectif de renverser le président el-Assad.
À l’époque, nous étions parmi ceux qui ont dénoncé l’irresponsabilité de ce président qui a privilégié ses intérêts personnels au détriment des intérêts nationaux gravement menacés. Ce danger a grandi, tel un cancer laissé sans soin, et a même été alimenté pour métastaser dans tout le corps libanais déjà fragilisé par un système politique absurde et une classe politique très largement corrompue.
Ce président tellement inconséquent a laissé sans réaction les attaques perpétrées contre les soldats et officiers de son armée à Akkar, à Tripoli, et à Ersal ; là où se sont installés ces mêmes terroristes qui sévissent actuellement en menaçant la paix civile si fragile dans ce pays. Ils ont, du reste, désigné un Calife pour le Levant, englobant le Liban [5].
C’est à partir de ce village d’Ersal qu’ils préparaient leurs expéditions vers le territoire syrien avec l’aide et la complicité du mouvement du Futur. Les rappels du gouvernement syrien sur la coordination des efforts des deux pays pour assurer leur sécurité commune sont restés sans réponse de la part des gouvernements successifs : il ne fallait pas fâcher le Qatar et l’Arabie saoudite qui pesaient de tout leur poids pour renverser le président el-Assad.
Tout passait par Ersal : armes, munitions, et effectifs sans oublier la logistique apportée aux combattants et les soins dans des hôpitaux créés pour la circonstance. Cette commune est devenue un état de non droit et un refuge de repris de justice. Quand l’armée a voulu arrêter l’un de ces derniers, les soldats chargés d’exécuter cet ordre ont été lynchés sur la place du village sans la moindre réaction du non-regretté président Souleiman.
Le Front Al-Nosrah (Al-Qaïda) opérait depuis le Liban tandis que les hommes politiques libanais du courant du 14-Mars parlaient d’aide au réfugiés syriens et de soutien aux opposants armés à l’État syrien. Pendant ce temps l’ex-président donnait des leçons de démocratie à qui voulait l’entendre.
Le 11 décembre 2012, le gouvernement états-unien a certes reconnu la Coalition nationale des forces d’opposition et de la révolution syrienne fondée en novembre au Qatar, mais il a parallèlement désigné comme « mouvement terroriste » le Front al-Nosra pour le peuple du Levant. Malgré cela les politiciens libanais restaient aveugles.
Le département du Trésor a modifié l’Executive Order 13224, qui désigne déjà Al-Qaïda en Irak (AQI) comme une organisation terroriste étrangère, en précisant qu’elle a adopté les nouveaux alias suivants : Front Al-Nosra, Jabhat Al-Nosrah, Jabhet al-Nusra, le Front de la victoire et enfin, Front Al-Nosrah pour le peuple du Levant.
Washington a affirmé également que l’émir d’AQI, Abou Bakr al Baghdadi al Husseini al Qurashi [6] « contrôle à la fois AQI et al-Nosrah ». Pour Washington, la messe est dite : le Front Al-Nosrah n’est qu’une branche d’AQI ! De son côté, le Front al-Nosrah s’est toujours bien gardé de mettre en avant son appartenance à la nébuleuse créée par Oussama Ben Laden, de manière à tenter de conserver un minimum de crédibilité en Syrie et à l’étranger.
Le Front Al-Nosra pour le peuple du Levant, qui est devenu la principale faction combattante en Syrie, y a revendiqué des centaines d’attaques. Il serait responsable de 42 attentats-suicide sur les 52 ayant eu lieu dans le pays depuis le début de l’année 2012. À travers ces actions, le Front Al-Nosra se définit comme une partie légitime de l’opposition syrienne, alors qu’il ne fait que tenter de se raccrocher à une campagne menée contre le peuple syrien au profit d’AQI dans le but d’établir un État islamique situé à cheval sur la Syrie et l’Irak.
Deux de ses dirigeants ont aussi été inscrits sur la liste des « terroristes internationaux » par les États-Unis.
– Maysar Ali Musa Abdallah Al-Juburi, un Irakien faisant partie d’AQI depuis 2004. Il a quitté Mossoul (Irak) pour la Syrie fin 2011, afin d’y exporter l’idéologie d’Al-Qaïda et de former des groupes de cette obédience. Il est devenu le chef militaire et religieux du Front al-Nosra.
– Anas Hasan Khattab, également de nationalité irakienne, serait le responsable logistique du mouvement. C’est lui qui assurerait la liaison avec AQI.
Le département du Trésor n’a pas ajouté à la liste le chef officiel du mouvement, le cheikh Abou Mohammad Al-Julani, vraisemblablement car son identité n’est pas définie avec exactitude. Au mieux, on sait qu’il serait de nationalité syrienne !
Le Front al-Nosra bénéficie de l’expérience de combattants irakiens qui composent la majorité de l’encadrement. Toutefois, très internationaliste, il compterait également des mercenaires marocains, algériens, tunisiens, égyptiens, jordaniens, palestiniens et tchétchènes [7]. À terme, ils ont été rejoints par des volontaires européens voire nord-américains.
Le fait que le Front Al-Nosra soit bien organisé, qu’il ait des moyens qui semblent plus importants que ceux alloués aux autres groupes d’insurgés, et surtout, que ses membres soient très motivés et combatifs, attire de nombreux combattants syriens qui sont lassés de l’amateurisme et de l’indolence de l’Armée syrienne libre (ASL).
Le Front Al-Nosra n’hésite pas à mener des opérations sophistiquées, parfois en liaison avec d’autres groupes djihadistes. Par exemple, en décembre 2012, il s’est allié à deux autres unités salafistes pour s’emparer de la base militaire Cheikh Suleiman dans la région d’Alep, après un siège qui a duré deux mois.
Ce même groupe s’est fait doubler par l’Émirat islamique (ÉI), une autre branche d’Al-Qaida qui semble être plus riche et plus meurtrière. Là où il s’installe, il impose ses règles propres, se référant à un pseudo islam radical quasi inconnu jusqu’à présent.
Comme d’habitude l’ÉI intervient principalement derrière d’autres organisations. C’est ainsi qu’après l’occupation surprise de Mossoul, l’ÉI a annoncé d’autres actions aussi spectaculaires y compris au Liban et dans d’autres pays de la région.
Les services de renseignement de l’armée libanaise et du Hezbollah étaient informés des projets de l’ÉI et de ses alliés du Front Al-Nosra qui pour la circonstance a fait allégeance à l’ÉI. D’ailleurs, la veille de l’attaque d’Ersal, l’armée syrienne et les combattants du Hezbollah ont tendu un piège de grande envergure à ces djihadistes. Plus de deux cents d’entre eux ont été tués, mais cela n’a pas suffi pour éviter la réalisation du plan déjà défini et qui intervient à point nommé pendant la guerre de Gaza.
L’approvisionnement en armes et munitions
Les djihadistes de l’ÉI et du Front Al-Nosra ne communiquent jamais sur leurs sources d’approvisionnement en armes et munitions, néanmoins, dans leur communication sur certaines de leurs opérations l’on peut parfois apercevoir des pièces de leur armement. Certains médias jouent en quelque sorte leur jeu en indiquant qu’ils financent leurs activités grâce à des kidnappings notamment d’occidentaux et actuellement grâce aux puits de pétrole.
Or, cette version ne correspond que vaguement à la réalité, car ce financement, pour être pérenne ne peut qu’être assuré par des États ou par des fonds spéciaux provenant d’organisations et agences gouvernementales sous l’étiquette de mécènes fortunés. En réalité ce sont des organisations qui œuvrent pour propager l’islam dit radical à caractère djihadiste à travers le monde qui se trouvent à l’origine de ces financements.
Le financement prend au départ la forme d’aide à construire ou créer une mosquée pour ensuite regrouper les personnes susceptible d’être attirées vers cette mouvance. C’est ainsi que l’on trouvé les mêmes configurations en Europe, notamment en Angleterre, en France, en Belgique ou en Allemagne ou aux Pays Bas…
Il s’agit d’un remake de ce qui est pratiqué depuis des décennies au Proche-Orient. Au nez et à la barbe de certains services de renseignement réputés parfois bien informés.
D’ailleurs, le Front Al-Nosra bénéficie de financements beaucoup plus importants que ceux de ses rivaux, ce qui explique sa montée en puissance [8]. Il serait financé par de riches mécènes du Golfe [9] et des ONG basées notamment au Koweït et aux Émirats arabes unis (EAU) [10].
Cependant, d’après l’universitaire Thomas Pierret en septembre 2013, « il semble que [les] fonds [privés venus du Golfe] sont en fait eux aussi plutôt absorbés par des groupes salafistes "respectables" » [11]. On dit aussi qu’Al-Nosra exploite des puits de pétrole. Ce qui est vrai mais c’est très récent, mais de toute manière impossible depuis que le Conseil de sécurité a rappelé l’interdiction de commercer du pétrole avec les djihadistes [12]. Donc d’où venaient leurs moyens importants avant ? On ne sait pas exactement [13].
De son côté, Selahattin Demirtas, coprésident du Parti pour la paix et la démocratie (une formation kurde), accuse la Turquie de renforcer le Front Al-Nosra « en envoyant des armes » en Syrie : « Sans ce soutien et celui de l’Arabie saoudite, les terroristes ne pourraient pas se maintenir » [14].
Alors que la Syrie porte plainte contre la Turquie en l’accusant de fournir des armes à des groupes perpétrant des « attaques terroristes contre le peuple syrien » et d’entraîner des djihadistes sur son territoire, et que la presse turque suggère à son tour qu’Ankara a fourni directement des armes aux factions djihadistes dont le Front al-Nosra sur la base de rapports des Nations unies et d’enquêtes, le gouvernement turc a démenti en janvier 2014. Il est également accusé de fermer les yeux sur les transferts d’armes et de combattants à la frontière [15].
L’ambassadeur syrien à l’Onu, Bachar Jaafari, a produit un document de l’Armée syrienne libre attestant qu’elle distribue au Front Al-Nosra des munitions « offertes » par la France et la Turquie et qu’elle leur en rend compte [16].
Ces mêmes sources de financement ont permis à des organisations djihadistes de s’installer dans certains pays et de mener un travail de fond en terme de recrutement et de création de réseau, c’est ainsi que selon plusieurs observateurs ces groupes ont pu mettre en place plusieurs opérations importantes.
En effet, l’on a assisté à des achats de terrains et d’immeubles proche des mosquées, c’est ce qu’a essayé de faire au Liban le mouvement Fatah Al-Islam dans le camp de Nahr el-Bared. D’autres organisations ont eu le même mode opératoire dans d’autres camps comme le mouvement Asbat Al-Ansar au camp d’Aïn-El-Helwi et Jound-El-Cham dans le quartier de Taamir à Saida, où l’on parle déjà d’un afflux de combattants de Nahr El-Bared venant trouver refuge à la suite de leur éviction par l’armée libanaise [17]
En novembre 2013, le Front Al-Nosra s’est emparé du champ pétrolier Al-Omar, le plus grand de Syrie [18].
À ce sujet, il est intéressant de remarquer que les insurgés mentent également de manière éhontée sur la provenance réelle de leurs armements. Ainsi, sur des photographies, diffusées en novembre 2012, ils prétendent que le missile sol-air portable (Manpad) présenté est un SA-16 saisi sur la base n° 46 de l’armée syrienne. En fait, il s’agit d’un SA-24 Grinch 9K 338 russe en service dans seulement trois pays : la Russie, le Venezuela et la Libye ! La Russie et le Venezuela soutenant Damas, cette arme ne peut donc provenir que des dépôts libyens [19].
Si la Libye constitue le principal stock où les groupes armés syriens peuvent venir s’approvisionner en armes et munitions, le Qatar et l’Arabie Saoudite financeraient également l’acquisition de matériels militaires sur le marché mondial. Elles parviendraient en Syrie via la Jordanie, le Liban et la Turquie. Ces pays ont fini par le reconnaître en affirmant avoir financé l’achat d’armements au profit des insurgés syriens, mais sans être clairs sur l’identité des groupes ayant bénéficié de ces armes !
La boucle est bouclée et nous ramène toujours au Liban, particulièrement à la région de la Bekka et au village d’Ersal ! Les politiciens libanais ne voulaient pas voir la tumeur qui commençait à s’installer dans cette région, leur préoccupation était de faire tomber le président el-Assad et par la même occasion de priver le Hezbollah de sa base arrière et de l’un de ses alliés.
Les djihadistes au Liban
Il y a plusieurs mois, le Liban a été secoué par une série d’attentats particulièrement meurtriers qui devaient viser essentiellement les quartiers et villes chiites, et au-delà, attiser les haines interconfessionnelles. À Tripoli et dans d’autres villes libanaises sunnites touchées, les chiites ont été accusés de les avoir commis, à l’instar de ce qui se produit en Irak.
Un nouveau gouvernement a été constitué pour anticiper la vacance du pouvoir, car l’on a compris qu’il n’y aurait pas d’accord pour désigner un nouveau président de la République à l’issue du mandat de Michel Souleiman. Les ministères régaliens, en l’occurrence : l’Intérieur, la Justice et la Défense ont été confiés à des personnalités du courant du 14-Mars.
Une certaine stabilité a été trouvée, mais le projet initial se poursuit puisque avec la guerre de Gaza et les avancées de l’Armée arabe syrienne dans la région frontalière avec le Liban, ces combattants islamistes se retrouvent en difficulté ; il fallait donc leur offrir une nouvelle base logistique pour leurs exactions.
Le projet étant, ainsi que nous l’avons mentionné dans toutes les analyses faites par le Réseau voltaire, de morceler le Proche-Orient, particulièrement le Levant, en mini États à caractère ethnique et/ou confessionnel. Cela permettra deux choses : une paix durable pour l’État hébreu qui n’aura plus à s’inquiéter de pays qui se trouvent à ses frontières, et la justification de son existence en tant qu’État pour les juifs du monde entier selon l’idéologie sioniste [20].
Le Liban est actuellement dans la tourmente, puisqu’il est attaqué par ceux qu’une partie de la classe politique continue de protéger. Au départ, ceux que l’on présentait aux habitants d’Ersal comme de malheureux réfugiés syriens squattent maintenant les maisons de ces derniers, les empêchent de quitter leur localité, et massacrent ceux qui n’obéissent pas à leurs injonctions.
Ensuite l’on a prétendu que s’ils sont là, c’est en raison de l’intervention du Hezbollah en Syrie. On oublie que leur présence est plus ancienne, et qu’ils n’ont fait que s’incruster grâce aux pétrodollars et à l’argent de leurs crimes. Le Hezbollah n’y est pour rien, pas plus d’ailleurs que l’armée libanaise qu’ils provoquent au quotidien !
Conformément à son habitude, la classe politique libanaise, sous prétexte d’éviter une effusion de sang, accepte l’entrée dans la danse de quelques religieux corrompus, avec pour mission de négocier avec ces terroristes en oubliant qu’ils ont tué des innocents et des soldats libanais.
Quel État digne de ce nom accepterait une telle démarche ? Aucun. Surtout que ce sont les mêmes religieux qui, quelques mois auparavant sont intervenus lors d’un incident avec un autre fanatique, le cheik Al-Assir qui s’était barricadé à Saida après avoir attaqué l’armée libanaise. Cette prétendue médiation s’est soldée par la fuite dudit Al-Assir dans la voiture de l’un de ces même religieux.
Ces mêmes religieux étaient également intervenus pour participer au règlement de la bataille de Nahr El-Bared, qui s’est soldée par la disparition des principaux responsables des attaques menées contre l’armée. S’agit-il d’un hasard ? Cela fait beaucoup.
L’Armée libanaise ne saurait accepter que ses soldats et officiers continuent d’essuyer les balles des salafistes sans pouvoir appréhender les coupables en vertu de la « préservation de l’équilibre confessionnel ». L’on apprend même que lors d’une négociation après le kidnapping d’agents de la sécurité intérieure par les combattants d’Al-Qaida, il a été demandé aux ravisseurs que les trois agents dont on avait accepté la libération soit de confession différente. Il n’y a qu’au Liban que l’on voit cela !
Un religieux d’Ersal reconnaît même que les agents de sécurité kidnappés lui auraient été confiés par Al-Qaida, comme s’il s’agissait de la libération de membres de bandes rivales et non de policiers d’un État souverain. Cette situation, si elle devait perdurer, conduirait indubitablement à la dislocation du reste de l’appareil de l’État.
Quelle est la solution ?
Face à la corruption d’une grande partie de la classe politique libanaise qui propose et cède ses services au plus offrant sans tenir compte de l’intérêt national, et à la composition absurde, archaïque et immorale d’un système politique, il est devenu vital de laisser l’armée faire son travail en dehors de toute intervention politique, ou confessionnelle.
L’Armée reste, malgré ses maigres ressources et moyens, un appareil fiable et bénéficie de la confiance de l’essentiel de la population, à l’exception de certains partis islamistes en raison de leurs liens avec les pays du Golfe. Sans succès, certains responsables et députés du mouvement du Futur ont tenté depuis quelques années d’impliquer l’armée dans le débat politique en la prenant à partie quand ses actions ne vont pas dans leur sens.
Cette armée attend toujours le don de trois milliards de dollars promis par l’Arabie Saoudite pour lui permettre d’acquérir des armes en France. Dans la foulée des derniers évènements, Riyad par le biais de son nouveau porte parole…, l’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri, annonce un nouveau milliard. Des promesses toujours des promesses.
Des voix du mouvement du Futur ont tenté d’insinuer que l’armée était instrumentalisée, et ont émis des réserves sur le choix du moment concernant le déclenchement des hostilités à Ersal. Les mêmes ont laissé entendre que l’armée se faisait doubler par le Hezbollah qui interviendrait en sous-main pour court-circuiter les tractations que les religieux islamistes tentaient de mener pour débloquer la situation.
Dès le premier jour, les trois députés du Nord (Mohamed Kabara, Khaled Daher, et Omar El-Mourabi) ont sonné la charge contre l’armée en criant au complot syro-iranien. Ils ont été suivis par le représentant de la Jamaa Islmyah, Imad El-Hout, sans oublier l’intervention perfide de l’ex-Premier ministre Fouad Siniora faisant le lien entre l’intervention du Hezbollah en Syrie et la présence des terroristes au Liban, et enfin le député de la Békaa, Jamal Jarrah, qui est allé jusqu’à accuser le Hezbollah d’alimenter les combats à Ersal pour servir ses intérêts, sans toutefois préciser lesquels.
Ces voix démontrent que le consensus qui se mettait en place vient d’être brisé. Ce sont les mêmes qui engageaient les Israéliens via les États-uniens à continuer de pilonner le Liban pour tenter de briser la puissance militaire du Hezbollah.
Malgré cela une majorité écrasante de la population reste attachée à son armée et ne veut pas que ses soldats soient attaqués par des islamistes étrangers. Mais à quand le consensus de la classe politique ? Le Liban a besoin aujourd’hui plus que jamais d’une union sacrée.
Les Libanais doivent certainement savoir que leur pays n’est composé que de minorités plus au moins grandes. Aucune de ces minorité ne peut dominer ou imposer sa loi aux autres, encore moins par le biais des takfiris qui finiraient par faire comme en Irak, en l’occurrence s’en prendre à toutes les communautés qui n’obéissent pas à leur vision du monde.
L’installation des djihadistes au Liban, même de façon précaire, conduirait à terme à la disparition du Liban et à non à celle des chrétiens, des chiites ou des druzes, car même les sunnites ne seront pas épargnés. Les Libanais finiront-ils un jour par tirer profit de cette situation afin de refonder leur projet national ? Seule leur union sacrée les sauverait, il ne leur manque que cette prise de conscience pour la réaliser.
[1] « Le dossier des mercenaires du Fatah al-Islam est clos », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 27 août 2007.
[2] L’Iran, la Syrie, le Liban - l’axe de l’espoir, par André Chamy, éditions du Panthéon (2012), pp. 103-123.
[3] « Strategic File : Fath El Islam dans ses dimensions locales et régionales », Al Quds Center For Political Studies ; n° 35. 5ème année (avril 2007).
[4] « Le président libanais est devenu pathétique », « Liban : la stratégie du rat ! », par André Chamy, Réseau Voltaire, 25 juin et 24 août 2013.
[5] « Le président libanais est un cas désespéré : que lui dire d’autre que « dégage ! » », par André Chamy, Réseau Voltaire, 5 mars 2014.
[6] Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri ou docteur Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Samarrai ou Abou Du’a. II fait partie des trois terroristes les plus recherchés par Washington. Sa tête est mise à prix pour 10 millions de dollars.
[7] Il semble que les Libyens soient regroupés dans des unités autonomes comme les Brigades révolutionnaires de Tripoli.
[8] « Syrie : À Alep, les djihadistes montent en puissance face à des rebelles décriés », par Mélanie Delattre et Christophe Labbé, Le Point, 5 décembre 2012
[9] « Al-Nosra prépare l’État islamique », par Antoine Malo, Le Journal du Dimanche, 28 avril 2013
[10] « Syrie : les divisions de l’opposition, fruits des rivalités entre Doha et Ryad », AFP, 27 mars 2013
[11] « Les donateurs privés du terrorisme international », Réseau Voltaire, 25 juin 2014.
[12] « Déclaration du Conseil de sécurité sur le commerce avec Al-Qaïda », Réseau Voltaire, 28 juillet 2014.
[13] « En Syrie, "il est possible de jouer sur les équilibres au sein de la rébellion" », entretien de Thomas Pierret avec Emmanuel Riondé, Regards, 12 septembre 2013.
[14] « Un "mur de la honte" entre Turquie et Syrie », par Laure Marchand, Le Figaro, 12 novembre 2013.
[15] « L’étrange soutien de la Turquie aux réseaux djihadistes de Syrie », par Hélène Sallon, Le Monde, 24 janvier 2014
[16] Voir à la fin du débat : « Résolution 2165 et débats (aide humanitaire en Syrie) », Réseau Voltaire, 14 juillet 2014.
[17] « Syrie, le Front al-Nosra à la manœuvre », par Alain Rodier, Centre français de recherche sur le Renseignement, Note d’actualité n° 293.
[18] « Syrie : les rebelles s’emparent du plus grand champ pétrolier du pays », RIA Novosti, 23 novembre 2013
[19] Centre français de recherche sur le Renseignement, Ibid.
[20] Pour une analyse plus affinée sur l’idée de sionisme : « Qui est l’ennemi ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 4 août 2014.
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